La caste des intouchables

Le féminisme est un combat vital. Mais comme toutes les militances qui prennent d’assaut un ordre des choses qui semble immuable, le féminisme n’évite pas toujours le piège du manichéisme. Ici, il consiste souvent à considérer que certaines qualités sont l’apanage des femmes. Et que les défauts qui en sont l’envers appartiennent exclusivement à la gent masculine. Cette dérive s’est spécialement manifestée à l’occasion des affaires de pédophilie dont notre pays a, ces derniers temps, été trop souvent le théâtre.

En réaction à un abus sexuel particulièrement sordide dont un homme s’était rendu coupable sur une petite fille, on a ainsi entendu naguère une militante, blessée par tant de brutalité, tonner qu’il était décidément urgent de prendre des mesures pour empêcher cette  » race  » maudite de nuire davantage. La sexualité des hommes est bien sûr différente de celle des femmes, mais une telle invective est absurde parce qu’elle fait l’impasse sur des agissements comparables chez les femmes. Certes, cette tragédie – souvent familiale – n’est pas du domaine public.

 » Si le phénomène de la délinquance sexuelle masculine a été depuis très longtemps étudié, il n’en est pas de même en ce qui concerne la délinquance sexuelle féminine ; elle reste même aujourd’hui, et pour le plus grand nombre, une notion inconnue », note l’Association française pour la recherche et le traitement des auteurs d’agressions sexuelles. L’examen de la littérature psychiatrique internationale à laquelle elle s’est livrée montre qu’il n’existe par exemple aucune publication française d’ensemble sur les femmes agresseuses sexuelles. L’existence de ces délinquantes peut-elle pour autant être ignorée alors que cette terra incognita commence à être sérieusement cartographiée ?

De nombreuses publications américaines existent en effet depuis les années 1980. En Angleterre, les écrits sur le sujet se multiplient aussi. Dans un article scientifique récent,  » Femmes agresseuses sexuelles en France « , deux psychologues français, Jean-Marc Deschats et Philippe Genuit, se sont attaqués au tabou des mères pédophiles. Et l’augmentation récente de la population des agresseurs sexuels sur enfant incarcérés en Belgique francophone ayant conduit, dans nos prisons, de plus en plus de femmes, une équipe pluridisciplinaire a, en 1998, à son tour, lancé une recherche.

Tirant les premières conclusions de cette enquête, Anne Claude, psychologue à la prison de Forest, note entre autres :  » Dans ses formes, l’abus par la femme est très comparable à celui perpétré par un homme, incluant une certaine violence, des pénétrations anales et vaginales, des masturbations réciproques et une sexualité orale. Des abus physiques et émotionnels de sévérité variable sont le plus souvent présents. Les mères maltraitent physiquement l’enfant (particulièrement les garçons) plus que les hommes abuseurs, et les victimes sont plus jeunes.  » (1) Opérant en milieu pénitentiaire – Deschats et Genuit travaillent à la prison de Rennes -, tous ces professionnels ont eu affaire aux cas les plus violents. Mais, derrière ces situations paroxystiques, se dissimule, disent-ils, un chiffre noir : celui des génitrices qui investissent leur sexualité d’adulte dans les rapports quotidiens de tendresse ou de soin qu’elles entretiennent avec leurs petits. Ces pratiques, explique une thérapeute interrogée à ce propos par un célèbre magazine féminin, sont vécues par l’enfant,  » comme un véritable anéantissement, un danger vertigineux d’être réassimilé au corps de la mère ». « Reconnaître que l’on a été abusé par sa mère est du domaine de l’indicible. Plus encore pour le garçon, atteint dans son image masculine », déclare un magistrat dans le même article.

Faut-il en rajouter ? Avec la défense de la nature, le féminisme est une des batailles politiques qui ont le plus fait progresser l’humanité depuis le mouvement ouvrier. Mais sa victoire restera inachevée s’il persiste à adhérer aux stéréotypes propres à l’idéologie patriarcale qu’il veut d’abattre. Souscrire aux mythes de la pureté virginale des sentiments féminins et de la majesté sacrée de la maternité, n’est-ce pas, entre autres, faciliter ces fréquents comportements incestueux qui expliquent souvent la violence des hommes à l’égard des femmes ?

(1) Cette chronique s’appuie essentiellement sur le livre coordonné par André Ciavaldini et Claude Balier, Agressions sexuelles : pathologies, suivis thérapeutiques et cadre judiciaire, éd. Masson, Paris, 250 pages.

DE JEAN SLOOVER

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