La chute du clan

Christophe Barbier
Christophe Barbier Directeur de la rédaction de L'Express

Est-il fichu ? A sept mois de l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy regarde ses hommes tomber. Les affaires n’épargnent aucun des fidèles du chef de l’Etat.

Est-ce parce qu’il y a le feu à la maison sarkozyste que le président de la République a assisté samedi 24 septembre à un hommage aux sapeurs-pompiers français ? Les témoins de cette cérémonie ont trouvé le chef de l’Etat fatigué, cerné. En effet, il est cerné.

Les dernières affaires qui ont explosé à la face de l’exécutif, avec leurs sacoches d’argent liquide et leurs interceptions téléphoniques, ont frappé au c£ur du Sarkoland, dans les rangs de ces fidèles de toujours, de ces lieutenants sans lesquels rien n’aurait été possible en 2007, et tout sera difficile en 2012. Brice Hortefeux et Claude Guéant dans la lumière du pouvoir, Frédéric Péchenard, Thierry Gaubert ou Bernard Squarcini dans son ombre, Edouard Balladur et Nicolas Bazire en conseillers privés : tous avaient une place sur le terrain durant la campagne, tous seront sur la touche, inutilisables officiellement. Sans compter que plusieurs d’entre eux vivront à coup sûr de nouveaux épisodes délicats avant le printemps prochain. D’autres mises en examen, des démissions obligées, et c’est une fois de plus Nicolas Sarkozy qui en sera affaibli. L’épopée de 2007 a inspiré un film baptisé La Conquête ; celle de 2012 pourrait nourrir le scénario d’un thriller appelé L’Enquête.

A ce bataillon des grands brûlés du sarkozysme, il faut ajouter la liste des déçus et des aigris qui se sont éloignés du président, demi-traîtres comme il y a des demi-soldes : Pierre Charon et sa dissidence victorieuse au Sénat, Rachida Dati et sa dissonance minutieuse dans les médias, etc. Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy s’avance donc vers la présidentielle entouré d’un état-major composé d’anciens chiraquiens (Baroin, Copé), d’anciens villepinistes (Le Maire) ou d’anciens séguinistes (Fillon), tous ralliés fort tard à son panache. Non seulement ce sont là des sarkozystes de la vingt-cinquième heure, mais ils ont un autre point commun : tous songent à 2017 et considèrent qu’une défaite du sortant en mai prochain servirait leur ambition. En effet, compte tenu des difficultés promises au président du mandat à venir, il n’est pas stupide pour la droite de spéculer sur le quinquennat unique d’un candidat de gauche qui aurait battu Sarkozy.

A quelques mois du scrutin présidentiel, le chef de l’Etat se retrouve donc sans le soutien de l’opinion, privé de son clan, dépourvu d’un bilan éloquent et nanti d’un projet à cette heure faible et flou. Et la perte du Sénat semble l’orée d’un chemin de croix.

S’il en est là, Nicolas Sarkozy ne le doit qu’à lui-même. Ainsi, avec la justice, il a joué aux apprentis sorciers, taxant les magistrats de laxisme envers les récidivistes et d’archaïsme face aux réformes, tout en essayant de contrôler la machine grâce à quelques affidés bien placés. Il a tant défié les magistrats qu’il ne peut s’étonner aujourd’hui de l’acharnement d’une Isabelle Prévost-Desprez ou de la détermination d’un Renaud Van Ruymbeke. L’erreur fatale du président fut d’annoncer la suppression du juge d’instructionà sans mettre la menace à exécution. Pour la corporation, il est apparu à la fois comme un ennemi et comme un faible. Si les affaires s’accélèrent au crépuscule du candidat, c’est parce que brandir une muselière est inefficace autant qu’inacceptable.

Le président a méprisé les ralliés, disgracié les déçus

L’autre défaite du sarkozysme, amplement célébrée par l’opposition, est un Waterloo du symbole : le concept de République irréprochable, lustré durant la campagne de 2007, relève désormais de l’arroseur arrosé. Quand le chef de l’Etat s’abandonne au népotisme des nominations, la France, nation du piston, s’indigne en douce ; quand des surveillances téléphoniques abusives, des intermédiaires sulfureux et des bruits de mallettes entourent l’Elysée, l’humeur est aussi mauvaise, mais plus exprimée.

Le président a eu tort de fonctionner au sommet comme il le fit dans la pente : en bande, en clan, méprisant les ralliés et disgraciant les déçus. En regardant dans le rétroviseur du quinquennat, on s’aperçoit que l’ouverture à gauche fut cosmétique et la réconciliation de la droite, hypothétique : de la première, il ne reste que le souvenir de la ruse ; de la seconde, il ne demeure qu’un parti mué en centrifugeuse et attendant la défaite du président pour imploser. Nicolas Sarkozy n’a pas compris qu’au XXIe siècle, face à la complexité de la société française, le pouvoir se conquiert peut-être encore à l’ancienne, à quelques-uns, mais s’exerce avec tous, parce que la modernité l’exige. Cet état d’esprit serait sans doute le sien dans un second mandat, mais il est bien tard. Aujourd’hui, les membres de son clan, qui tombent un à un, sont comme des bûcherons qui auraient caché l’absence de forêtà

Il n’est pas utile aux juges de remonter jusqu’à l’Elysée, ni de se heurter au bouclier institutionnel qui protège son locataire : avoir disloqué son entourage suffit. Ni matamore ni martyr, Nicolas Sarkozy est seul, tout simplement. La Justice a retenu la leçon des années Chirac, au moment même où l’ancien président a décliné l’ultime rendez-vous qu’elle lui avait fixé : désormais, s’ils veulent impliquer un chef de l’Etat dans une enquête, les magistrats vont s’employer d’abord à le faire battre dans les urnesà

Paradoxe d’automne, plus Nicolas Sarkozy se comporte en président, converti à la sobriété et dédié à l’international, plus il est affaibli dans la perspective de sa réélection. Il réussit l’exploit de terminer son quinquennat comme ont achevé leur règne à la fois Richard III et le roi Lear.

CHRISTOPHE BARBIER

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