La musique au coeur

A la veille de prendre les commandes de Pelléas et Mélisande de Debussy, le jeune chef permanent de l’Orchestre de la Monnaie n’en est pas à un défi près. Il va enchaîner avec un Cosi fan tutte mis en scène par Michael Haneke, suivi d’une oeuvre très atypique de Mozart.

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Le Vif/L’Express : Directeur du Seattle Symphony Orchestra depuis septembre 2011, vous êtes également chef permanent de l’Orchestre symphonique de la Monnaie. Cette double mission n’est-elle pas trop lourde à assumer ?

Ludovic Morlot : Non. En réalité, j’ai trouvé un équilibre entre ces deux orchestres et ma vie s’en est trouvée simplifiée. En outre, j’ai toujours rêvé de cet équilibre entre une activité symphonique intense et un travail de collaboration avec des chanteurs et des metteurs en scène inspirés. Et puis, depuis que j’ai ces deux affectations fixes, je perds beaucoup moins de temps et d’énergie à voyager et à nouer des contacts avec de nouveaux ensembles…

Pelléas et Mélisande de Debussy sera votre première expérience de direction lyrique à la Monnaie. Sous quel angle allez-vous aborder cette oeuvre ?

L’oeuvre de Debussy n’est pas impressionniste ou floue au niveau du rendu du son et de l’orchestre. C’est au contraire une musique symboliste très détaillée. La Mer, Pelléas ou encore Le Prélude à l’après-midi d’un faune font partie de la même constellation musicale qui ouvre la voie à la modernité. Il y a dans cette partition de Pelléas un ostinato rythmique qui est très important. Chaque rythme et chaque nuance est très précis, et cette clarté évoque pour moi Ravel, aussi en raison de l’orchestration qui est magnifique.

En mai, vous enchaînerez avec Cosi fan tutte dans la mise en scène de Michael Haneke, que certains ont déjà pu découvrir au Teatro Real de Madrid. Comment vous préparez-vous à cette collaboration avec ce  » monstre sacré  » du cinéma ?

Quand on la chance de travailler avec Michael Haneke, il faut d’abord se mettre à l’écoute. Pouvoir travailler avec quelqu’un issu d’un autre environnement, d’une autre discipline, est déjà un cadeau extraordinaire en soi. Sa mise en scène, que j’ai eu la chance de découvrir à Madrid, est vraiment novatrice et impressionnante : on pourra comprendre certains aspects du Cosi fan tutte de façon complètement nouvelle et cette relecture me paraît tout à fait enthousiasmante.

De façon plus générale, comment nourrissez-vous votre imaginaire musical ?

Je vais écouter les concerts en direct. Je prends aussi plus de temps pour aller au théâtre. Le cinéma exerce sur moi une influence considérable, ainsi que les lectures et les voyages. Et le fait de travailler avec Peter de Caluwe, qui vient lui-même de cet univers du théâtre, est pour moi un défi magnifique.

En octobre, vous aborderez La Clemenza di Tito, un Mozart assez atypique. Quelles en seront les lignes de force ?

C’est évidemment une oeuvre très différente du Cosi fan tutte, même si l’on reste complètement dans une esthétique mozartienne au niveau orchestral. La Clemenza est une oeuvre tardive de 1791, plus courte que les grands opera seria antérieurs, mais non moins dense, notamment du point de vue thématique. On y évoque l’exercice du pouvoir, les compromis et même parfois les compromissions qu’il implique.

Avec Jenufa, de Leos Janacek, début 2014, vous changez à nouveau complètement de registre. Qu’est-ce qui vous a attiré dans cette oeuvre ?

Les deux oeuvres que j’aborde au cours de cette nouvelle saison sont effectivement très contrastées, mais c’est ce qui me plaît ! Ce qui m’a le plus séduit dans la Jenufa de Janacek, c’est l’idée que ce compositeur a exploité tout ce riche folklore morave, y compris dans sa recherche sur les costumes. Même l’articulation rythmique est basée sur ce folklore.

Vis-à-vis du public, quelle sera votre plus grande ambition ?

Je pense qu’il faut absolument réparer le fait qu’il y ait des gens qui vivent sans musique. L’important pour moi est de contribuer à créer ce premier souvenir musical chez les jeunes par exemple. Pour nous musiciens, c’est presque une mission pédagogique de faire en sorte que tout le monde ait un jour cette chance.

PROPOS RECUEILLIS PAR ALAIN GAILLIARD

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