Au Caire, les tensions religieuses et les difficultés économiques poussent de plus en plus de chrétiens vers l’exil.
Ce sont des images glaçantes, de celles que les coptes se montrent pour nourrir leur peur. Sur les vidéos postées sur Internet, des dizaines d’hommes et de femmes, d’apparence ordinaire, saccagent et tentent d’incendier un lieu de prière chrétien aux cris de » Allahou akbar » (Dieu est le plus grand) et » La ilaha illa Allah » (Il n’y a d’autre Dieu que Dieu). La scène s’est déroulée le 23 novembre dernier à Ain Shams, dans la périphérie du Caire : des centaines d’habitants du quartier ont attaqué une usine désaffectée et rachetée par l’Eglise copte, qui se plaint des entraves placées à la construction de nouveaux lieux de prière. Cette fois, l’incident n’a pas dégénéré en pogrom. Mais cela a été le cas, en 1981, à Zawiya el-Hamra, dans la banlieue de la capitale (14 morts, officiellement), et en 2000, à Al-Kocheh, en moyenne Egypte (20 morts). Après la récente agression, les autorités ont semblé répondre sans zèle particulier. Et les coptes ont une nouvelle fois courbé l’échine, leur patriarche, Chenouda III,les ayant appelés à ne plus utiliser le bâtiment pour prier.
Ces derniers mois, les affrontements intercommunautaires, parfois meurtriers, se sont multipliés en Egypte, accroissant le malaise des chrétiens, de plus en plus nombreux à vouloir s’exiler. Dans le quartier huppé d’Heliopolis, Sylvia a pris sa décision. Dans quelques jours, elle va fermer la porte de son appartement. Définitivement. A 30 ans, elle a renoncé à son poste de responsabilité dans une multinationale pour entamer une deuxième vie avec son mari et son fils âgé de 4 ans. Objectif : s’installer à Sydney, en Australie. Le » réseau de l’Eglise « , assure Sylvia, leur viendra en aide s’il le faut. A contrec£ur, elle tourne le dos à cette Egypte qu’elle ne reconnaît plus, minée par les tensions économiques et religieuses.
» Pendant longtemps, j’ai réussi à faire abstraction des difficultés, parce que j’aime mon pays, soupire la jeune femme. Mais ce n’est plus possible. Tout le monde veut s’en aller. A l’université, nous étions un groupe d’une vingtaine d’amis chrétiens. Huit ans après, nous ne sommes plus que trois à vivre ici. » Dans les années 1950, l’émigration copte concernait surtout » l’élite foncière et intellectuelle touchée par les nationalisations et l’autoritarisme du régime nassérien « , souligne Grégoire Delhaye, spécialiste de la diaspora copte à l’American University de Washington. Depuis une dizaine d’années, ajoute-t-il, » le phénomène s’accélère et affecte des milieux sociaux plus modestes, en raison de l’absence d’opportunités professionnelles en Egypte « .
Selon les estimations, il y aurait entre 250 000 et 500 000 coptes aux Etats-Unis, et plusieurs dizaines de milliers au Canada et en Australie. Si les motivations économiques sont importantes, le contexte religieux, marqué par une forte réislamisation, pèse aussi. » L’attitude de certains musulmans est devenue si agressive qu’on ne se sent plus respectés, déplore Sylvia. Pour eux, l’Egypte, c’est l’islam. C’est une raison de plus pour partir, même si ce n’est pas une solution. Notre décision s’explique par une multitude de facteurs. On supporte, on supporte, et un jour, c’est le trop-plein. «
En soi, les discriminations dont les chrétiens se plaignent ne suffisent pas toujours pour pouvoir émigrer : » Les coptes qui demandent l’asile aux Etats-Unis ou au Canada pour persécution religieuse n’obtiennent pas gain de cause, loin de là « , précise Grégoire Delhaye. Mais cela n’empêche pas l’organisation US Copts, la plus influente de la diaspora, d’évoquer régulièrement la question devant le Congrès américain, notamment lors des débats de politique étrangère sur la liberté religieuse.
A Alexandrie, Manal estime que ce discours alarmiste n’a rien d’exagéré. Cette mère de famille ne parvient pas à oublier les émeutes antichrétiennes qui ont secoué en 2005, pendant le ramadan, son quartier de Moharram Bey. Comme d’autres coptes, elle a fui les jets de pierres et de cocktails Molotov en dissimulant ses cheveux sous un voile prêté par des voisins musulmans : » Depuis, je cache ma croix quand je sors dans la rue pour éviter les réflexions et les crachats. » Aujourd’hui, Manal veut quitter son pays » avant qu’il ne devienne une nouvelle Arabie saoudite, dit-elle. Je dois partir pour ma fille. Je ne veux pas qu’elle grandisse dans la peur « .
Angoisse, violence, misère – les mots reviennent partout. A 200 kilomètres au sud du Caire, le Gebel el-Teir (montagne aux Oiseaux) a un nom aussi poétique que son quotidien est sordide. Accroché à une falaise jonchée de détritus, le Deir el-Adrah (couvent de la Vierge) est un important lieu de pèlerinage de moyenne Egypte. Mais, pour les 7 000 habitants du village, l’horizon se limite aux carrières de craie et aux champs en contrebas. Faute de moyens, l’exil est ici un mirage. » Pourtant, il n’y a rien d’autre à faire, et aucune raison pour que ça change « , grimace Malak, un maçon d’une quarantaine d’années.
Plusieurs moines torturés pour leur faire renier leur foi
La pauvreté ne fait pas de discrimination : la région de Minieh est l’une des plus défavorisées du pays, que l’on soit chrétien ou musulman. Pourtant, devant l’église, des policiers lourdement armés rappellent que la moyenne Egypte est aussi le fief des Gama’at al-Islamiya, qui terrorisaient les coptes dans les années 1990. Le târ, la vendetta, y est aussi profondément ancré dans les m£urs. Et les règlements de comptes dégénèrent souvent, comme à Al-Kocheh, ou, au printemps dernier, dans le monastère d’Abou Fana, près de Minieh, où plusieurs moines ont été enlevés et, selon eux, torturés toute une nuit.
Fidèles au discours niant systématiquement toute » sédition confessionnelle « , les autorités ont parlé d’un simple conflit de voisinage. Mais pour le père Kyrillos, supérieur du monastère, » on ne peut pas nier la dimension religieuse quand des moines se font torturer parce qu’ils refusent de renier leur foi « , comme les agresseurs le leur auraient demandé. » Ils nous ont dit qu’ils ne voulaient plus de chrétiens sur leurs terres « , précise le frère Yoannas, un des moines blessés. » Chaque incident réveille la méfiance et la haine « , constate, amer, le père Kyrillos. » Cela irait peut-être mieux si les imams et les prêtres disaient à leurs fidèles d’aimer leur prochain. Mais l’époque n’est pas à la tolérance… «
Tangi Salaün