La dernière pour le FDF ?

Attention, virage dangereux. Le 25 mai, pour la première fois depuis vingt ans, les FDF se présenteront en solo à une élection législative. Pour le parti fédéraliste francophone, la date pourrait aussi être le jour 1 de l’après-Maingain. Avec un possible changement de sigle à la clé.

Inquiétude à gauche et à droite, au nord et au sud. A un mois des élections régionales, fédérales et européennes, nul dirigeant politique n’est serein. Passée la triple herse du 25 mai, les partis devront attendre la fin 2018 pour se frotter à nouveau au suffrage universel. Et encore, il ne s’agira que d’un scrutin local. Autant dire que les vainqueurs du 25 mai toucheront le jackpot, tandis que les perdants plongeront en enfer. Pour cinq ans.

Chez les Fédéralistes démocrates francophones (FDF), l’enjeu prend une tournure existentielle. Ils s’apprêtent en effet à négocier l’un des tournants majeurs de leur histoire. Un quadruple virage. Primo : l’apprentissage de la vie politique en solo, après deux décennies d’union libre avec l’ex-partenaire libéral. Deuxio : l’enracinement sur le terrain wallon, alors que depuis sa fondation, en 1964, le parti s’est cantonné à l’espace bruxellois. Tertio : la préparation de la relève, après dix-neuf années de présidence exercée par Olivier Maingain. Quarto : la mue en un parti généraliste, moins centré sur les thématiques institutionnelles, ce qui impliquera peut-être un changement de nom.

Le FDF parviendra-t-il à sauter ces quatre obstacles ? Les doutes sont permis. Pourrait-il être rayé de la carte politique en cas d’échec cuisant ? La prudence s’impose. Des prophètes de malheur ont beau annoncer régulièrement sa fin prochaine, l’oracle ne s’est jamais vérifié. Au contraire, le parti a toujours su surmonter les revers et les ressacs. Olivier Maingain reconnaît toutefois que son parti souffre d’une forme de fragilité :  » Nous sommes tellement peu ancrés dans le pouvoir qu’à chaque élection, nous jouons notre avenir.  » A la différence du PS, du MR et du CDH, les fédéralistes francophones ne peuvent s’adosser, pendant les périodes de vaches maigres, sur un pilier syndical et mutuelliste. Ils ne disposent pas non plus d’un large réseau d’obligés dans la haute administration et les entreprises publiques.  » C’est comme si nous devions en permanence démontrer notre raison d’être, développe le président. En même temps, je relativise. A l’université, de nombreux amis me prédisaient déjà la disparition du FDF dans les deux ou trois ans après sa création.  »

Emmené par Didier Gosuin en Région bruxelloise et par Olivier Maingain à la Chambre, le parti s’est donné un objectif clair : devenir la troisième force politique dans la capitale, derrière le PS et le MR, jugés hors d’atteinte, mais devant le CDH et Ecolo.  » Nous devons dépasser les 12 %, voire les 13 %. Voilà le pivot « , ajoute le président. Le FDF espère aussi sauver son unique député au parlement flamand, Christian Van Eycken. Celui-ci se présentera comme tête de liste de l’Union des francophones, un cartel qui regroupe le FDF, le MR, le PS et le CDH en Brabant flamand.  » Maintenir ce siège, voire en conquérir un deuxième, ce serait une façon d’affirmer la présence francophone en périphérie bruxelloise, une présence qui n’a pas été entendue par la dernière réforme de l’Etat « , indique Bernard Clerfayt, bourgmestre de Schaerbeek.

L’énigme wallonne

Le 25 mai, le FDF vivra aussi une forme de baptême du feu en Wallonie. Les élections communales et provinciales d’octobre 2012 ne constituaient à cet égard qu’un premier test, une mise en jambe, qui avait débouché sur des résultats prometteurs en Brabant wallon (4,8 %), mais encore anecdotiques ailleurs (1,7 % à Liège, 2,3 % en Hainaut, 2,5 % à Namur et 1,9 % dans le Luxembourg). Le scrutin avait tout de même permis au parti de décrocher ses premiers élus au-delà du ring de Bruxelles, notamment à Flémalle, Sambreville, Tubize, Ans, Chapelle-lez-Herlaimont ou encore Florennes. Le FDF peut-il, à court terme, opérer un saut quantitatif ? Ses leaders se gardent de tout triomphalisme.  » Une fourchette entre 3 % et 5 % sur l’ensemble de la Wallonie serait déjà un bon point de départ « , estime Olivier Maingain. Même prudence dans le chef de Bernard Clerfayt :  » L’élection du 25 mai s’apparente pour nous à une élection de transition. En toute honnêteté, si on obtient un député en Wallonie, ce sera déjà une grande victoire. Le vrai défi, ce sera plutôt d’entrer dans des majorités communales en 2018, puis de peser dans le débat wallon en 2019.  »

L’image de la formation amarante est à ce point liée à Bruxelles qu’en son sein, de nombreux mandataires doutent : la tentative d’implantation au sud de la forêt de Soignes n’est-elle pas vouée à l’échec ? L’ouverture des premières sections wallonnes date de 2009. Elle a précédé – ou plutôt, anticipé – la rupture avec le MR. Dès le début de l’opération, Olivier Maingain s’est montré l’un de ses plus chauds partisans. Le divorce d’avec les anciens alliés libéraux l’a renforcé dans sa conviction : le FDF doit rayonner au-delà de la Région bruxelloise, sans quoi il court le risque de se marginaliser.  » Si on veut peser dans le débat national, il faut exister ailleurs qu’à Bruxelles, c’est une nécessité, appuie le député régional Emmanuel De Bock. On le voit dans cette campagne électorale. Si on est aussi maltraité par la RTBF et RTL, c’est parce qu’on n’est pas assez grand en Wallonie.  »

D’autres dirigeants du FDF se montrent plus sceptiques, ou plus prudents, quant à l’avenir wallon du parti.  » Nous défendons l’idée que les francophones de Bruxelles et de Wallonie ont un destin commun sur le plan économique, mais aussi culturel, commente Didier Gosuin, bourgmestre d’Auderghem. Les Wallons doivent comprendre l’importance de faire bloc avec les Bruxellois. Sinon, ils perdront Bruxelles, avec des conséquences désastreuses pour eux. Mais peut-être que le déclic ne viendra jamais, et que les Wallons, aveuglés, se réfugieront dans le repli régionaliste. Dans ce cas, le FDF n’aura pas d’avenir en Wallonie.  »

Le chantre du libéralisme social

Toujours est-il qu’en voulant s’étendre vers le sud, le FDF s’est condamné à redéfinir son projet. Tant que son rayon d’action se limitait à la sphère bruxelloise, il pouvait se profiler comme une organisation préoccupée avant tout par la défense des francophones. Ce discours-là ne suffit plus. Les électeurs de Seraing, Ciney ou Mouscron attendent autre chose de leurs élus qu’un brevet d’intransigeance face au nationalisme flamand.

Contraint de préciser sa vision de la société, le FDF se présente désormais comme le chantre du libéralisme social. La plupart de ses mandataires se disent proches de la sensibilité centriste incarnée, en France, par François Bayrou, Hervé Morin ou Jean-Louis Borloo. D’autres confient leur sympathie pour le nouveau Premier ministre français, Manuel Valls.  » Nous ne nions pas l’esprit d’entreprise, l’économie de marché, la force d’innovation des PME, mais nous avons aussi conscience du rôle de l’Etat, résume Didier Gosuin. Le MR veut une réforme fiscale qui va coûter cinq milliards selon ses dires, quinze milliards selon la KUL. Il prétend que ces cinq milliards vont automatiquement se transformer en recettes pour l’Etat. Au FDF, nous ne croyons pas à ça. Nous ne pensons pas que la pureté du marché va remettre tout en ordre.  »

A vrai dire, le FDF tâtonne encore dans la clarification de son profil idéologique. Dès lors, plutôt que d’occuper tel ou tel créneau sur l’axe gauche-droite, il met en avant un style, une façon de faire de la politique. Son slogan de campagne ( » Vrais et sincères « ) illustre cette stratégie. Le FDF serait, à l’en croire, le parti qui ne ment pas, celui qui ose dire les vérités qui dérangent.  » A la différence des autres, le FDF n’est pas un marchand d’illusions, affirme Didier Gosuin. Je suis parfois gêné quand j’entends, lors des débats, mes collègues PS, MR, CDH et Ecolo multiplier les propositions farfelues. Cette manière de faire de la politique est en train de se casser la gueule. Les partis continuent à aligner les promesses, mais en réalité, le marché de la promesse est mort. Le citoyen n’y croit plus.  »

Le FDF défend ainsi le passage progressif de l’âge de la retraite à 67 ans, ou l’augmentation de la fiscalité sur certains revenus spéculatifs, afin de mieux financer la sécurité sociale.  » Les autres partis sont figés sur leurs stéréotypes, explique Olivier Maingain. La société actuelle demande de bousculer ces stéréotypes. C’est pour ça qu’un parti atypique comme le nôtre est nécessaire, pour longtemps encore.  »

Changer de sigle ?

Depuis plusieurs mois, un débat traverse le parti. Certains plaident pour en modifier le nom, afin de montrer à l’opinion publique que le FDF ne se soucie pas seulement des enjeux institutionnels.  » Je n’exclus pas que nous changions de sigle. Cela sera examiné après les élections « , concède Olivier Maingain.  » C’est une question qui est posée chez nous, confirme Bernard Clerfayt. Certains estiment que le sigle FDF reste marqué par des combats du passé et qu’en changeant la marque, on pourra mieux se positionner comme force politique pour l’ensemble de la Communauté française. Mais le débat n’est pas tranché. Ce n’est pas comme s’il y avait un nouveau nom tout prêt et qu’il suffisait d’ouvrir la boîte pour le sortir…  »

En 2010, déjà, le parti avait procédé à un léger toilettage. Le Front démocratique des francophones s’était rebaptisé Fédéralistes démocrates francophones, abandonnant le mot  » front  » et sa connotation guerrière, voire extrémiste.  » Ce qu’on doit réussir dans les prochaines années, c’est construire une troisième voie, entre la gauche et la droite, diagnostique Emmanuel De Bock. Mais pas une troisième voie chèvre-choutiste, qui ne se définit que par rapport aux deux grands blocs.  » La référence au libéralisme social pourrait-elle se retrouver dans le nom du parti ?  » Le problème de cette identité-là, c’est qu’elle nous ancre directement dans le clivage gauche-droite. Je préférerais une appellation qui indique quelque chose de totalement nouveau par rapport aux libéraux, aux socialistes, aux écologistes… J’aimerais bien que le sigle puisse aussi se décliner selon les régions. Pourquoi ne pas y ajouter un W en Wallonie et un B à Bruxelles ? Le tout, c’est de ne pas perdre l’âme des fédéralistes, ni les électeurs historiquement attachés au sigle FDF.  »

Le triple scrutin du 25 mai sera donc, peut-être, le dernier du FDF sous sa forme actuelle. Il s’agira aussi, sans doute, de l’ultime combat d’Olivier Maingain en tant que grand stratège des fédéralistes francophones. A la tête du parti depuis 1995, le bourgmestre de Woluwe-Saint-Lambert est actuellement le plus ancien président du pays. Il assure ne pas vouloir jouer les prolongations.  » A ce stade, mon penchant naturel est de dire qu’il est temps de passer le témoin « , confie-t-il. Si l’inclinaison se confirme au lendemain des élections, le FDF s’engagerait alors dans une nouvelle ère.

Par François Brabant

 » Si on veut peser dans le débat national, il faut exister ailleurs qu’à Bruxelles, c’est une nécessité  »

 » Ce qu’on doit réussir dans les prochaines années, c’est construire une troisième voie, entre la gauche et la droite…  »

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