La crise de foi

Du 4 au 7 juin, quelque 375 millions d’électeurs vont renouveler le Parlement de l’Union. Un scrutin clef à un moment où celle-ci paraît en panne d’ambition. Et où – notre voyage à travers l’UE en témoigne – les enjeux nationaux prennent le dessus.

Un vent mauvais souffle sur l’Europe. Celui d’une indifférence démocratique et d’une asphyxie politique. Tout se passe comme si l’Union européenne (UE), minée par deux décennies de négociations sur ses institutions, avait renoncé au souffle des ambitions. Qu’est-il advenu de l’agenda de Lisbonne, proclamé en 2000, qui promettait d’instaurer en Europe pour 2010  » l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde  » ? Où est passée  » l’Europe puissance « , dont la France promettait l’avènement ? Comment croire encore en un projet commun quand tout un continent glisse en silence vers le lent suicide démographique et une immigration de moins en moins maîtrisée ?

Trente ans après sa naissance, le Parlement européen, élu au suffrage universel, réclamé par l’ex-chancelier allemand Helmut Schmidt, est menacé par une abstention record dans les pays où le vote n’est pas obligatoire (dont la Belgique). Les eurocitoyens n’y croient plus. La faute aux décideurs : nul n’incarne plus, à Bruxelles ou à Strasbourg, l’intérêt commun. La faute aux capitales : les Etats-nations n’ont eu de cesse de regagner leurs prérogatives. Les Allemands, mieux organisés, en jouant l’influence au Parlement ; les Britanniques, plus stratèges, dans la haute fonction publique à la Commission ; tous, dans la mesure de leurs moyens, au Conseil européen. Seul succès tangible de ces dernières années, l’euro, qui a fait office de véritable bouclier pour les salariés et épargnants dans la bourrasque financière de l’automne dernier, n’a paradoxalement pas eu droit à l’hommage qu’il mérite dans les capitales.

Les grands programmes paneuropéens font défaut

L’Europe mérite pourtant encore qu’on lui laisse sa chance. Car ces élections européennes 2009, auxquelles seront convoqués, du 4 au 7 juin, environ 375 millions d’électeurs, se déroulent à un moment clef. Celui où le passage au traité de Lisbonne – si les Irlandais le ratifient cet automne – permettra peut-être d’opter entre le modèle confédéral, dominé par les Etats-nations, et le modèle fédéral.  » C’est la pratique qui tranchera, estime Olivier Ferrand, auteur de L’Europe contre l’Europe (Hachette). Le Parlement européen a désormais des prérogatives législatives quasi standards ; lui fait défaut le pouvoir politique d’investir et de faire tomber, sur un programme politique, la Commission.  » Ce jour-là, l’assemblée aura gagné sa vraie légitimité démocratique et la Commission, jusqu’alors cantonnée à un rôle d’exécutif bureaucratique, aura gagné la capacité de devenir un gouvernement.

On n’en est pas là. Pour l’heure, ces élections européennes restent une juxtaposition de scrutins nationaux et de crispations particulières (la Turquieà), un patchwork de répétitions générales et de votes sanctions ou de plébiscites des gouvernements en place avant les élections législatives à venir. Manquent toujours les grands programmes paneuropéens d’une campagne à l’échelle d’un continent : le » manifeste  » du Parti socialiste européen (PSE) et les  » dix priorités  » du groupe du Parti populaire européen (PPE, centre droit) n’en sont que la caricature. Curieusement, à en croire les sondages, la gauche, aujourd’hui minoritaire au sein de l’UE, ne profite pas de la crise. Comme si, vingt ans après la chute du Mur, ralliée au libéralisme ou enfermée dans de vieux schémas, elle paraissait toujours impuissante à inventer une alternative. Il n’est pas sûr, pour autant, que la droite classique en profite. Le grand vainqueur risque fort d’être le parti transfrontières des déçus de l’Europe.

jean-michel demetz; J.-M. D.

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