La protection des minorités nationales : un singulier débat

Les récentes tensions communautaires en périphérie ont replacé au coeur de l’actualité politique la question de la ratification, par la Belgique, de la convention-cadre du Conseil de l’Europe pour la protection des minorités nationales. Le texte fut signé, au nom du gouvernement fédéral, par le ministre des Affaires étrangères, Louis Michel, le 31 juillet 2001. Cependant, le gouvernement flamand campe sur sa position selon laquelle les francophones ne représentent une minorité ni en Belgique ni en Flandre. Ce débat très complexe de la reconnaissance et de la protection des minorités nationales revêt dans notre pays des aspects très singuliers.

Nous avons assisté à une pression des partis francophones – d’intensité variable selon les formations – afin que la convention-cadre puisse être appliquée aux francophones de certaines communes flamandes. En s’engageant dans la voie du fédéralisme, la Belgique a emprunté un chemin différent de celui du système centralisé à la française. Toutefois, au sein de la communauté des francophones de Belgique, des franges non négligeables du monde politique n’occultent pas leurs affinités avec le modèle républicain français sur des thèmes tels que la laïcité ou la citoyenneté. Et quand le président du FDF, Olivier Maingain, dénonce dans le nationalisme flamand « la prédétermination, par appartenance à une collectivité déterminée, de droits que l’on veut bien reconnaître aux habitants de cette communauté », en ajoutant que la conception du FDF est celle  » de l’universalité de la citoyenneté » où c’est « l’être humain qui est détenteur de droits » (1), il se situe dans la droite ligne de la vision républicaine à la française, laquelle s’oppose à l’octroi de droits spécifiques à des groupes particuliers. La France est de fait l’un des derniers Etats européens à ne pas avoir souscrit à la convention-cadre pour la protection des minorités nationales. Pareille conception est aujourd’hui contestée par certaines forces politiques françaises. Mais elle ne manque pas de défenseurs résolus attachés au principe de non-discrimination qu’elle véhicule. Parmi ceux-ci, Malek Boutih, le président de SOS Racisme, qui soutient le gouvernement français dans son refus d’adopter la convention-cadre. Certains intellectuels français de sensibilité républicaine voient d’ailleurs dans cette convention-cadre une machine de guerre dirigée contre la France et sa conception universaliste de la citoyenneté. C’est le cas d’Yvonne Bollmann, germaniste, maître de conférences à l’université de Paris-XII. Dans son ouvrage La Bataille des langues en Europe (2), elle s’attache à montrer l’activisme, auprès du Conseil de l’Europe et du Parlement européen, de l’Union fédéraliste des communautés éthniques européennes (UFCE), et le rôle joué par celle-ci dans l’élaboration des textes du Conseil de l’Europe relatifs aux minorités.

Sur la base d’écrits de divers proches de l’UFCE et en procédant à un dépouillement systématique de sa revue Europa Ethnica, Yvonne Bollmann dénonce l’objectif ethnique poursuivi par l’UFCE et les appuis qu’elle trouve en Allemagne. Elle se réfère notamment à un article publié en 1996 par Christoph Pan, ex-président de l’UFCE, qui considère que les données ethno-culturelles ne coïncident pas avec l’organisation en Etats et qu’il faut réduire la disproportion quantitative entre quelque 70 peuples et seulement 38 Etats.

Les partis francophones de Belgique ont trouvé dans la convention-cadre du Conseil de l’Europe une arme pour répondre à l’intransigeance flamande à l’égard des francophones de certaines communes de son territoire. Mais, en la maniant, ils s’inscrivent dans la logique des adversaires les plus déterminés du modèle républicain français.

On relève par ailleurs une solidarité historique du mouvement flamand à l’égard du combat régionaliste et identitaire. La Volksunie adhérait à un parti européen, l’Alliance libre européenne, regroupant des régionalistes basques, galiciens, écossais, gallois, occitans. Cette formation souhaite, à l’instar de Christoph Pan, que l’Europe soit fondée sur une communauté de peuples plutôt que d’Etats. Quant au Vlaams Blok, il veut voir les frontières des Etats retracées afin de correspondre aux groupes ethniques.

Et même si le ministre-président de la Région wallonne se positionne également en faveur d’un rôle plus grand des régions au sein de l’Union européenne, la Flandre apparaît en pointe dans la volonté de construire une Europe transfrontalière des régions. La longue opposition flamande à la ratification par la Belgique de la convention-cadre et le refus du gouvernement flamand d’accorder le statut de minorité aux francophones vivant sur son territoire sont dès lors symptomatiques du malaise éprouvé par les nationalismes régionaux quand ils se trouvent eux-mêmes confrontés aux revendications d’une minorité.

(*) Auteur de Le groupe de travail sur le fonctionnement des institutions bruxelloises. Deuxième phase et accord dit du Lombard , Courrier hebdomadaire, CRISP, n°1716-1717 , 2001.

(1) Le Soir , 12 décembre 2001.

(2) Editions Bartillat,Paris, 2001.

Les textes de la rubrique Idées n’engagent pas la rédaction.

par Jean-Paul Nassaux, politologue (*)

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