La N-VA au pouvoir : le chaos

A la tête d’une commune flamande sur deux, le parti nationaliste multiplie les dérapages. Il ne met pas en place le changement annoncé, mais stigmatise les plus faibles. Voici les raisons pour lesquelles les nationalistes pourraient perdre les élections fédérales de 2014.

Octobre 2012. Grand vainqueur du scrutin communal anversois, Bart De Wever, président de la N-VA, marche sur l’hôtel de ville et clame, non sans arrogance :  » Anvers est à tout le monde, mais ce soir surtout à nous.  » 1er janvier 2013. Le parti nationaliste accède au pouvoir dans la moitié des communes flamandes et décroche plus de 50 postes de bourgmestre. Une certitude, alors : c’est la rampe de lancement idéale pour un nouveau triomphe lors de la  » mère de toutes les élections  » du 25 mai 2014.

Près d’un an plus tard, à l’heure décisive de l’adoption des plans budgétaires pluriannuels qui dicteront la marche à suivre pour toute la législature, le constat est tout autre : la gestion des communes est devenue un piège pour la formation nationaliste, désireuse d’imposer une marche accélérée vers le confédéralisme au lendemain des élections fédérales. Un piège d’autant plus dangereux que Bart De Wever, après avoir promis de rester toute la législature à la tête d’Anvers, devrait bientôt annoncer qu’il tirera la liste de son parti pour la Chambre. Candidat Premier ministre, il délaisserait alors la métropole, cédant sa direction à son bras droit Liesbeth Homans, présidente du CPAS.

 » La N-VA a gagné les élections communales sur des thèmes nationaux, en se drapant sous la bannière flamande, mais elle pourrait perdre les élections fédérales en raison de son manque de résultats au niveau local, analyse Johan Ackaert, politologue à l’université d’Hasselt. Sur un an, les résultats des sondages réalisés par un même institut indiquent déjà un léger recul du parti. La N-VA se situe autour des 30 %, soit environ le score obtenu aux provinciales de 2012, qui sera le point de référence en 2014. On est très loin de l’objectif des 40 % fixé en mars dernier par le ministre Geert Bourgeois, afin que le parti soit incontournable.  »

Des dérapages en série

Depuis la mise en place des collèges communaux, il n’est pratiquement pas un mois sans que l’une ou l’autre majorité vacille sous l’effet de dérapages d’un mandataire N-VA, quand elle ne chute pas en raison de dissensions internes. Sans oublier les multiples manifestations symboliques d’un nationalisme conservateur opposé à toute forme d’expression étrangère.

En janvier, l’échevin de Courtrai Rudolf Scherpereel indigne, et fait sourire à la fois, en demandant aux propriétaires de la friture Grand-Place de rebaptiser leur établissement en néerlandais. Frieda Brepoels, bourgmestre de Bilzen, déconcerte tout autant en s’en prenant aux slogans en anglais. Le maïeur d’Alost Christoph D’Haese, lui, soutient l’idée de flamandiser les noms de rue ou de décrocher les drapeaux belges des lieux publics. Jean-Jacques De Gucht, chef de groupe Open VLD à Alost, s’insurge face à l’image donnée de sa ville par la N-VA.  » On l’a présentée à la télévision néerlandaise comme un symbole du nationalisme flamand, regrette-t-il. Ce n’est pas du tout la façon dont j’aimerais qu’on la regarde. Et tout cela par un bourgmestre qui n’était pas du tout nationaliste avant de devenir tête de liste N-VA (NDLR : il était membre de… l’Open VLD) et qui agit par pur opportunisme.  »

Les cas semblables se sont multipliés. En juin, à Dilbeek, l’échevin Frank De Dobbeleer baisse son pantalon lors d’une réunion publique au moment de citer un club de pétanque francophone : il s’est excusé, mais est toujours en place. En septembre, le parti nationaliste est rejeté dans l’opposition à Turnhout suite à des querelles intestines, le bourgmestre N-VA Erwin Brentjens étant accusé par les siens de  » mensonges et d’intimidations « . Des dissidents regrettent que  » tout soit dirigé depuis le siège du parti à Bruxelles « . Dans plusieurs communes du Brabant flamand et du Limbourg, des élus quittent le navire pour les mêmes raisons, tandis qu’une échevine se voit retirer ses attributions en raison d’un  » manque de collaboration  » au sein du collège. Le chaos !

 » Le désavantage de la progression fulgurante de la N-VA, c’est qu’elle doit composer avec un personnel politique souvent inexpérimenté, souligne Herwig Reynaert, politologue à l’université de Gand, spécialiste des pouvoirs locaux. Ces incidents ont pris une proportion d’autant plus importante que l’attention des médias est focalisée sur la manière dont les nationalistes se comportent au pouvoir. Tous les partis commettent des gaffes, mais celles de la N-VA pèsent davantage.  »  » Ces incidents à répétition ont fortement terni l’image jusque-là immaculée du parti de Bart De Wever, enchaîne Johan Ackaert. Ces nouveaux mandataires ne savent pas comment régler les situations délicates et ne s’attendaient pas à ce que la gestion soit si lourde. Cela risque de coûter cher à la N-VA.  »

 » Oui, il y a eu des incidents, reconnaît Joachim Pohlmann, porte-parole de la N-VA. Mais cela reste limité quand on sait que nous sommes passés de 350 à 2 550 mandataires locaux en une élection. Nous les avons formés autant que possible et quand il y avait des problèmes, nous les avons mis devant leurs responsabilités, comme à Turnhout. Mais des tensions, il y en a ailleurs, sans que les médias en parlent. A Zaventem, par exemple, la commune est restée dix mois sans gouvernance en raison de disputes entre Open VLD, CD&V et SP.A-Groen.  »

Pas le changement, mais la paralysie

 » De kracht van verandering « ,  » la force du changement  » : c’est avec ce slogan que la N-VA est partie à la conquête des coeurs de Flandre en 2012. Un an plus tard, la révolution annoncée n’a pas eu lieu.  » Ce slogan plaçait sans doute la barre trop haut, dit Johan Ackaert. D’autant qu’il n’y a pas de marges budgétaires disponibles, certainement en cette période de crise. Les communes flamandes plient sous le poids de la charge des pensions. Leurs mandataires doivent accepter des compromis, ce qui ne fait pas partie du vocabulaire de la N-VA. En outre, il est très difficile aujourd’hui de faire la différence au niveau communal. On parle toujours d’autonomie locale, mais c’est une notion du siècle passé. Aujourd’hui, une commune dépend beaucoup de l’Europe, du fédéral et du régional. Le collège des bourgmestres et échevins n’est plus le cockpit décisionnel d’antan.  »  » La « force du changement » n’est pas au rendez-vous, acquiesce Herwig Reynaert. Dans les majorités où les nationalistes se trouvent, ils se rendent compte que le changement ne se fait pas du jour au lendemain.  »

Joachim Pohlmann estime que la ligne de la N-VA est claire :  » Nous sommes très attentifs à l’assainissement des finances publiques, surtout à la charge des pensions. Quand des réinvestissements sont possibles, nous les concentrons sur l’économie locale. Et nous veillons à ce que la protection sociale bénéficie à ceux qui en ont vraiment besoin, en mettant l’accent sur la responsabilisation de ceux qui peuvent retrouver du travail.  »

Dans les faits, les critiques sont pourtant vives. A Anvers, l’heure est au plan de restructuration avec la suppression de 1 420 temps pleins à l’horizon 2019.  » Le plan budgétaire pluriannuel démontre que la N-VA a choisi de faire payer le coût de la crise et des pensions des fonctionnaires aux seuls Anversois, fustige Yasmine Kherbache, cheffe de file socialiste. Nous plaidions pour qu’elle négocie un pacte local avec le gouvernement flamand afin que celui-ci prenne en charge une partie du surcoût, mais rien n’a été fait en ce sens. C’est le choix de la facilité et des économies linéaires. Résultats ? Les services au public seront les premiers touchés. Il y aura bientôt un grave problème pour accueillir les enfants dans les écoles. A côté de cela, ce plan pluriannuel ne révolutionne rien. Derrière la communication, c’est le vide !  »

A Alost, où les nationalistes emmènent une majorité  » contre-nature  » avec le CD&V et le SP.A, on abonde dans le même sens.  » La N-VA ne gère pas la commune en bon père de famille comme elle devrait le faire, estime Jean-Jacques De Gucht, chef de file Open VLD. Elle essaye d’étaler au maximum ce qu’elle peut faire dans la perspective des élections de 2014 en construisant une bibliothèque ou un complexe sportif. Nous ne sommes pas opposés à ces projets mais leur financement est inacceptable. La N-VA hypothèque l’avenir des Alostois avec une vision à court terme, sans rien mettre en oeuvre pour faire face aux charges des pensions.  » Bref, ce n’est ni le changement annoncé, ni une ligne responsable.

Un discours  » radical et stigmatisant  »

Le radicalisme de la N-VA se loge surtout dans des déclarations avant tout soucieuses d’avoir un impact médiatique maximum. A Anvers, singulièrement, la présidente du CPAS Liesbeth Homans, amie de Bart De Wever depuis l’université, multiplie les annonces provocatrices : lier l’accès des demandeurs d’asile aux médicaments pour le sida à un engagement à quitter le territoire, souhait de retirer le CPAS aux bénéficiaires qui refusent de travailler pour ne pas parler de ses multiples interviews proclamant que le racisme est  » une notion relative « .

 » Ce qui me préoccupe le plus, c’est la manière dont les nationalistes font de la politique, clame Yasmine Kherbache, qui, en plus de mener l’opposition à Anvers, est cheffe de cabinet du Premier ministre Elio Di Rupo. Ils stigmatisent sans cesse les plus faibles et les caricaturent comme étant tous des profiteurs. Sans toujours dire la vérité : ils donnent l’impression qu’il n’y a aucune politique d’activation des chômeurs à Anvers, aucun accompagnement des bénéficiaires du CPAS, alors que cela existe depuis dix ans. La ville était à l’avant-garde dans ce domaine. Oui, il faut responsabiliser les gens, mais sans pour autant les dénigrer ! Plus généralement, ils dressent les habitants les uns comme les autres. Politiquement, ils ne nous considèrent pas comme des opposants mais comme des ennemis, sans chercher à mener un vrai débat de fond.  »

Ulcérée par ses pratiques, l’opposition a quitté le conseil communal en pleine séance en mai dernier. Une première. C’est ce qui est également arrivé en septembre à Alost. Jean-Jacques De Gucht parle de  » déficit démocratique « .  » Il est normal qu’il y ait des divergences entre la majorité et l’opposition, mais on ne respecte pas notre voix, dénonce-t-il. C’est une dictature de la majorité qui se met en place. Nous apprenons, en outre, toujours les décisions par les médias, alors qu’il serait normal d’informer le conseil communal au préalable.  »

 » La politique de la N-VA polarise beaucoup plus les positions que celle des majorités précédentes, constate Johan Ackaert. Je doute de la pertinence de cette stratégie car pour mener à bien cette bonne gestion dont la N-VA se veut partisane, il faut un éventail politique beaucoup plus large. N’oublions qu’elle a attiré beaucoup d’électeurs du Vlaams Belang. Si elle veut les garder, elle doit leur envoyer des signaux. Cela explique les sorties provocatrices de Liesbeth Homans, même si elle sait sans doute très bien qu’elles sont contraires à des législations fédérales ou européennes. La N-VA, comme le Vlaams Belang, doit son succès aux électeurs méfiants, qui se détournent de la politique et préfèrent soutenir une formation d’opposition plutôt qu’un parti au pouvoir. Cela la renforce dans la tentation de tenir un discours radical.  »

La N-VA, source d’une polarisation accrue de la vie politique ? Au parti, on botte en touche.  » C’est peut-être le cas à Anvers et à Alost, mais nous n’en sommes pas les seuls responsables. Ailleurs, cela se passe mieux.  » Voire… Un dissident de Turnhout résume :  » Au sein de la N-VA, il n’y a aucune place pour la discussion ou la liberté d’expression.  »

Le dilemme de Bart De Wever

Toujours président de la N-VA, Bart De Wever risque d’être le prochain caillou dans la chaussure de son parti. Le 20 novembre dernier, l’ancien homme le plus populaire de Flandre (il a été dépassé depuis dans les sondages par l’Open VLD Maggie De Block) faisait la  » Une  » de tous les journaux pour un séjour aux soins intensifs en raison d’une infection pulmonaire. La conséquence, dit-il, d’un  » choc émotionnel  » qui aurait été provoqué par la rencontre avec la maman d’un enfant basque enlevé dans les docks d’Anvers. De retour  » au combat  » vendredi dernier, lors de l’émission Terzake sur Canvas, il s’est opportunément exprimé sur son régime, soulignant que son médecin le déclarait désormais en  » excellente santé « . Surtout, le leader nationaliste a fortement critiqué le plan de relance adopté par l’équipe Di Rupo, estimant que lors de la prochaine législature, il faudrait un  » gouvernement faiseur de miracles  » pour permettre à la Belgique de revenir à l’équilibre budgétaire.

Bart De Wever sauveur de la nation, quitte à délaisser Anvers malgré sa promesse de rester bourgmestre six ans durant ? Un quotidien flamand annonçait récemment qu’il pourrait se déclarer ce 8 décembre tête de liste à la Chambre pour 2014.  » Ce n’est pas à l’ordre du jour, grince le porte-parole de la N-VA. Jusqu’à nouvel ordre, Bart De Wever reste bourgmestre d’Anvers et seulement bourgmestre d’Anvers.  »

Un flou, quoi qu’il en soit, qui pourrait lui être préjudiciable d’autant que personne ne doute de sa candidature pour mai 2014.  » Ce choix cornélien pour De Wever entre Anvers et le fédéral est prévisible depuis son succès au scrutin d’octobre 2012, souligne Johan Ackaert. Il reste le seul à pouvoir incarner la N-VA et je ne doute pas qu’il ait d’autres ambitions que celle de diriger Anvers. S’il quitte la ville, pourtant, cela signifie qu’il brise l’engagement pris auprès des électeurs. Le message serait identique s’il finissait par rester après avoir refusé de monter au gouvernement fédéral après les élections : cela signifierait que les Anversois ne constituent pas sa première préoccupation.  »

 » Je regrette que l’agenda 2014 soit visiblement plus important pour le plan de carrière du bourgmestre que pour la gestion de la ville « , conclut Yasmine Kherbache.

Par Olivier Mouton; O.M.

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