La mort, oui mais après…

Guy Gilsoul Journaliste

L’Egypte ancienne a fait de la mort le sujet principal de la vie. A Londres, une exposition exceptionnelle réunit papyrus, cercueils, masque d’or, amulettes et autres parures. Fascinant.

On n’y comprend rien.  » Lorsque, au milieu du xixe siècle, paraissent les premières traductions du Livre des morts dont le contenu remonte aux origines de la pensée égyptienne, l’avis est unanime. On évoque le délire, voire la schizophrénie. Et en effet, il serait vain d’y chercher un texte suivi, une histoire entre alpha et omega. Vain, en clair, d’y retrouver ce que la Grèce antique nous a offert en modèle : l’idéal d’équilibre et d’harmonie, la recherche des proportions justes et du rythme. Bref, la beauté classique. A sa place, l’Egypte magnifie l’énigmatique et se délecte de l’incompréhensible, de l’inconcevable, du contradictoire et de l’irrationnel. En lieu et place d’un récit ayant pour thème le voyage dans l’au-delà (on songe à Dante), voici donc, sous forme de monologue, des fragments nourris par des visions où se côtoient, se superposent et s’opposent les moments de désarroi, d’affirmation, de supplication.

Le mort en est le héros, et son voyage dans l’au-delà une expérience qui peut le précipiter dans le noir le plus absolu ou, au contraire, le conduire vers la lumière du jour, la victoire sur la mort. Il écrit donc à la première personne et, tour à tour, se présente en humain ou s’assimile au dieu suprême Osiris. Comme il a le don des métamorphoses, il peut aussi devenir plante ou animal en fonction des moments. Une fois le premier seuil franchi, il entre dans l’inconnu, le monde inférieur, le ciel mais aussi la Terre et ses plaisirs. L’Egyptien reste un jouisseur. Au fil des portes et des lieux, il sera interrogé, et gare à lui s’il ne peut fournir la réponse juste. Souvent, il s’agit de noms dont la puissance magique remonte à l’aube de cette civilisation. Mais ses peurs n’ont d’égale que son ambition : conquérir l’au-delà de la vie :  » La mort est devant moi comme le désir d’un homme de revoir sa maison après des années sans nombre de captivité.  » La vie ne serait donc qu’un passage, un moment somme toute négligeable. La mort, un temps d’arrêt provisoire. Mais du coup, le temps lui-même n’a plus la même valeur. Le corps devient, pour peu qu’il soit momifié, pareil à la pierre : éternel. Il peut alors prétendre à une autre conscience et dépasser les limites imposées par la réalité : l’espace se distend, les métamorphoses se multiplient, l’incohérence devient qualité… et le mort désormais debout gagne  » LA  » liberté absolue. Il devient dieu. Au devenir qui est la loi de la vie, il a gagné l’absolu de l’Etre.

Longtemps réservés aux pharaons, ces mots secrets inscrits dans les caveaux se répandent dès les années 1600 avant Jésus-Christ sur les parois des sarcophages et sur les papyrus et ce, jusqu’au Ier siècle de notre ère. Ce sont des rouleaux de trois ou quatre mètres de long sans aucune ponctuation. Parfois plus long comme le Greenfiled Papyrus exposé ici (37 mètres). En réunissant aujourd’hui autant d’exemples de ces textes magiques à leur tour accompagnés par un ensemble de cercueils, masques, amulettes, bijoux et sculptures, le British Museum comble non seulement les égyptologues avertis mais aussi tous ceux qui, aujourd’hui, héritiers non plus de l’idéal grec mais du surréalisme, de la psychanalyse et du post-modernisme, trouveront, dans ces énigmes visionnaires, un écho à leur sentiment : oui, tout est possible.

Un voyage dans la vie après la mort, Londres, British Museum. Du 4 novembre au 6 mars. Tous les jours, de 10 à 17 h30. www.britishmuseum.org Avec www.sncb-europe.com en moins de deux heures.

GUY GILSOUL

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