« La musicothérapie est encore mal comprise »
Psychologue clinicienne, Fabienne Cassiers recourt à la musicothérapie active pour soigner des enfants autistes, des handicapés mentaux et des personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer. Avec quels résultats ?
Sa vocation est précoce : dès l’âge de 18 ans, Fabienne Cassiers rêve d’entreprendre des études de musicothérapie, domaine pourtant peu connu à l’aube des années 1990. L’enseignement supérieur en Belgique francophone ne proposant pas cette orientation, la jeune Belge projette de s’inscrire à l’Uqam, l’université du Québec à Montréal : le Canada est l’un des pays phares pour la recherche et la formation en musicothérapie. Mais elle réalise que son diplôme ne sera pas reconnu en Belgique et s’oriente plutôt vers la psychologie à l’UCL. Formée par la suite en musicothérapie en France et en Argentine, elle a fondé le Centre Benenzon Belgique, association qui a récemment pris ses quartiers au coeur du parc Josaphat, à Schaerbeek. Le » modèle Benenzon « , du nom du psychiatre et musicien argentin Rolando Benenzon, est l’une des cinq approches associant musique et thérapie reconnues par la Fédération mondiale de musicothérapie. Sa particularité : la relation au patient se développe exclusivement dans le non-verbal. Pratiquée en individuel ou en groupe, la thérapie vise des personnes dont la parole n’est pas le mode de communication le plus adéquat : enfants autistes ou psychotiques, adultes atteints de déficiences mentales…
A-t-on une idée précise, en Belgique, de ce qu’est la musicothérapie ?
Pas vraiment. Le mot reste mal compris. Dans l’imaginaire collectif persiste l’idée que cette thérapie se réduit à faire écouter des morceaux de musique à des personnes pour leur bien-être. On confond même musicothérapie et animation musicale en milieu hospitalier ou en maison de repos. Ou alors, certains pensent que l’objectif de la musicothérapie est de remplacer le traitement d’une maladie par la pratique artistique. Ce n’est pas le cas. La musicothérapie est une démarche du même ordre qu’une psychothérapie classique. La musique est un écran blanc sur lequel nous pouvons projeter nos souvenirs, nos émotions, nos douleurs. La musicothérapie active, que je pratique, fait du patient un créateur.
Comment se déroulent les séances ?
Tous les moyens non verbaux peuvent être utilisés : la musique, le chant, les mouvements du corps. Nous mettons à la disposition des patients des tambourins, des congas, des maracas, des balafons, des flûtes… Les jeunes enfants sont les plus spontanés, car le non-verbal ne les déstabilise pas. Les adultes, eux, sont déroutés au début. Privés de l’usage de la parole, ils ne savent que faire de leur corps. Puis, ils renoncent à leur comportement défensif et déchargent leur angoisse. Le recours au non-verbal peut conduire à une régression au stade infantile. Des participants cherchent à en toucher d’autres. Au thérapeute à rester vigilant face à des comportements intrusifs ou d’érotisation du corps. La liberté accordée aux participants doit être conçue dans un cadre strict. Pas question de transes !
Avec des enfants autistes profonds, la pratique thérapeutique est différente ?
Dans leur cas, la prise en charge est individuelle, car ils exigent une attention à 100 %, et le non- verbal s’impose, puisqu’ils ne parlent pas. Nous ne considérons pas leur balancement ou le fait qu’ils se brouillent la vue avec leurs doigts comme des symptômes de leur mal. Nous accueillons ces expressions comme des moyens d’atténuer leur angoisse. Pour communiquer avec eux, nous nous mettons à leur hauteur, en les imitant. Les approches habituelles proposées à ces enfants sont éducatives et fonctionnent sur le principe de la récompense, pour que l’autiste s’adapte à notre monde. Nous faisons l’inverse : nous lui donnons un espace au sein duquel il peut s’exprimer tel qu’il est, et c’est aux autres à s’adapter à son mode de communication. Nous travaillons aussi avec la fratrie et les parents de l’enfant autiste, toujours en mode non verbal. L’idée est d’apaiser leurs relations.
Comment se déroule votre travail avec les personnes atteintes par la maladie d’Alzheimer et les handicapés mentaux ?
Des thérapies de groupes sont mises sur pied à la demande d’institutions ou de maisons de repos. La mémoire musicale des patients touchés par la maladie d’Alzheimer est moins défaillante que leur mémoire verbale. Pour les faire chanter ensemble, le CD est trop rigide. Je préfère jouer moi-même au piano ou à la guitare. Cela permet de ralentir le rythme, de répéter le refrain… Pour les Alzheimer agités, agressifs et désinhibés, une approche non verbale individualisée permet de s’adapter à leur mode d’expression. Avec les personnes handicapées mentales, qui souffrent du regard des autres, le travail vise l’estime de soi et le bien-être global. Nous nous occupons aussi d’adultes qui souffrent de migraine chronique et autres douleurs lancinantes. Dans leur vie de tous les jours, ils n’ont pas toujours les mots pour exprimer leur douleur et fatiguent leur entourage à force de répéter qu’ils ont mal. Le non-verbal leur ouvre une dimension qui leur permet d’habiter autrement leur souffrance.
Le statut de musicothérapeute n’existe pas en Belgique. Les intervenants intégrés dans une équipe de soins – en psychiatrie, gériatrie ou chirurgie – pour leurs compétences en musicothérapie sont embauchés en fonction de leur formation première : artiste, éducateur, psychologue, infirmier psychiatrique, ergothérapeute… Les engagements en hôpitaux, centres thérapeutiques ou structures de quartier sont le plus souvent ponctuels et dépendent d’un projet et des crédits nécessaires à sa réalisation. A défaut de certification universitaire reconnue en art-thérapie ou musicothérapie, la reconnaissance professionnelle reste une affaire de terrain. Les candidats musicothérapeutes peuvent suivre des formations d’initiative privée, qu’ils complètent en général par un cursus à l’étranger.
A la différence d’un animateur-musicien ou d’un infirmier-musicien, le musicothérapeute a une formation thérapeutique et des références théoriques approfondies qui lui permettent d’ajuster ses objectifs en fonction des patients traités. Ainsi, en cas de traumatisme crânien ou de maladie d’Alzheimer, l’apprentissage et la mémorisation d’une mélodie favoriseront la rééducation des fonctions cognitives. En psychomotricité, l’utilisation d’instruments rythmiques permettra des exercices de coordination et de latéralisation des mouvements. Seul un musicien confirmé formé en psychologie peut aborder un tel travail.
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