La capitale européenne du bâtiment passif

Dès 2015, toute nouvelle construction devra être passive à Bruxelles. Kots étudiants sur le campus UCL, Aéropolis II à Schaerbeek, quartier Bervoets à Forest… Les projets durables poussent comme des champignons. Visite guidée.

A deux pas de la gare du Midi rue de Suède, au c£ur d’un quartier populaire de Saint-Gilles, le bâtiment Midi-Suède a des allures futuristes. Avec ses bandeaux vitrés, ses loggias en bois et ses bow-windows ultramodernes, cet immeuble de 30 appartements haut de cinq étages n’offre pas seulement un visage très contemporain : ses équipements ne sont pas en reste. Doté entre autres de panneaux solaires thermiques, d’une chaudière à condensation collective et de récupérateurs d’eau de pluie, c’est le premier immeuble de logements bruxellois passif. Il fait office de référence dans le milieu de la construction.

Inauguré en juin 2011, ce bâtiment subsidié par la Société de Développement pour la Région de Bruxelles-Capitale (SDRB) est né d’un partenariat public-privé qui pourrait à l’avenir inspirer bien d’autres chantiers durables dans la capitale. C’est en tout cas l’espoir de Cédric Franck, l’un des concepteurs du projet et architecte à Urban Platform :  » Le passif est un progrès pour l’environnement. Mais le défi reste de l’intégrer dans les méthodes de travail de tous les acteurs du bâtiment, pour qu’il devienne une simple donnée, et pas un objectif en soi. « 

Règles européennes

Dès 2015, chaque nouvelle construction publique ou privée à Bruxelles devra être bâtie selon les normes passives ( lire l’encadré) afin d’être économe en énergie. L’obligation a été fixée par les réglementations européennes et la Région de Bruxelles-Capitale l’a transformée en déclaration politique dès 2009. Objectif : s’inscrire parmi les pionniers européens, sinon mondiaux, en matière de bâtiments passifs.

Comme l’Allemande Hanovre et le Tyrol autrichien, Bruxelles se donne les moyens de réussir son pari. Depuis 2010, les projets d’initiative publique sont obligés de respecter les normes du passif en termes de construction. Dans trois ans, cette législation sera également imposée aux logements privatifs, aux bureaux et aux écoles. En ligne de mire : la volonté de réduire de 30 % les émissions de gaz à effet de serre de la Région à l’horizon 2020. Car dans une ville comme Bruxelles, 70 % des rejets de CO2 proviennent des bâtiments.

Evelyne Huytebroeck, ministre bruxelloise de l’Environnement :  » Dans les années à venir, un grand nombre de bâtiments passifs seront construits, grâce en partie au renforcement des aides financières. Le budget des primes à l’énergie a augmenté de 50 % en 2011. Nous lançons aussi la cinquième édition de l’appel à projets « Bâtiments Exemplaires », avec l’ambition de développer plus de 100 000 m2 passifs supplémentaires.  » On parle de bâtiment passif quand celui-ci est doté d’une étanchéité et d’une isolation performantes qui permettent de limiter fortement les pertes de chaleur. Un léger appoint de chauffage peut suffire en cas de grand froid, et ce type de construction consomme quatre fois moins d’énergie – minimum – que la normale. Un bâtiment passif peut même devenir totalement autonome au niveau énergétique s’il est parfaitement conçu et que les gains de chaleur sont maximisés grâce au soleil et à l’énergie dégagée par les appareils électriques et les habitants.

Architectes à la pointe

Dans les bureaux d’architectes, le passif fait son chemin depuis un bon moment déjà. En témoigne Elodie Léonard, membre du bureau Architectes Associés et chef de projet pour l’immeuble Aéropolis II, à Schaerbeek.  » Les mentalités changent progressivement, que ce soit chez les promoteurs, les architectes ou les particuliers. Nos techniques de travail évoluent et nous devons toujours plus nous coordonner pour parvenir à livrer un produit conforme aux exigences du passif. « 

Achevé en 2010, Aéropolis II est le premier bâtiment passif construit à Bruxelles. Avec ses 7 400 m2 de bureaux, qui accueillent pour le moment plusieurs sociétés privées, dont les maîtres d’ouvrage, c’est le bâtiment d’éco-construction le plus vaste du Benelux. Plus pour longtemps : il sera détrôné à la fin de l’année par le siège de Bruxelles-Environnement (IBGE) et ses 16 250 m2, sur le site de Tour & Taxis. Avec une gestion centralisée du bâtiment, un puits canadien permettant l’autoproduction de fraîcheur (en été) et de chaleur (en hiver) et des techniques passives low-tech (stores, ventilation, etc.), ce complexe de bureaux a été pensé dans les moindres détails pour être écologique et confortable. Ce n’est pas Hendrick Deblander, occupant du cinquième étage et directeur marketing du Groupe Arco, qui dira le contraire.  » Depuis que nous avons emménagé à Aéropolis II, finis les courants d’air et les rhumes. L’été, c’est aussi très appréciable d’être dans une pièce où l’écart de température avec l’extérieur n’est pas de 15°C.  »

Promoteurs à la traîne

Plus onéreux que l’immobilier standard (1 200 euros le m2), susceptible de surchauffe et de nuisances sonores, le passif n’a pas que des atouts. Il compte plusieurs points noirs aux yeux des Bruxellois.  » Les gens pensent qu’on ne peut pas ouvrir les fenêtres quand on vit dans un logement passif sous peine de détraquer tout le système de régulation. C’est faux, tempère Cédric Franck. Mais c’est tout de même conseillé de l’éviter…  » Il faut dire que le passif bouscule un peu nos habitudes : absence de radiateurs, température régulée en permanence, pas besoin d’aérer les différentes pièces… De quoi susciter une certaine méfiance chez les acquéreurs potentiels.  » Lorsqu’on dit aux gens qu’un système de ventilation va remplacer les radiateurs, ils sont interloqués, avance Elodie Léonard. Le rejet vient surtout de la méconnaissance, voire de l’ignorance des méthodes passives. C’est à nous de casser ces clichés. « 

Des difficultés concrètes peuvent aussi survenir, comme l’atteste Luc Busseniers, inspecteur général à la SDRB.  » D’ici trois ans, le principal challenge sera d’ordre architectural et technique. Il va falloir réussir à rendre tout nouveau bâtiment conforme aux normes du passif, qu’importent son orientation et son exposition au soleil. Jusqu’ici, nous n’avons pas encore rencontré de situation critique au point de devoir jeter l’éponge.  » L’autre défi à relever est d’ordre financier. A 1 200 euros le m² en moyenne, le passif reste plus cher que le standard.  » On estime aujourd’hui que le surcoût varie entre 5 et 10 %, poursuit Luc Busseniers. Un investissement initial plus important, certes, mais qui s’amortit avec les années, car la facture énergétique est plus légère de 75 %. Et puis, la vulgarisation du passif devrait générer rapidement une baisse du coût des bâtiments. « 

Les promoteurs, eux, observent du coin de l’£il. Pour Etienne d’Ursel, promoteur immobilier bruxellois, le marché du passif n’est pas encore assez développé pour s’y intéresser sérieusement.  » A l’heure actuelle, la demande de logements passifs est encore marginale. Je pense donc qu’il vaut mieux privilégier le « basse énergie ». Au lieu d’isoler parfaitement une poignée de logements, j’ai fait le choix d’en isoler beaucoup de manière tout à fait satisfaisante. Je transiterai vers le passif quand cela deviendra obligatoire en 2015, mais pas avant. « 

En attendant, pour convaincre les indécis, les pouvoirs publics mettent la main au portefeuille. La SDRB subsidie la construction de logements et la Région octroie des primes pouvant aller jusqu’à 100 euros/m² de surface plancher (jusqu’à 150 m2). En caressant l’espoir de devenir le leader européen des constructions passives. Un beau défi.

ANNABELLE DUAUT

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire