La planète Reinhoud

Guy Gilsoul Journaliste

Entre les coups donnés sur l’enclume et les souffles de la forge naissent de bien étranges personnages qui, l’air de rien et le sourire en coin, nous épient. Attention, le feu couve.

Que ferait-on de ce garçon échevelé ? A l’école Reinhoud (1928-2007) fait partie de la catégorie des insurgés systématiques. En clair : être un bon élève ne l’intéresse pas. L’autorité lui donne des boutons. A la maison, c’est pareil. Son père, âpre défenseur de la cause flamande (il sera sénateur) et catholique fervent ne parviendra jamais à faire taire les révoltes du gamin. Lui, préfère la liberté, l’imaginaire, le rire. Et comme il aime travailler de ses mains, le voilà bientôt apprenti artisan chez un fabricant… de ciboires. Il en sortira. Après un passage en ferronnerie à la Cambre et quelques hasards de rencontres, il devient, dès 1950, l’un des locataires des fameux ateliers du Marais à Bruxelles où se trouvent les acteurs du mouvement Cobra. Alechinsky devient son ami pour toujours. Dix ans plus tard, ils partageront le même atelier à la bosse dans l’Oise. Et tout ira très vite : Paris, New York, Sao Paulo ou encore Venise, dès 1965, reconnaissent l’importance de l’£uvre en cours.

Avec ses cheveux en bataille, sa grosse moustache et ses yeux à la Brassens, lui le dinandier et à l’occasion réparateur de machines à laver, est bel et bien devenu un  » artiste « . Et donc, libre. Libre de laisser venir à lui son imaginaire sans rendre de compte à personne. Pas même à lui-même. Où va-t-il ? Où le mènent ses propres mains ?  » Il n’y a que les trains qui arrivent « , disait Cocteau. Il se laisse donc guider. Pourtant, c’est bien à partir d’une surface lisse et vide qu’il prend son départ. Une sorte de page blanche, sauf qu’il s’agit ici de cuivre aussitôt posé sur l’enclume. Commence alors un combat joyeux et patient. Avec le marteau postillon, le maillet tonneau, les battes à planer, les barres de tôlier, les poinçons et puis le feu et puis l’eau dans un va-et-vient entre le chaud et le froid. La soudure gonfle une patte, les doigts ressemblent à des griffes. Bientôt se dresse une silhouette d’oiseau fleur ou de fleur aux contours d’oiseau avec bien des rondeurs (notre homme aime aussi la bonne chère) et puis des creux et des rebonds.

Il y a toujours de l’envol dans la succession des plans et des courbes de cuivre, un parfum de spirale et parfois des chutes en piqué. Rampent des araignées et autres insectes menaçants, bêtes à pinces, mantes religieuses, moustiques, hauts sur pattes, la gueule ouverte, le sourire en coin. Car l’humanité n’est pas loin. Elle sera de plus en plus présente. Ce sont des anonymes. Ils jouent des rôles, forcent le trait, s’adressent au visiteur ou à leurs congénères. Les titres font partie du jeu : le prévenu, le niais, le palefrenier, le timide, le fouineur ou le roi du cuivre. Ils lancent des ordres : tiens-toi tranquille, viens ici, qu’est-ce que je disais, que disiez-vous ? Peu à peu, la tribu grandit. Une véritable invasion. Peu à peu, elle remplit l’atelier puis le jardin, les couloirs et même la cuisine aux côtés des pots de confitures, des casseroles et des bouteilles de vin. Reinhoud s’amuse. Pauvre humanité, qu’elle est drôle ! Reinhoud moraliste ? Là-haut, il s’esclaffe. A Bruxelles, à l’occasion de la sortie chez Gallimard du quatrième volume du catalogue raisonné préfacé par l’un de ses plus fidèles amis, Frédéric Baal, le musée des Beaux-Arts rassemble une soixantaine de pièces venues en droite ligne de l’atelier du sculpteur et graphiste.

Bruxelles, Musées royaux des beaux-arts. Rue de la Régence. Jusqu’au 6 février. Du mardi au dimanche, de 10 à 17 heures. www.fine-arts-museum.be

GUY GILSOUL

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