La métamorphose du président

Il s’efforce de gommer certaines aspérités de sa personnalité. Il tente d’apprivoiser le temps. Il découvre des horizons culturels inattendus. Nicolas Sarkozy a décidé de se réformer lui-même. Le président français a estimé en effet que le moment était venu de se montrer sous un autre jour. Et de créer ainsi un nouveau lien avec les Français. Un travail de longue haleine, qui permet au président de la République de préparer, malgré les difficultés engendrées par la crise financière, l’élection de 2012.

C’est ce qui s’appelle se sculpter une autre silhouette, et même se forger un nouveau personnage. Nicolas Sarkozy n’est plus seulement un président qui pratique le jogging : il fait aussi de la musculation. Nicolas Sarkozy n’est plus un président qui se jette sur les chocolats : il surveille sa ligne. Le 16 mai, dans la loge de Line Renaud, qu’il vient de voir interpréter Très Chère Mathilde sur la scène du théâtre Marigny, il ne veut toucher à rien. Ce soir-là, la comédienne se rappelle les visites de Jacques Chirac :  » Le grand  » lui disait toujours les mêmes choses. Le chef de l’Etat prend sa défense :  » Tu sais, ce n’est pas si facileà  » Il évite désormais, en public, de se montrer cruel avec son prédécesseur. Nicolas Sarkozy n’est plus seulement un président qui compte les militants de son parti comme autant d’affidés, même s’il a lui-même réclamé le lancement d’une campagne d’adhésions : il veut cultiver son lien direct avec les Français. Ravi de ses premiers pas sur Facebook, il a assuré au secrétaire général de l’UMP, Xavier Bertrand, qu’il aurait bientôt plus d’  » amis  » sur le Net (118 480 le 15 juin) que le mouvement ne compte d’adhérents (270 000 au 31 décembre 2008).

L’acte II du quinquennat commencera vraisemblablement le jour où Nicolas Sarkozy changera de Premier ministre. Dans l’attente, le chef de l’Etat joue une autre pièce, celle d’un personnage en quête de hauteur. Voici le temps de la métamorphose. Ces derniers mois, il a gommé par petites touches certaines des aspérités qui lui avaient tant nui. Aux yeux des Français, il se présente sans lunettes de soleil lors des cérémonies officielles ; il prend dorénavant l’avion de ligne pour ses week-ends au cap Nègre ; il veut afficher son calme en publicà même si ses réactions, en privé, restent  » présidentiellement incorrectes  » : en février, devant un visiteur interloqué, il gratifie d’un bras d’honneur la Commission européenne après ses réserves sur le plan automobile français.

Nicolas Sarkozy s’essaie désormais à la modestie, pas forcément spontanée chez lui.  » On n’a pas plus de biceps aujourd’hui que jeudi dernier « , remarquait-il au lendemain du succès de son camp aux élections européennes. Il tente surtout de modifier son rapport avec le temps, donnée ô combien élyséenne.  » Il a un espace libre dans la tête, alors que la conquête du pouvoir avait jusqu’à présent saturé son agenda ainsi que sa disponibilité d’esprit « , relève un proche. La zen attitude n’est certes pas pour demain –  » Il peut encore progresser !  » ironise un ministre constamment mis sous pression – mais il veut moins jouer les hommes pressés.

S’il ne supporte toujours pas d’attendre, son épouse l’invite à donner un peu de temps au temps. Au second jour de la visite d’Etat en Espagne, en avril, la femme du président s’était plainte du rythme du déplacement. Le cortège avait roulé à 130 kilomètres à l’heure et elle détestait cela. Pourquoi la délégation n’avait-elle pas quitté l’hôtel plus tôt ? Et puis le programme était trop chargéà L’Elysée étudie un rythme allégé pour les prochains voyages, avec, si possible, une seule allocution par jour et des étapes moins expéditives.

La culture fait partie de ces registres qui permettent aussi à un président de s’inscrire dans l’Histoire et d’amender son image. François Mitterrand et Jacques Chirac l’avaient bien compris, qui l’un et l’autre, même si ce fut de manière très différente, ont tiré un profit politique de leur action dans ce domaine. C’est maintenant au tour de Nicolas Sarkozy qui s’est choisi pour ministre de la Culture un certain… Frédéric Mitterrand.

Depuis quelques mois, il se montre également plus solitaire.  » Ce serait bien qu’on se voie à plusieurs ministres pour préparer la suite. J’ai plusieurs projets à te vendre « , lance au président Jean-Louis Borloo, le 19 mai, dans l’avion qui les ramène d’un déplacement dans le Bas-Rhin.  » C’est ça. On se voit à sept-huit ministres et, le lendemain, tout se retrouve dans la presse. Non merci !  » répond le chef de l’Etat. Nicolas Sarkozy, à qui sa parole a si souvent échappé, se confie moins devant les membres du gouvernement, immanquables bavards. S’il a évoqué, devant certains d’entre eux, le remaniement qui s’est produit, il s’est gardé de citer des noms.  » Plus cela va, plus il cultive le secret « , confirme un conseiller. Avec le temps, le silence est l’autre arme de tout président.

Il y a lui et tous les autres. Il est seul maître à bord – et, de ce point de vue, il n’est pas près de changer. Le 15 mai, il reçoit l’équipe dirigeante de l’UMP.  » Si la campagne des européennes se passe bien, c’est qu’il y a un chef « , explique-t-il. Quelques jours plus tard, à l’approche du vote, l’Elysée informe Matignon que Nicolas Sarkozy n’apprécierait guère que le Premier ministre s’attribue la victoire. Des responsables de la majorité il n’accepte pas la moindre dissidence. Avoir ainsi intériorisé la fonction ne suffit toutefois pas à échapper aux contraintes du réel. Jusqu’à présent, c’est pour définir sa vision de la France que Nicolas Sarkozy a le plus peiné. Il n’a pas renoncé à sa  » politique de civilisation  » –  » J’en avais parlé trop tôt « , a-t-il répété récemment à des parlementaires – et cherche à se transformer en régulateur, voire en fondateur d’un système économique.  » La crise nous rend de nouveau libres d’imaginer, déclarait-il, le 15 juin, à Genève. C’est le moment d’aller le plus loin possible.  » Vaste programmeà  » Il est dans l’action-réaction, souligne l’un de ses fidèles. Cela peut donner l’impression qu’il part dans tous les sens, d’où les difficultés à trouver la cohérence. Mais il ne la recherche pas. Il agit en homme de chantiers, il a la science pour les scénariser. « 

Eric Mandonnet et Ludovic Vigognex

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