LA FIN DU MODÈLE DE CONCERTATION SOCIALE BELGE

Les révolutions les plus importantes sont celles qui ne sont pas reconnues comme telles. Petit à petit, des volets importants du bon vieux  » consensus à la belge  » – un vaste ensemble de convictions qui animent les élites politiques et transcendent les partis – sont remis en question. Même sans réforme de l’Etat, le modèle belge est contesté. Pour l’heure, il ne s’agit encore que de rhétorique politique, de mots plus que d’actes, mais le climat favorisant leur mise en oeuvre s’installe doucement. Le ton est surtout donné par la N-VA, mais elle n’est pas la seule.

L’Etat belge a toujours été un grand défenseur de l’intégration européenne. Cette cause permettait à notre petite économie ouverte de jouer dans la cour des grands. Avec la crise des réfugiés et la menace terroriste, le renforcement politique de l’UE suscite une réserve de plus en plus manifeste auprès des dirigeants belges. Depuis la Constitution très libérale de 1831, la séparation des pouvoirs et l’Etat de droit étaient sources de fierté pour la Belgique. La lutte contre le terrorisme menace de repousser le pouvoir judiciaire au second plan et met les droits civils sous pression. Au su des libéraux, au moins ceux du MR.

Mais c’est surtout le modèle de concertation socio-économique qui trinque. Ce modèle repose sur un accord mutuel : employeurs et syndicats se comportent de manière responsable en tant que  » partenaires sociaux  » dans la gestion du modèle socio-économique, y compris au niveau de la sécurité sociale ; les autorités impliquent et respectent ces partenaires dans le processus décisionnel en la matière. Ce modèle fonctionne depuis des décennies, non sans frictions mais, de manière générale, il a apporté la prospérité et la stabilité. Aujourd’hui, plusieurs partenaires sortent de leur rôle.

L’occupation des autoroutes ou des voies ferrées suscite l’exaspération. Pire : les syndicats belges sont obtus – surtout lorsqu’ils sont inspirés par la gauche radicale -, ils se focalisent trop sur le maintien d’acquis parfois intenables, ils sont trop défensifs. Trop peu constructifs, trop peu créatifs, trop peu ouverts aux changements. Entre-temps, certains syndicats ont abandonné leur confrontation directe avec Michel Ier parce qu’elle est fatigante et peu productive. Mais aussi parce que, surtout du côté flamand, ils réalisent la force de la contre-offensive antisyndicale que préparent, au sein du gouvernement, des intervenants plus visibles dans les médias flamands que francophones.

Ces contre-réactions résultent d’une idéologie politique dans la coalition de centre-droit, avec un CD&V pris entre le marteau et l’enclume, mais aussi de l’attitude de certains syndicats. Résultat : une possible loi sur la grève, la personnalité juridique, le service minimal, d’autres règles fiscales pour les cotisations et la prime syndicale, une plus faible indemnisation pour les services prestés par les syndicats, la réduction de la concertation, etc. Ce n’est pas rien.

Avec ces mesures, Michel Ier hypothèque à son tour le modèle de concertation socio-économique qui a pourtant fait tant de bien à la prospérité, à la paix et à l’unité belge. Si cette approche ne divise pas encore le pays, elle divise d’ores et déjà les syndicats.

Ce n’est pas la première fois qu’au sein du mouvement syndical, la contradiction communautaire prime sur la fraternité syndicale, mais le fait que la frontière linguistique ait fractionné l’entente des syndicats était un signal important : même le dernier des acteurs fédéraux n’est pas à l’abri d’une scission. Quelle victoire pour la N-VA ! Qu’elle doit aussi à la dureté du ton adopté par le MR. Un ton qui provoque davantage encore les syndicats francophones.

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par Carl Devos

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