» La croissance, c’est le règne de l’inquiétude « 

Pour Christian Arnsperger, l’homme est aliéné par ses possessions. Professeur à l’UCL et chercheur au FNRS, il a publié, en 2005, Critique de l’existence capitaliste.

Le Vif/L’Express : Les économistes et les dirigeants politiques de tous bords martèlent que la seule solution à la crise, c’est la relance de la demande. Qu’est-ce qui vous heurte dans ce discours ?

> Christian Arnsperger : On fait comme si consommer, accumuler et posséder plus étaient des signes de retour à la confiance. Pour moi, c’est le contraire : notre modèle de croissance traduit un manque fondamental de confiance dans la vie, dans l’avenir. C’est le règne de l’inquiétude.

Vous allez publier prochainement une Ethique de l’existence post-capitaliste aux éditions du Cerf. C’est quoi, le  » post-capitalisme  » ?

> C’est une nouvelle façon d’envisager l’économie. Elle fait passer le relationnel, le local et le spirituel avant la compétition, le global et la croissance. Nous sommes aliénés par nos possessions. Après des siècles de progrès matériel, nous devons construire le progrès spirituel et relationnel.

Que reprochez-vous surtout au système capitaliste, à l’économie de marché et à la société de consommation ?

> Je n’ai pas de problème avec le marché. C’est le capitalisme qui me fait peur. Il nous a fait croire que le  » toujours plus  » pourrait nous rendre invulnérables ou même immortels, nous épargner toute souffrance. Nous avons remplacé le progrès intérieur par le progrès extérieur.

Vous prônez la simplicité volontaire dans la consommation et la démocratie radicale, notamment dans les entreprises. Concrètement, cela implique quels changements ?

>L’être humain occidental doit faire de nouveaux choix, lâcher prise à l’égard du pouvoir qui vient de la possession et de la hiérarchie. Pas mal d’études montrent qu’une opulence supplémentaire ne nous rendra pas plus heureux de vivre. Ce n’est pas de l’idéalisme, c’est du réalisme !

L’objection de croissance n’est-elle pas une idéologie de riches, de repus ? Les défavorisés du Sud comme du Nord rêvent plutôt de développement et de signes de réussite matérielle.

>C’est nous qui le leur avons appris ! C’est vrai que tout homme a tendance à vouloir toujours plus. Mais, pour les pays du Sud, l’enjeu n’est pas l’objection de croissance. Ils doivent plutôt retrouver l’autonomie et l’indépendance d’antan. C’est au Nord que la croissance doit être jugulée. Le Sud a d’autres besoins que ceux que nous lui prêtons !

Vous vous faites l’apôtre de la décroissance ou, du moins, d’une  » paisible stationnarité  » et de nouvelles communautés de vie alternatives. Que répondez-vous à ceux qui vous traitent de rêveur ou, pis, d’illuminé ?

> Le mot  » stationnarité  » peut faire peur. Il ne s’agit pas de régresser, mais de progresser vers une autre sphère de vie. Des communautés alternatives sont importantes parce qu’elles peuvent proposer de nouveaux modèles. Elles ne seront pas dénuées de tout problème humain. Je ne suis pas un rêveur, encore moins un illuminé. Les illuminés, ne sont-ce pas plutôt ceux qui, encore aujourd’hui, prônent un modèle qui a pourtant échoué ?

Un secrétaire d’Etat CDH rejetait, l’autre jour, l’idée de décroissance. Nous avons, selon lui, besoin de croissance pour pouvoir investir dans l’innovation, la lutte contre le réchauffement climatique. Que répondez-vous à pareil argument, que l’on entend aussi chez Ecolo ?

> Il faut simplement s’entendre sur le terme de  » décroissance « . C’est un mot choc qui veut réveiller. Mais dire que la croissance résoudra le réchauffement climatique, c’est choquant. Après tout, c’est la croissance qui l’a engendré ! Mais les politiques n’ont, c’est normal, que des réponses de court terme.

La croissance n’est-elle pas indispensable pour réduire le chômage, financer la sécurité sociale, les soins de santé ?

>Je vous retourne la question : où voyez-vous qu’un siècle de croissance nous ait donné, aujourd’hui, le plein-emploi, une sécu en équilibre et des soins de santé bon marché pour tous ? Il faut plus d’égalité. Mais le capitalisme n’en veut pas.

La relocalisation de l’économie, une des principales revendications des  » décroissants « , ne débouche-t-elle pas sur un nouveau protectionnisme ?

>Non ! Relocaliser, ce n’est pas refuser le commerce. C’est donner la priorité à la résilience locale et affirmer qu’on n’est pas obligé de commercer avec tout le monde, tout le temps. C’est retrouver l’ancrage de proximité, notamment pour l’agriculture, et simplifier les circuits, pour polluer moins. Rien de plus raisonnable !

Quelle forme doit prendre le mouvement politique de la décroissance, qui doit voir le jour ce 22 mars à Namur ? Si les décroissants n’ont pas leur parti, pour qui doivent-ils voter en juin prochain ?

> Ils peuvent voter pour qui ils veulent, dans l’immédiat, cela ne changera rien. Le 22 mars, un mouvement politique veut se lancer, mais j’ignore si ce sera possible et si les gens qui l’animeront seront à la hauteur. Il me semble de toute façon trop tôt pour soutenir des listes d’objecteurs de croissance. La prise du pouvoir n’est pas franchement une priorité immédiate.

Entretien : Olivier Rogeau

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