La guerre au paradis

Neuf mois après le scandale du Liechtenstein, la crise bancaire permet à l’Union européenne de poursuivre la lutte contre les paradis fiscaux, notamment ceux qui se trouvent sur le Vieux Continent. Une bataille de longue haleine.

Ils ne sont pas directement responsables de la crise bancaire. Mais l’occasion était trop belle. Paris et Berlin ont relancé la chasse aux paradis fiscaux. Difficile, en effet, de prétendre vouloir instaurer de nouvelles règles financières internationales sans s’attaquer à ces trous noirs de la finance. En outre, injecter de l’argent public dans les banques en difficulté pour que celles-ci puissent le dilapider en offshore, ça la ficherait mal !

Le 21 octobre, donc, lors d’une réunion de l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques) à Paris, le ministre français du Budget et son collègue allemand des Finances ont, avec un certain sens de l’opportunisme, rivalisé de déclarations offensives contre ce totem du libéralisme débridé. Balayant devant la porte de la maison européenne, Eric Woerth et Peer Steinbrück ont montré du doigt la Suisse, mais aussi le Luxembourg et l’Autriche. Les dirigeants de ces Etats s’étaient concertés pour ne pas pointer leur nez à la réunion. Ils n’appréciaient pas le projet de communiqué final, qui établit une équivalence entre paradis fiscal et paradis bancaire.

Il est vrai que le concept de paradis fiscal est flou et controversé. L’OCDE retient quatre critères : l’absence de fiscalité directe, le secret bancaire, l’opacité complète des sociétés hébergées (sociétés écrans) et le manque de coopération en matière de renseignements fiscaux avec d’autres Etats. Mais la liste noire de l’OCDE est jugée peu réaliste par plusieurs responsables politiques européens. Certains pays ont promis de s’amender, mais n’en ont rien fait. D’autres passent curieusement à travers les mailles du filet, comme Singapour et Hongkong, qui sont aussi toxiques que les Caïmans et les Bahamas.

Le Grand-Duché a discrètement prévu la relève

Ces lacunes et le manque d’unanimité sur la définition n’en rendent pas moins hypocrite la distinction entre paradis bancaire et fiscal, à laquelle tiennent les Luxembourgeois et les Autrichiens. En réalité, chaque Etat est, à des degrés divers, un paradis fiscal, en fonction des secteurs d’activités dans lesquels la fiscalité est allégée par rapport à ses voisins. La Belgique l’a été avec ses centres de coordination. Elle l’est encore, notamment avec l’exonération sur les produits de la branche 23, une assurance-placement dont la rentabilité dépend des mouvements boursiers. De son côté, le Luxembourg proposait, jusqu’à l’an dernier, un régime fiscal très intéressant pour les sociétés holdings, les fameux H29, qui représentaient encore 2,3 milliards d’euros à la fin du xxe siècle. Forcé d’abandonner ces exonérations, considérées par l’Europe comme des aides d’Etat, le Grand-Duché a discrètement prévu la relève en lançant, dès mai 2007, la Société de gestion de patrimoine familial : un régime fiscal attrayant pour les personnes physiques qui veulent gérer leurs actifs financiers (1).

Là où cela pose un problème, c’est lorsqu’un Etat à régime fiscal avantageux se double d’un paradis bancaire. En Europe, quatorze Etats et territoires opposent le secret bancaire aux demandes d’administrations fiscales d’un pays membre de l’Union européenne. La Belgique en fait partie ( lire l’encadré p. 116). La lutte contre le blanchiment d’argent sale a obligé ces eldorados bancaires à muscler leur législation. En théorie, ils doivent s’assurer que les fonds qu’ils reçoivent ne proviennent pas du trafic de drogue, d’armes ou d’êtres humains, ni du terrorisme. Ils coopèrent plus qu’auparavant pour les commissions rogatoires lancées par des juges étrangers dans le cadre d’enquêtes criminelles. En revanche, ils se montrent beaucoup plus tatillons pour les dossiers de fraude fiscale.

Désormais, la pression est plus forte que jamais sur les paradis fiscaux et bancaires. Le problème est que nombre de ces places ont fondé leur prospérité économique sur ces activités financières. Elles devraient donc se reconvertir vers d’autres secteurs. Pas simple. Mais l’UE, France et Allemagne en tête, semble déterminée à aller jusqu’au bout. Très énervé au JT de France 2, après la réunion de l’OCDE, le Premier ministre et ministre des Finances luxembourgeois Jean-Claude Juncker, également président de l’Eurogroupe (qui réunit les grands argentiers de la zone euro), a néanmoins promis :  » Nous ne serons pas le dernier bastion du secret bancaire.  » En ajoutant qu’il n’est pas question de se sacrifier tout seul. Juncker visait la Grande-Bretagne qui continue à protéger ses citadelles paradisiaques : les îles de Jersey, de Guernesey et de Man… l

(1) Cf. Trends-Tendances du 18 janvier 2007.

Thierry Denoël

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