La fuite en avant

Israël n’a pas obtenu de Washington l’appui total qu’il espérait, mais la tension s’accroît encore sur le terrain, où Sharon étudie une nouvelle stratégie militaire

« Il y existe encore une chance de conclure la paix et il faut la saisir maintenant, car, si la situation continue à se dégrader comme actuellement, les accords d’Oslo devront être considérés comme définitivement morts. » Reçevant lundi soir, dans son complexe présidentiel de Ramallah où il est assigné à résidence depuis le 3 décembre, une quinzaine de sympathisants belges, parmi lesquels la députée PS Carine Lalieux et le sénateur PS Jean Cornil, Yasser Arafat n’a pas caché son pessimisme quant à l’avenir. Une vision noire qu’il partage d’ailleurs avec ses adversaires Ariel Sharon et le ministre israélien de la Défense Binyamin Ben Eliezer, qui prédisent, eux aussi, « une dégradation de la situation telle que nous n’en avons encore jamais connue dans la région ».

Aiguillonnée par la nouvelle vague d’attentats-suicides qui a, entre autres, frappé la ville de Beer-Sheeva (la « capitale » du désert du Néguev), ainsi que par le tir de trois missiles Kassam II (des engins artisanaux conçus par le Hamas) sur un kibboutz du sud du pays, l’opinion israélienne réclame en effet de nouvelles mesures contraignantes contre l’Autorité palestinienne (AP). Depuis le début de la semaine, des députés du Likoud (le parti d’Ariel Sharon) ainsi que des petites formations d’extrême droite associées à la « majorité d’union nationale » exercent de fortes pressions sur les ministres les plus influents du gouvernement afin qu’ils décident d’ordonner à Tsahal (l’armée) de reconquérir des « zones de sécurité » en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Profondes d’une quinzaine de kilomètres, celles-ci s’étendraient tout le long de la clôture électrifiée séparant Israël de la bande de Gaza et de la « ligne verte » (la frontière fictive séparant Israël de la Cisjordanie conquise en 1967). Elles seraient censées « protéger l’intérieur du pays » contre les tirs de Kassam II, dont la portée ne dépasse pas dix kilomètres. Du moins, pour le moment. Car, dans sa propagande écrite, le Hamas se vante déjà de préparer des Kassam III et des Kassam IV, beaucoup plus puissants.

Selon le chef du Shabak (la sûreté générale israélienne) Aviv Dichter, qui comparaissait mardi devant la Commission de la défense de la Knesset (Parlement), les missiles du Hamas sont fabriqués selon une technologie approximative. Leur puissance est limitée à celle de quelques grenades à main et leur force d’impact est beaucoup moins importante que celle des kamikazes qui font exploser, au milieu de la population civile israélienne, des ceintures explosives remplies de dix à quinze kilos de poudre mélangée à des débris métalliques.

Quoi qu’il en soit, l’existence des Kassam II focalise l’attention des médias de l’Etat hébreu, pour lesquels le pays ferait face à une « menace existentielle ». Le monde politique en fait une affaire d’Etat. « Nous devons défendre notre population sans tenir compte de ce qu’en dira l’opinion internationale », affirme par exemple le député de droite Oury Ariel, le chef du lobby des parlementaires qui exigent la création de « zones de sécurité » dans les territoires occupés.

« Notre défense avant tout »

« Tsahal doit prendre les mesures nécessaires avant que le premier Kassam ne se soit abattu sur Tel-Aviv. Lorsque notre sécurité est en jeu, les Palestiniens ne peuvent se prévaloir d’aucune immunité ni d’aucun paravent légal, car notre défense passe avant tout. Si nous devons aller chercher les fabricants de Kassam à Ramallah, nous irons. Et,si c’est ailleurs, nous le ferons également, sans états d’âme. »

Quant à Ben Eliezer, il promet de « faire tout ce qui est nécessaire pour défendre le pays » en multipliant les incursions semblables à celle (massive) qui a débuté mercredi matin dans la bande de Gaza. Ce jour-là, ce sont des dizaines de chars et de blindés de Tsahal qui se sont emparés de la ville de Beit Hanoun et d’une partie du camp de réfugiés de Dir el Balah, pour y « rechercher des terroristes » et « pour y démanteler les fabriques de missiles du Hamas ». En fait, le seul résultat visible de cette opération est que 5 Palestiniens ont été tués. Et que Tsahal a conquis de nouveaux territoires.

Introuvable solution de rechange

Selon la radio publique Kol Israël, qui diffusait mardi le contenu de quelques notes de synthèse de l’Aman (le service de renseignement de Tsahal), la multiplication des incursions militaires israéliennes associée à la politique d’isolement d’Arafat mise en place par Ariel Sharon il y a trois mois, n’a pas vraiment l’effet recherché. Ce serait même le contraire, puisque l’Aman affirme que le ressentiment – « la haine », écrivent les analystes du service secret – à l’égard de l’Etat hébreu, de ses dirigeants, et de sa population en général, ne cesse de grandir alors que le nombre de candidats à l’attentat-suicide grandit de jour en jour.

De retour des Etats-Unis, où il n’a pas obtenu le soutien escompté du président George Bush pour démanteler l’Autorité palestinienne, Ariel Sharon affirme cependant qu’il poursuivra la même politique de représailles systématiques. Et qu’il continuera à isoler Arafat tout en « recherchant le dialogue avec une direction palestinienne alternative ». Des propos que les commentateurs israéliens ne prennent guère au sérieux, puisque cette solution de rechange s’avère introuvable. Et que les personnalités palestiniennes telles Ahmed Qoureï (le président du Conseil national palestinien, plus connu sous le nom d’Abou Ala) et Mohamad Rachid (le conseiller financier d’Arafat), qui ont rencontré Sharon il y a deux semaines, l’ont fait avec l’accord du président de l’AP, qui continue à tirer les ficelles à partir de sa résidence surveillée de Ramallah.

Serge Dumont

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