La Palestine en cent dimensions

Photo, vidéo, cinéma, musique, théâtre, littérature… Le festival Masarat nous ouvre grand les yeux sur les créateurs palestiniens.

La Palestine ? Un Etat qui n’existe pas. Pourtant, à Alger, en 1988, son existence était proclamée. Pourtant, depuis, 95 pays dans le monde (d’Afrique, du Proche-Orient et d’Asie, pour l’essentiel) reconnaissent officiellement son existence. Pourtant, une dizaine d’autres encore (dont la Belgique) lui accordent un statut diplomatique particulier… Et pourtant, la Palestine n’est toujours pas un Etat à part entière.  » Juste  » une nation morcelée entre sa diaspora internationale, ses  » 48  » (ou Palestiniens restés en 1948 sur le sol d’Israël tout juste créé), ses habitants de Gaza, de Jérusalem-Est, sans oublier ceux qui vivent en Cisjordanie dans des villes, villages ou camps de réfugiés, trois contextes d’autant plus différents que ce territoire a été subdivisé par le gouvernement israélien en multiples zones-îlots allant de  » A  » à  » C « , chacune étant plus ou moins fermement contrôlée par les forces israéliennes ou plus ou moins clairement placée sous autorité palestinienne. Une réalité complexe, qui plonge cette communauté dans un patchwork géographique, social, économique et culturel aux réalités de vie radicalement multiples.

Cette multiplicité et cette complexité, le festival Masarat Palestine invite à les découvrir, à les explorer, sans volonté partisane mais avec un parti pris clair : donner la parole à des artistes palestiniens et, par leur prisme artistique, dévoiler les vécus, les plaies et les rêves d’un peuple en quête d’une autre reconnaissance.

Masarat signifie  » itinéraires « , en arabe. De nombreux parcours, en effet, dans ce Masarat Palestine. Initié par le Commissariat général aux relations internationales de la Communauté française, ce festival inédit déclinera jusque début février prochain une centaine de rendez-vous en Wallonie et à Bruxelles, mais aussi à Anvers et à Lille. Un événement culturel d’envergure, coordonné par Fabienne Verstraeten, directrice des Halles de Schaerbeek, et mis sur pied avec l’aide d’un comité conseil regroupant une dizaine de personnalités et d’artistes palestiniens. Un événement à haute densité symbolique et politique, aussi. En mai dernier, Israël célébrait ses 60 ans d’existence. Pour les Palestiniens, 1948 a une tout autre résonance : c’est l’année de la Nakba, de la  » catastrophe « , de l’exil et de l’exode pour quelque 800 000 Palestiniens… Et, même si cette date anniversaire n’est pas ouvertement brandie par les organisateurs de Masarat, la plupart des artistes invités véhiculent un discours fort, aux intonations politiques évidentes. L’occupation, le mur, les check-points, les colonies, l’exil de 1948… sont des sujets omniprésents dans les propositions (plastiques et théâtrales, surtout) de Masarat. Mais pourrait-il en être autrement ?

Etre un artiste sous occupation, depuis soixante ans

 » Etre artiste en Palestine, c’est quelque chose d’ordinaire, comme être chauffeur de taxi. Sans plus « , commente l’auteur et poète Najwan Darwish, avant d’ajouter :  » Par contre, cela signifie quelque chose en matière de responsabilité et d’engagement. Vous ne pouvez pas simplement vous dire que vous êtes un artiste et que la réalité politique ne vous concerne pas. Il y a des questions d’ordre moral auxquelles il faut faire face. Nous vivons ici sous occupation, depuis soixante ans maintenant. Tout ce que j’écris parle de liberté, ce n’est pas innocent. Le concept de liberté est, pour moi, une résistance à l’occupation. L’occupation est quelque chose d’indescriptible. Vous devez la vivre pendant un certain temps pour savoir ce que c’est exactement. Pour savoir ce que cela signifie quand de simples choses deviennent des rêves, comme se rendre dans une ville située à dix minutes de chez soi, par exemple. Ici, en Cisjordanie, avec le mur, les check-points, les routes coupées, c’est presque impossible : les villes sont comme de grandes prisons, des camps de concentration j’oserais même dire, même si l’on ne nous y tue pas directement… Il faut une certaine dose d’ironie pour résister à tout cela. Si vous le faites avec sérieux, je pense que vous finissez par vous exploser la tête. « 

En février dernier, l’artiste de cirque Shadi Zmorrod présentait aux Halles de Schaerbeek Circus behind the Wall, pièce créée dans le cadre de l’école de cirque qu’il dirige à Ramallah.  » Ce spectacle parlait de notre quotidien en tant que Palestiniens, vivant précisément behind the wall, derrière ces murs de béton que le gouvernement israélien a fait construire un peu partout en Cisjordanie. Une situation dont on a très peu connaissance, j’ai l’impression, en Europe, où l’on nous voit davantage comme des terroristes. Avec cette pièce, nous avions envie non pas de montrer une autre image de la Palestine, mais la vraie image ! Il n’y aurait pas un seul « martyr-bombe » volontaire, si celui-ci avait une vie normale.  » Et Shadi Zmorrod de terminer avec une métaphore que beaucoup de Palestiniens aiment utiliser :  » Si vous enfermez un chat dans une pièce pendant dix jours, sans nourriture, quand vous rouvrirez la porte, vous pouvez être sûr qu’il vous sautera dessus et vous griffera comme un fou. Qu’en est-il si ce chat est un homme ? Et si les dix jours sont des décennies ?  »

Masarat Palestine, jusque début février 2009. Dans différentes villes de Wallonie, à Bruxelles, Anvers et Lille. www.masarat.be

Olivier Hespel

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