La famille royale, bon filon pour le business

Jackpot royal attendu pour Frédéric Deborsu et son éditeur. Une fois de plus, un livre choc sur les dessous de la monarchie belge fait le buzz. Plus riche en insinuations qu’en révélations, un brûlot qui laisse beaucoup de questions sans réponse.

Encombrement sur la voie (royale). Au moment même où entre en gare, avec plusieurs semaines de retard, la traduction en français de la biographie controversée du prince Laurent signée Mario Danneels, Frédéric Deborsu a mis sur les rails, avec fracas, son propre brûlot sur la monarchie belge.

Questions(s) royale(s), le livre choc – et  » injurieux « , accuse le Palais – du journaliste de la RTBF, bénéficie d’un tirage de 11 000 exemplaires (en français, pour 5 000 en néerlandais), dont 7 000 placés dès cette semaine en librairie. Un tirage très élevé pour le petit marché belge francophone. Sorti plus discrètement ces jours-ci, Laurent, le pécheur de Laeken, dans lequel Danneels éclaire plusieurs zones d’ombre de la vie du fils cadet du roi, a été tiré à 8 000 exemplaires, dont 5 000 sont déjà en place. La version néerlandophone s’est écoulée à 5 000 exemplaires en un mois et demi.

La monarchie, gage de bonnes ventes

 » Vu les premières indications sur les ventes, commandes et retours, nous avons pris la décision de réimprimer 5 000 exemplaires du livre de Deborsu, signale Alain van Gelderen, patron de Renaissance du Livre. Nous visons au moins la barre des 15 000.  » Même optimisme chez Jourdan :  » Nous sommes prêts, si besoin, à lancer un nouveau tirage du livre de Danneels dans les dix jours « , indique l’éditeur du journaliste flamand. La famille royale, un bon filon pour le monde de l’édition ?  » Nos livres sur la monarchie belge se vendent très bien, reconnaît Véronique de Montfort, directrice de la communication chez Jourdan. En 2004, Le Roi tué, le livre de Jacques Notterdam consacré à la mort d’Albert Ier, a été écoulé 14 500 exemplaires.  »

De même, la biographie de Paola, De la dolce vita à la couronne, publiée en 2000, a trouvé  » 15 000 acheteurs pour la seule version française « , se souvient Luc Pire, éditeur de l’ouvrage. Danneels, alors tout jeune journaliste, y révélait l’existence de la fille cachée d’Albert II.  » Sur les 5 000 nouveaux titres qui sortent chaque mois en Belgique francophone, ceux qui concernent la monarchie ont plus de chance d’émerger dans les ventes que d’autres, remarque Véronique de Montfort. Même en France, une république, il y a un énorme marché autour des têtes couronnées, surtout celles de Monaco. Le sujet passionne à la fois partisans et adversaires de la monarchie.  »

Bonnes audiences pour les mariages des têtes couronnées

En Belgique, les retransmissions des mariages de William de Galles avec Catherine Middleton et d’Albert de Monaco avec Charlène Wittstock ont connu des succès d’audience. Samedi dernier, RTL-TVI a rassemblé plus de 240 000 téléspectateurs et la RTBF 87 000 pour le mariage religieux de Guillaume, grand-duc héritier du Luxembourg, avec le comtesse belge Stéphanie de Lannoy. Comment expliquer cet intérêt du public ?  » Une famille souveraine, c’est un pouvoir à visage humain, pas un pouvoir bureaucratique, répond Stéphane Bern, qui commentait le mariage luxembourgeois pour la chaîne privée. C’est aussi un ancrage dans l’Histoire, à une époque où les gens manquent de points de repère stables. Et puis, il y a la part de rêve. « 

En novembre dernier, le reportage de Question à la une consacré au prince Laurent a lui aussi fait un tabac. Très éloigné des émissions de type Place royale ou C’est du belge, programmes qui gardent la cote en période de crise et de menaces sur l’avenir du pays, ce 52 minutes réalisé par Frédéric Deborsu et Pierre Joassin a rassemblé 655 035 téléspectateurs et sa rediffusion, en août de cette année, 289 000 téléspectateurs. Les fuites distillées la semaine précédente avaient, il est vrai, appâté le chaland. Il y était notamment question du comportement violent du prince avec les femmes, à travers le témoignage d’une de ses ex-petites amies, Diane de Schaetzen.

Capitaliser sur un best-seller royal

Pour Renaissance du Livre, éditeur de l’ouvrage de Frédéric Deborsu sur la famille royale, ce livre, qui défraie la chronique, est du pain bénit. La maison d’édition, propriété d’une société d’Alain van Gelderen, a connu de gros soucis financiers.  » Il est temps pour nous de capitaliser sur certains best-sellers, confie van Gelderen. En mars dernier, nous avons demandé à Deborsu un livre sur le prince Philippe. Mais l’enquête a pris une plus large dimension. Juridiquement, on a tenu à se protéger, c’est pourquoi on nous reproche aujourd’hui de ne pas avoir mentionné les sources. On est peut être borderline, pas clairs sur les témoignages. On fera mieux la prochaine fois.  »

La stratégie commerciale de l’éditeur pose aussi question. Renaissance du Livre avait prévu de sortir Questions(s) royale(s) début septembre. Mais la maison d’édition belge publie le 13 septembre un communiqué aussi surprenant qu’inhabituel :  » Considérant l’importance des révélations contenues dans le manuscrit remis, nous avons décidé de postposer la date de parution au 23 octobre, soit deux semaines après les élections communales.  » L’équipe de Renaissance se justifie en affirmant qu’elle ne tient pas à  » alimenter un populisme quelconque avant une telle échéance « .

En réalité, ce report visait, nous disent d’autres sources, à éviter une sortie au moment même où un livre concurrent, celui de Mario Danneels, consacré à Laurent, retenait déjà l’attention des médias. Renaissance du Livre convoque la presse hebdomadaire le dimanche 21 octobre pour lui remettre l’ouvrage de façon qu’elle puisse en faire état durant la semaine, sachant que la presse quotidienne, télé et radio est conviée à la présentation du livre le mardi 23. Trop tard : la veille, des extraits du livre sont publiés et commentés dans un quotidien qui a grillé l’embargo. Le buzz est parti…

Sueurs froides pour correcteurs et avocats

Chez Jourdan aussi, on pratique allègrement le pilotage à vue. Finalement, seule la version flamande de Laurent, le pécheur de Laeken est parue en septembre. La version française, dont Le Vif/L’Express a publié les bonnes feuilles le 14 septembre, a donné des sueurs froides aux traducteurs, correcteurs et avocats. L’une des ex-maîtresses de Laurent a menacé Danneels d’un procès si son nom figurait dans le livre. Plusieurs témoins à charge ou à décharge, dont l’éditorialiste flamand Luc Van der Kelen, l’ancien ministre Herman De Croo et Martin Hinoul, chaperon de Laurent lors de ses stages aux Etats-Unis, ont exigé des rectifications ou des suppressions.

Le titre du livre a lui-même été modifié in extremis.  » On a pensé aux enfants de Laurent, raconte Véronique de Montfort. Le titre choisi au départ, Le Pestiféré de Laeken, faisait trop penser à la maladie contagieuse. L’aspect purement symbolique de ce titre risquait d’échapper au grand public.  » Résultat des courses :  » Les deux livres se retrouvent side by side (côte à côte) sur les étals des libraires, déplore-t-on à la Renaissance du Livre. C’est un préjudice pour nous, car les clients choisiront l’un des deux bouquins, pas les deux.  » De plus, les deux livres ont vu leur contenu partiellement révélé par des fuites dans la presse quotidienne, d’où un joli écho, une polémique et des auteurs qui se disent indignés de voir des extraits du livre sortis de leur contexte.

L’éditeur de l’ouvrage de Deborsu a même porté plainte contre X, le 22 octobre, pour violation de l’embargo imposé aux médias.  » Nous suspectons le journal en question d’avoir soudoyé un libraire ou un diffuseur-distributeur « , glisse-t-on à la Renaissance du Livre. L’éditeur a sorti un communiqué pour déplorer un  » manque de sérieux journalistique qui conduit à une interprétation erronée des éléments contenus dans le livre, qui n’est en rien une charge contre les valeurs de la monarchie « . Une déclaration qui n’a pas convaincu grand monde.

Réaction très rapide du Palais

Dès la publication d’extraits du livre, le samedi 20 octobre, alors qu’Albert et Paola, Philippe et Mathilde, Astrid, Lorenz et Amadeo, Laurent et Claire assistent au mariage princier au Luxembourg, la Cour publie un communiqué cinglant selon lequel le livre du journaliste de la RTBF contient  » de nombreuses informations totalement erronées et injurieuses « . Frédéric Deborsu réplique en affirmant que son enquête ne comporte  » aucune attaque  » contre les membres de la famille royale.  » Je décris ce qu’ils sont, je relate des faits « , prétend-il. L’auteur veut croire qu’il fait £uvre de salut public :  » En 2014, la Belgique aura besoin d’une monarchie exemplaire pour aborder une échéance politique capitale. « 

Ces justifications n’ont pas atténué la polémique. La petite phrase de Deborsu sur les  » relations hors normes  » du prince Philippe avec Thomas de Marchant et d’Ansembourg dans les années 1990 fait notamment pas mal de remous.  » Je ne suis pas homo et même si je l’avais été, serait-ce un crime ?  » a répliqué le comte, psychothérapeute réputé. Il se dit indigné qu’on puisse ainsi  » ternir la famille royale  » et sa personne et envisage une action en justice contre le journaliste.

 » Beaucoup de rumeurs, peu de preuves « 

Prudente, la RTBF s’est distanciée de son journaliste. Le Boulevard Reyers précise que Deborsu était en congé sans solde (de deux mois) pour réaliser son enquête –  » cinq mois, en tout « , estime le journaliste – et qu’  » aucun accord de promotion ou coédition  » n’a été signé. Quant à la presse flamande, qui a si souvent épinglé les frasques des fils d’Albert et remis sur le tapis la question des dotations princières, elle se montre très critique à l’égard du livre de Deborsu.  » Beaucoup de rumeurs sur Philippe, peu de preuves solides « , commente le Standaard. Même le député N-VA Theo Francken, chantre de la république flamande, appelle au  » respect de la vie privée « . Très peu monarchiste lui aussi, le constitutionnaliste Hendrik Vuye estime que seule  » la fonction (royale) est importante, pas la vie privée  » des souverains. Il s’étonne qu’un auteur francophone s’attaque ainsi à  » la maison royale, dernier rempart contre le séparatisme « . Mais poule aux £ufs d’or pour les maisons d’édition.

THIERRY FIORILLI ET OLIVIER ROGEAU

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