La composition d’arithmétique

Ce matin, je ne voulais pas aller à l’école parce qu’on avait composition d’arithmétique. Moi, je n’aime pas les compositions, d’abord parce que ça dure deux heures et qu’on rate une récré. Et puis aussi parce qu’il faut drôlement étudier avant. Et puis après, on vous pose des questions que vous n’avez pas étudiées. On a des mauvaises notes et à la maison, votre maman vous gronde et votre papa vous dit que vous n’arriverez jamais à rien, et que lui, quand il avait votre âge, il était toujours premier et que son papa à lui était toujours très fier de votre papa à vous. Et puis encore, quand c’est de l’histoire ou de la géographie, il y a des fois où on a de la veine et où on vous demande de raconter les aventures de Jeanne d’Arc, qui sont chouettes, ou les aventures de la Seine, et ça je les savais. Mais en arithmétique, c’est terrible parce qu’il faut penser.

Et c’est pour ça que, lorsqu’il y a composition d’arithmétique, on essaye tous d’être malades à la maison. Mais les mamans ne veulent rien savoir et elles nous envoient à l’école. Même qu’une fois, la maman de Joachim n’a pas voulu le croire quand il a dit qu’il était malade, et il avait les oreillons ; et on les a tous eus pour les vacances de Pâques.

A l’école, quand je suis arrivé, les copains étaient tous déjà là et ils avaient l’air bien embêtés, sauf Agnan, le chouchou de la maîtresse, qui est toujours le premier et qui aime bien les compositions.

– Moi, a dit Eudes, mon grand frère m’a raconté que quand il allait à l’école, il écrivait les réponses à la maison sur des petits bouts de papier qu’il cachait dans ses poches.

– Et en arithmétique, qu’est-ce qu’il faisait ? a demandé Clotaire.

– Il était dernier, a répondu Eudes.

– Moi, a dit Joachim, mon papa m’a dit que si je n’avais pas une bonne place en composition d’arithmétique, il me confisquait le vélo.

– Et moi, a dit Alceste, qui mangeait un petit pain au chocolat, ma maman m’a dit que si je n’étais pas dans les vingt premiers, elle me privait de dessert.

Il a fait un gros soupir, Alceste, et il a commencé à manger un croissant.

Alors, moi j’ai eu une idée et j’ai dit qu’on devait demander à Agnan de nous passer les résultats, en classe. Agnan, qui repassait la table de 12, m’a entendu et il a dit que jamais de la vie ; et il est parti en chantant :  » 12 fois 3, 36 ; 12 fois 4, 48à « 

Il est formidable Agnan ! Nous, on l’a rattrapé et on lui a dit :

– Allez, Agnan, sois chouette, quoi, allez, sois chouette !

Mais Agnan ne voulait rien savoir.

– Et si je te donnais un coup de poing sur le nez, a demandé Eudes, tu serais d’accord ?

Mais même là, il n’a pas été d’accord, Agnan, et il a dit que d’abord il avait des lunettes et qu’on n’avait pas le droit de lui taper dessus, et qu’il se plaindrait à ses parents, qui se plaindraient au directeur et qu’on irait tous en prison, et que c’était très laid de tricher.

– Dix billes si tu nous passes les réponses, a dit Clotaire.

Agnan l’a regardé, il a eu l’air de penser un peu, et puis il a fait non de la tête.

– Trente billes, a dit Alceste.

Agnan a enlevé ses lunettes et il les a essuyées.

– Trente-deux billes, a dit Geoffroy, le copain qui a un papa très riche.

– Bon, a dit Agnan, mais vous me les donnez tout de suite.

Nous, on a été d’accord. Geoffroy a donné vingt-huit billes, et les autres copains, on s’est cotisés pour donner le reste. Agnan a mis les billes dans ses poches, et il nous a promis de nous passer un papier avec les résultats des problèmes. On était tous drôlement contents.

– On va tous être premiers ex æquo, a dit Joachim.

Et quand Clotaire lui a demandé ce que ça voulait dire, Joachim lui a répondu que ça voulait dire qu’il allait garder son vélo.

Quand nous sommes entrés en classe et que nous avons été assis, la maîtresse nous a dit de ranger nos livres sous les pupitres, de sortir une feuille de papier, de mettre notre nom en haut et à gauche. Et puis, elle est allée au tableau et elle a commencé à écrire les énoncés des problèmes. Il y en avait un avec deux trains qui partaient chacun d’un côté et la maîtresse voulait savoir quand ils allaient se rencontrer ; un autre avec l’histoire du robinet et de la baignoire qu’on a oublié de boucher ; et dans le troisième, on parlait d’un fermier qui allait vendre des tas d’£ufs, de tomates et de pommes de terre au marché.

Ils étaient drôlement difficiles, et nous, on regardait tous Agnan, parce que si Agnan ne savait pas, c’était fichu, pour la composition et pour les billes. Mais Agnan savait ; il écrivait drôlement vite, en tirant la langue et en comptant avec les doigts de la main gauche. Alceste m’a donné un coup de coude et il m’a dit :  » C’est gagné !  » Moi, je commençais à être inquiet, parce qu’Agnan n’avait pas l’air de s’occuper de nous, et Geoffroy lui a soufflé :

– Hé !

– Geoffroy ! a crié la maîtresse, au lieu de faire le pitre, vous feriez mieux de chercher la solution de ces problèmes.

Et alors, là, on a vu Agnan qui écrivait des choses sur un petit bout de papier, qu’il a roulé en boule. Il a regardé la maîtresse qui corrigeait des devoirs, il a regardé Geoffroy qui était assis sur le banc à côté, et hop ! il a envoyé le papier à Geoffroy.

– Ce papier ! Agnan, je vous ai vu ! Apportez-moi ce papier ! a crié la maîtresse.

Agnan, il a ouvert la bouche toute grande, et puis il s’est mis à pleurer. Alors, la maîtresse s’est levée et elle a pris le papier qui était sur le pupitre de Geoffroy, et puis elle a dit :

– Bravo, Agnan, bravo ! Je n’attendais pas ça de vous. Je vois que je m’étais trompée sur votre compte et que vous êtes aussi dissipé que vos camarades. Eh bien, sortez, nous verrons ça plus tard. En attendant, vous ne serez pas classé pour cette composition !

Agnan s’est roulé par terre, il a dit que personne ne l’aimait, que c’était de la faute à tout le monde, qu’il allait se plaindre à la police et qu’il allait mourir ; et puis, il est sorti.

Nous, on est restés tous là à regarder la porte avec des yeux ronds. Joachim derrière moi a dit tout bas :  » V’là mon vélo qui s’en va.  » Et puis la maîtresse nous a dit de ne pas nous occuper de notre camarade et de continuer à rédiger notre composition et que, si elle en attrapait encore un à se dissiper, elle le mettrait en retenue.

Et quand le directeur est venu nous donner les résultats de la composition, il a dit qu’il n’avait jamais vu ça depuis les années qu’il travaillait dans l’enseignement.

On était tous derniers ex æquo ! l

Extrait d’Histoires inédites du Petit Nicolas, volume 2.

Imav éditions 2006.

Copyright : Imav Editions/Goscinny-Sempé.

> La semaine prochaine : Seul !

par rené goscinny et jean-jacques sempé

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