» La monarchie n’est pas rétrograde « 

Pour son premier voyage officiel à l’étranger depuis son mariage avec Daniel Westling, au début de l’été, la princesse Victoria de Suède, 33 ans, héritière du trône, a choisi la France. Destination logique : la future reine descend en droite ligne, au huitième degré, du maréchal d’empire français Jean-Baptiste Bernadotte. Lequel hérita de la couronne suédoise voilà exactement deux cents ans. La semaine dernière, la princesse héritière a reçu Le Vif/L’Express dans les appartements privés du château de Stockholm, massif quadrilatère posé sur la vieille ville, au bord de la Baltique. Seules conditions posées : ne pas aborder de sujets politiques – la loi suédoise le lui interdit – et être accompagnée de Daniel, son ancien coach sportif devenu prince consort.

Le Vif/L’Express : Les Suédois savent que vous êtes une femme qui vit avec les valeurs de son époque. Un jour, cependant, vous allez régner et deviendrez Victoria Ire de Suède. Cette perspective n’est-elle pas effrayante ?

Victoria de Suède : Non, pas du tout. C’est une idée avec laquelle j’ai grandi, et je me prépare depuis toujours à cette échéance. J’ai constamment cela en ligne de mire. Cela fait partie de mon travail quotidien, qui est un apprentissage continuel. Chaque jour, je m’efforce de donner le meilleur de moi-même pour la Suède afin de représenter mon pays de manière exemplaire, autant que possible. J’ai parfaitement conscience que je succéderai tôt ou tard à mon père, Charles XVI Gustave de Suède. Mais je ne suis pas pressée. J’espère que ce jour est encore éloigné, car je veux avoir mon père avec moi le plus longtemps possible.

Beaucoup assimilent la vie de princesse ou de prince à un conte de fées. Mais quels sont les aspects les moins réjouissants de votre métier ?

Devenir souverain est une mission que l’on reçoit dès l’enfance, sans l’avoir choisie. Cela implique beaucoup de responsabilités. Je les ai acceptées, en toute humilité et en sachant ce que je faisais. Sans doute la principale difficulté de ma tâche tient-elle au manque de temps. Car je suis amenée à rencontrer un nombre incalculable de personnes. Cela me permet d’être en contact avec toute la société, dans sa diversité, ce qui est fascinant. Mais il faut apprendre à gérer ses émotions. L’on aimerait pouvoir aider tout le mondeà et l’on termine la journée avec la mauvaise conscience de n’avoir pas pu le faire.

Qu’en est-il de la pression constante des médias, notamment de la presse people ?

D’abord, un constat : le succès de la presse people traduit un vif intérêt du public pour les royautés. Cependant, il est fondamental de pouvoir préserver sa sphère privée, afin de se retrouver avec soi-même. Cela permet de  » recharger les batteries « . Ce respect de la vie privée est un droit fondamental. Tout le monde y a droit, les anonymes comme les personnalités publiques. A l’avenir, ce débat – qui dépasse le cas des têtes couronnées – prendra de l’importance, en raison de l’agressivité croissante d’une certaine presse. Par bonheur, Daniel et moi avons coutume de nous retirer dans certains coins de Suède où la population locale respecte notre intimité et où on nous laisse tranquilles. Si nous nous savions constamment épiés, surveillés, sans possibilité de repli, ce serait très difficile.

Enfant, comment viviez-vous cette pression médiatique ?

A l’époque, mes parents et les médias avaient établi un très bel accord de collaboration, qui visait à me protéger. Ils avaient trouvé un consensus. Et programmé un certain nombre de rencontres annuelles, en dehors desquelles les journalistes me respectaient et laissaient notre famille tranquille. Aujourd’hui, l’époque et le climat médiatique ont changé ; je crois, hélas, que la position d’enfant royal serait aujourd’hui beaucoup moins confortable. Nous verrons ce qu’il en est le jour où, à notre tour, nous aurons des enfants.

Le mois dernier, les médias suédois ont relayé une plainte pour corruption dont vous avez fait l’objet, après qu’un ami de vos parents vous a prêté son jet privé afin que vous vous rendiez aux Seychelles en voyage de noces. Qu’en est-il ?

Cette question a été examinée par le procureur. Il a jugé qu’il n’y avait là rien de répréhensible. Pour nous, l’affaire est donc close.

Permettez-moi de poser une question au prince Daniel : lorsque vous êtes entré dans la famille royale, quelle a été la chose la plus surprenante à vos yeux ?

Cela fait maintenant neuf ans que j’ai été présenté aux parents de Victoria et j’ai eu le temps de m’habituer aux spécificités du statut royal. A l’époque, ce qui m’avait étonné, avant tout, c’était que la famille de Victoria ressemblait par bien des aspects à la mienne. J’ai vite réalisé que ses parents avaient les idées larges, que c’était une famille chaleureuse, décontractée et où l’on riait beaucoup, exactement comme chez mes parents. Le plus impressionnant a été de découvrir à quel point le roi et la reine étaient dévoués à la Suède et aux Suédois, toujours désireux de mettre leur notoriété au service de personnes ou d’organisations dont l’action mérite qu’on les aide.

Au commencement de votre relation avec Daniel, certains secteurs de la société suédoise ont mal accepté son absence de sang bleu. Cela vous a-t-il affectée ?

Précisons d’abord que ces réserves sont aujourd’hui balayées. Cela étant dit, je peux comprendre les interrogations, à l’époque, de certains Suédois. Le choix de mon partenaire était une décision éminemment personnelle. Or elle impliquait aussi l’ensemble du pays, dans la mesure où celui que je choisissais allait représenter la Suède à mon côté. Il était donc légitime – conforme à l’intérêt général, même – que les Suédois se soucient de savoir qui m’accompagnerait dans ma vie. Depuis neuf ans, ils ont constaté à quel point Daniel est un être sérieux qui n’est pas entré dans ma famille à la légère. Ces neuf années ont aussi permis à Daniel de réfléchir aux implications de notre union. Son statut de prince impliquait des contraintes. Il a par exemple été obligé de renoncer à sa vie de chef d’entreprise, dans laquelle il excellait, et de vendre ses sociétés. [NDLR : cinq salles de sport.]

Afin de vous préparer à régner, vous avez voyagé dans le monde entier, où vous avez été confrontée à toutes sortes de situations et avez rencontré de nombreuses personnalités. Qu’avez-vous appris ?

Que voyager à travers le monde à la rencontre de décideurs, de chefs d’Etat ou de célébrités constitue un énorme privilège. Cependant, les  » grandes  » personnalités ne sont pas forcément celles qui vous enseignent les plus grandes leçons. Parler avec une infirmière, un policier ou un enseignant a autant de valeur à mes yeux. Une rencontre m’a particulièrement marquée. C’était en Ethiopie, où je visitais un orphelinat pour enfants séropositifs. Je ne savais pas comment me comporter et il me semblait extraordinaire que l’ambiance fût joyeuse. Après de longues minutes, j’ai réalisé qu’aucun enfant n’avait plus de 11 ansà parce qu’ils décédaient avant d’avoir atteint cet âge. Je fus émue. Dans l’un des berceaux, il y avait un enfant âgé de 3 ans si maigre qu’il semblait avoir 12 mois. J’ai demandé aux religieuses de l’orphelinat si je pouvais le prendre dans mes bras. Une heure et demie durant, il s’est accroché à moi, comme s’il se cramponnait à la vie. Nous ne pouvions pas communiquer en paroles. Mais cet enfant inconnu m’a fait comprendre la dureté et l’injustice du monde. Et cette rencontre, je la garde toujours avec moi.

Et vos parents, le roi Charles XVI Gustave et la reine Silvia, que vous ont-ils appris sur votre  » métier  » ?

Le respect et l’humilité vis-à-vis de ma fonction. Ils m’ont aussi appris à regarder chaque interlocuteur comme une personne à part entière. Ma mère m’a toujours répété :  » Chaque personne est intéressante et a quelque chose à t’apprendre ; il te suffit d’écouter.  » Grâce à elle, j’ai appris à écouter.

Quelle est votre définition de la Suède ?

C’est un pays où tout le monde est proche de la nature. Les Suédois adorent se promener en forêt, ramasser des champignons ou pique-niquer au bord de l’eau. Il faut dire que la nature est partout. En raison de notre faible population (9 millions d’habitants), nous possédons quelque chose dont peu de nations disposent : de l’espace. Pour qui aime le silence et la solitude d’une promenade en forêt, la Suède est un endroit de rêve. Par ailleurs, notre pays est connu dans le monde entier par ses grandes marques : Ericsson, Ikea, H & M, Volvo ou encore Electrolux. Car c’est une nation d’entrepreneurs, qui misent beaucoup sur la recherche, le développement, l’innovation, la technologie. Impossible, aussi, de définir la Suède sans parler du bien-être des citoyens, si chers au c£ur de mes compatriotes. Enfin, une dernière définition de la Suède pourrait se résumer par ce mot, qu’on utilise en toutes circonstances et qui n’existe pas en français :  » Lagom. «  Il signifie :  » Ni trop, ni trop peu.  » Les Suédois sont en effet des gens qui cherchent la juste mesure. Ce sont des êtres consensuels, qui vouent un culte à la recherche du compromis.

La Suède est aussi le pays de la parité hommes-femmes. Au nom de ce principe, la Constitution a été modifiée, en 1980, afin de vous permettre de monter sur le trône à la place de votre petit frère, Carl Philip. La primogéniture masculine, ou loi salique, a alors été abrogée. Approuvez-vous cette décision ?

On ne m’a pas demandé mon avis. J’avais 3 ans et Carl Philip en avait 1. Jusqu’à aujourd’hui, nous n’en avons jamais parlé ensemble, car, en Suède, c’est une chose admise, qui va de soi. En 1980, la question avait déjà été débattue depuis plusieurs années : changer la loi correspondait à l’air du temps. Pour l’opinion, la Suède devait s’adapter à son époque. Cela démontre une certaine modernité, non ?

Dans les foyers suédois, le mari et la femme se partagent équitablement les tâches ménagères. Comment les choses se déroulent-elles chez vous ? Qui fait la vaisselle, qui passe l’aspirateur ?

[Rires.] Pour ça, nous sommes très  » modèle suédois « . [Et, se tournant vers Daniel, qui, très sérieux, acquiesce.] Toi, tu es sans doute meilleur que moi pour la vaisselle.

Le débat sur l’abolition de la monarchie, à laquelle 1 Suédois sur 5 serait favorable, a connu un regain d’intensité avant votre mariage. Cela vous a-t-il affectée ?

Nous vivons dans une démocratie où il est fondamental que l’on puisse mener des débats d’idées. Chacun peut défendre son point de vue et le système politique suédois est ainsi fait que les décisions se prennent au Parlement. Cela étant dit, notre mariage a été l’occasion de mesurer l’énorme soutien populaire dont nous bénéficions. C’était renversant. Honnêtement, nous n’avions pas prévu l’ampleur d’un tel engouement populaire : un demi-million de Suédois dans les rues de Stockholm. Ce soutien nous a impressionnés. Mais cela n’est peut-être pas si étonnant : la monarchie suédoise répond à un besoin de continuité historique. Et cela, à une époque où les bouleversements sociaux transforment le monde comme jamais. Or la raison d’être de la maison royale est de fédérer les Suédois de manière positive. Et de faire le lien entre passé historique, présent et avenir. Loin d’être rétrograde, l’idée monarchique est en phase avec notre époque.

Une dernière question, au prince Daniel : quelles sont les raisons de croire que votre épouse, la princesse Victoria, sera une bonne reine pour la Suède ?

Il y en a beaucoup, mais je me contenterai de la plus importante : tous les Suédois savent que la princesse Victoria est sincère. Ils savent que son image correspond vraiment à ce qu’elle est en réalité. C’est un être authentique, empathique, dévoué à son rôle. Lorsque, le jour de notre mariage, nous avons traversé Stockholm en carrosse, ce lien d’affection entre la population et la future reine était palpable : 500 000 personnes s’étaient déplacées, car elles voulaient partager avec elle ce bonheur. Par la suite, j’ai lu des rapports de police qui décrivaient l’absolue sérénité de cet après-midi-là. Il n’y a pas eu le moindre incident, pas la moindre bagarre, pas la moindre tension. Ce n’est tout de même pas un hasard.

Propos recueillis par axel gyldén Photos : Jean-paul guilloteau/le vif/l’express

 » Il était légitime que les Suédois veuillent savoir qui m’accompagnerait dans la vie « 

 » La raison d’être de la maison royale est de fédérer les Suédois de manière positive « 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire