La débâcle

Christophe Barbier
Christophe Barbier Directeur de la rédaction de L'Express

Croissance ajournée, réformes en panne, gouvernement dépassé, sondages en berne. Pour le président français, le printemps est glacé. Parce que des erreurs ont été commises depuis dix mois. Parce que ce qu’il met en oeuvre n’est pas hollandais et que ce qui était hollandais n’a pas marché.

François Hollande n’est pas un joueur, il est un constructeur. Sa carrière est jalonnée non pas de coups de force ni de vaisseaux qu’on brûle, mais de négociations, de synthèses, de nominations, de missions accomplies, de majorités mijotées… François Hollande n’est pas l’homme de l’audace, il est l’homme de la patience. Où Mitterrand, Chirac et Sarkozy pratiquèrent l’escalade à mains nues, lui a posé des échafaudages.

A deux reprises, néanmoins, il a accepté que le risque l’emporte sur le calcul. La première fois, en vue du référendum sur la Constitution européenne, en 2004-2005, il assure ses arrières en faisant voter les militants socialistes, mais la réalité l’écrase ensuite : la réalité du parti, celle des félonies et des égoïsmes, celle du chacun pour soi, qui pousse Jean-Luc Mélenchon et Laurent Fabius à mener campagne pour le non ; la réalité du pays, celle du peuple de gauche désenchanté, qui ne croit plus au rêve européen. La seconde fois, en mars 2011, il se jette le premier dans l’arène de la primaire socialiste, affûté et déterminé. Alors l’architecte se fait gladiateur et la carrière, destin. Pour autant, jamais dans la campagne Hollande ne cède à l’ivresse du quitte ou double, accueillant la chance avec circonspection et les imprévus avec flegme. La constance est sa boussole, et seules deux initiatives doivent à l’instinct et non à la réflexion, au poker plus qu’aux échecs : les 60 000 postes promis pour l’Education nationale et la taxe à 75 % sur les hauts revenus. Deux symboles qui ont frappé son programme du label  » pur socialiste « , deux boulets désormais pour le président en exercice. L’un est emblématique de l’embarras du pouvoir face à la dépense publique ; l’autre, des malheurs de la majorité dans sa stratégie fiscale. Deux paris électoraux gagnants en 2012, deux paris politiques perdus en 2013.

Ce ne sont pas les seuls. Depuis plus de dix mois, François Hollande fonde son action sur plusieurs spéculations. Aucune n’est hasardeuse, chacune s’accompagne, comme dit le philosophe Pancrace chez Molière, de  » raisons démonstratives et convaincantes « . Mais aucune n’est couronnée de succès. Après trois cents jours de pouvoir, voici les sept paris perdus du président Hollande.

LE PARI DU TEMPS

 » Une crise dure cinq ans ; celle-là a commencé en septembre 2008, avec la chute de Lehman Brothers, nous en sortirons à la fin de l’année 2013.  » Ainsi parle le président français en novembre 2012. Ainsi se trompe-t-il. D’abord, parce que la crise a démarré un an plus tôt, avec l’explosion de la bulle des subprimes, qui était non pas un problème domestique américain, mais la souche du virus qui a grippé la planète. Ensuite, Hollande a tort de comparer cette crise aux autres : elle n’est pas le dernier avatar d’un phénomène ancestral, elle est d’une nature nouvelle. Le monde bascule et ceux qui ne prennent pas les bonnes décisions ne seront pas en retard sur les autres puissances, ils disparaîtront. A la fin de 2012, Hollande considère que la Chine et les Etats-Unis, dotés de nouveaux dirigeants, vont renouer avec une croissance forte dont la planète et notamment l’Europe profiteront. Mais l’Europe n’est pas dans les plans des pays qui veulent dominer ou s’affirmer en ce siècle. Les alizés de la croissance ne soufflent plus vers nous, la bise du déclin, si.

De plus, si le vent nous était favorable, il ne trouverait guère de voiles à gonfler ou de moulins à entraîner. Le ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius, qui prépara le plan pour les  » 100 jours  » de la nouvelle majorité, vient de reconnaître qu’il avait sous-estimé la désindustrialisation de la France. La faute n’en revient pas à la gauche – hors la funeste adoption des 35 heures, en 1997 – et, en dix ans, la droite n’a pas su enrayer ce phénomène. Aujourd’hui, cependant, la politique fiscale crée un climat néfaste pour le  » business « . François Hollande voulait réguler le capitalisme, voilà que le pouvoir décourage les investisseurs.

2. LE PARI DES HOMMES

Ce dommage collatéral du hollandisme n’est que peu imputable au président ou à son Premier ministre, mais ils en sont aujourd’hui comptables devant la nation. Arnaud Montebourg devait incarner le  » redressement productif « , il s’est affiché plus redresseur de patrons que productif en emplois. Sa conversion tardive à l' » hospitalité industrielle  » ne suffit pas à cicatriser les plaies ouvertes pendant les  » sang jours  » de ce Saint-Just de la démondialisation, utopie dangereuse qui signifie non pas que la planète va renoncer à la mondialisation, mais que la mondialisation va se poursuivre sans la France. Sur la compétence de certains ministres et sur l’homogénéité de son gouvernement, sur la loyauté de certains parlementaires et sur le courage de sa majorité, François Hollande s’est trompé. Harcelé sur sa gauche par Jean-Luc Mélenchon et privé d’alliés au centre, le président a de la gîte : la réalité économique commande un réformisme qui n’est pas le socialisme, les pressions partisanes exigent un virage qui est plus que le socialisme. Jean-Marc Ayrault n’a pas démérité, mais il est comme un berger devant une meute de loups tenus en respect par une torche qui pâlit : combien de temps tiendra-t-il ? Sans compter que, dans le troupeau des ministres et des députés, on dénombre quelques brebis galeuses et quelques loups déguisés en moutons…

3. LE PARI DE LA CROISSANCE EUROPÉENNE

 » La crise de la zone euro est derrière nous « , a martelé le président à la fin de 2012, jusqu’à le proclamer à Oslo, quand l’Union européenne reçut le prix Nobel de la paix. Mais qu’est le pataquès chypriote, sinon un épisode de la crise de la zone euro ? Crise d’une zone dont la monnaie est à la fois trop forte pour que tous les pays qui l’utilisent exportent à leur guise et trop faiblement organisée pour effrayer les spéculateurs et servir d’arme économique. Crise politique, surtout, d’un rassemblement de pays qui partagent une monnaie sans avoir bâti de pouvoir ni même de gouvernance communs. La zone euro s’est dotée de la meilleure munition possible, mais elle n’a pas de fusil.

Par ailleurs, du fils spirituel de Jacques Delors on pouvait attendre plus d’audace européenne. En juin 2012, Hollande a remis la croissance au coeur de la stratégie de l’Union, mais c’est comme s’il avait semé une graine dans un désert, puisqu’il n’a tracé aucun sillon politique. Le voici aujourd’hui qui attend les élections allemandes de septembre pour savoir sur quel pied et avec qui danser : il aura perdu dix-huit mois, et le pari perdu se double ici d’une faute grave.

4. LE PARI DE L’ÉTHIQUE

Ici, en revanche, le chef de l’Etat n’a rien à se reprocher, lui dont la probité n’a jamais perdu une écaille. L’affaire Cahuzac tient au parcours téméraire d’un individu et non à une logique de clan, au contraire du chiraquisme tendance mairie de Paris et du mitterrandisme option écoutes téléphoniques. Mais le ministre français du Budget entraîne dans sa chute la  » République irréprochable « , concept de cristal que le papier à bulles du discours ne protège pas du choc des affaires. Et il y en aura d’autres, parce qu’elles ne sont ni de droite ni de gauche, mais consubstantielles à la politique française – hélas !

De plus, l’éthique ne se limite pas à l’honnêteté. L’amateurisme, l’indolence et même l’évanescence affichés par certains ministres méritent sanction, car gouverner n’est pas une récompense après dix ans d’opposition, c’est un sacerdoce pour un temps bref. Que des ministres songent à concourir pour les municipales sans démissionner est intolérable : la France ne va-t-elle pas assez mal qu’on puisse songer à baguenauder entre un maroquin et un fief ?

Enfin, et c’est toujours d’éthique qu’il s’agit, le  » président normal  » a vécu l’espace d’un tweet. La vie privée de François Hollande, pour plus calme qu’elle soit en comparaison de celle de ses quatre prédécesseurs, n’en est pas moins un souci dans son lien avec l’opinion. L’épisode de Dijon, où il fut houspillé par une dame peu amène envers Valérie Trierweiler, montre qu’il n’y a plus de distance entre les Français et le premier d’entre eux : on peut parler au président comme à son charcutier, ce qui est peut-être une bonne nouvelle pour la démocratie, mais à coup sûr un affaiblissement de la République. De même, la déferlante obscène de rumeurs sur Internet mérite riposte : c’est une gale qu’il faut curer, l’indifférence ne suffit pas, elle nourrit la calomnie. O tempora ! o mores ! Il faut attaquer, débusquer les malfaisants et imposer des règles, ou bien accepter une totale transparence et renoncer à son légitime droit à l’intime.

5. LE PARI DE LA GRATITUDE

L’impopularité de Nicolas Sarkozy devait plus à ce qu’il était qu’à ce qu’il faisait ; pour François Hollande, c’est l’inverse : il y a peu de hollandophobes en France, mais beaucoup de citoyens qui considèrent qu’il n’agit pas comme il faut. Tandis que la France droitière se réveille, comme l’ont rappelé, le 24 mars, le spectaculaire succès de la manifestation anti-mariage gay et la législative partielle de l’Oise (au nord de Paris, qui a vu la victoire du candidat UMP), la France de gauche boude ou grogne avec Jean-Luc Mélenchon. Dans les abysses des sondages, le président médite sans doute sur l’impatience et l’injustice du peuple, qui l’a élu pour chasser  » l’autre  » et stopper vite la crise. En promettant l’inversion de la courbe du chômage avant la fin de 2013, il a surtout savonné la pente descendante de la sienne ! Il pensait que les Français donneraient du temps au temps, mais les Français sont à bout de patience.  » Si vous voulez de la gratitude, élevez des chiens « , philosopha John Major après son éviction du pouvoir. Il n’y a même pas de labrador à l’Elysée…

6. LE PARI DE LA SOCIAL- DÉMOCRATIE

La différence entre François Hollande et François Mitterrand n’est pas seulement dans l’affection canine. L’actuel président ne veut pas d’une gauche qui fait demi-tour à droite à mi-mandat, qui flatte d’abord sa part de rêve puis revient à la réalité. Sans la théoriser, il tente de pratiquer une nouvelle social-démocratie, qui avance sur une jambe gauche et une jambe droite. Hélas, cela donne moins une foulée auguste qu’un périlleux grand écart. Réformer la France, c’est suivre une ligne droite, parce que le courage ne godille pas ; le président zigzag ne peut qu’aller à l’échec, ou au diable.

7. LE PARI DU DESTIN

Le diable n’attend pas encore François Hollande. Le quinquennat est un temps bref pour l’Histoire, mais long pour la politique. Méfaits et mésaventures de la droite, versatilité de l’opinion, génie des circonstances peuvent le sauver… Chevauchant son destin, il a doublé ses rivaux, triomphé des favoris, déboulonné le sarkozysme en France après avoir limé le chiraquisme en Corrèze. Mais il lui faut changer de destrier, être aussi un autre homme pour une autre politique. En dix mois, le voici parvenu au bord de la Berezina ; d’une rivière l’autre, c’est le Rubicon qu’il doit franchir.

CHRISTOPHE BARBIER

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