La botte du secret

Premier gouvernement, premier Conseil des ministres, premiers sommets internationaux : le président cherche à imprimer sa marque élyséenne. Plus solennel, (un peu) moins bavard.

A-t-il, une fois encore, relu comment François Mitterrand avait agi en pareilles circonstances ? Ouvrant son premier Conseil des ministres, le 27 mai 1981, celui-ci avait parlé d’un ton sec, pour couper court à une ambiance chahuteuse –  » Il ne faut pas qu’ils croient qu’ils sont encore au comité directeur du PS « , avait-il chuchoté à son voisin, Michel Jobert. Le 17 mai 2012, l’horloge du salon Murat de l’Elysée affiche 15 heures passées quand François Hollande préside son premier Conseil. Il prend la parole avec une solennité certaine :  » La plupart d’entre nous, nous nous connaissons depuis longtemps, et certains même depuis très longtemps. La place pour l’amitié existait, existe et existera, mais il n’y aura plus de place pour la familiarité. « 

Le préambule marque un changement d’ère.  » Pendant la campagne régnait entre nous un état d’esprit de start-up ; là, le ton est différent « , raconte une ministre. Le chef de l’Etat poursuit :  » Restez proches des gens. Pas de protocole inutile. Mais respectez la fonction.  » Il donne la parole à  » Monsieur le Premier ministre « .  » Monsieur le président de la République, je vous remercie « , répond son complice depuis quinze ans, Jean-Marc Ayrault.

Imposer sa marque présidentielle tout en restant fidèle à ce qu’il est : François Hollande invente son style. A la sortie du Conseil, le naturel revient au galop. Le voilà de nouveau jovial et direct. Il interroge plusieurs ministres :  » Comment s’est déroulée la passation de pouvoir ? Et le contact avec vos administrations ?  » Il a un mot pour chacun :  » C’est incroyable d’être là. Quel aboutissement !  » lâche-t-il à l’un.  » C’est bien d’avoir accepté d’entrer au gouvernement « , glisse-t-il à un autre. A Bernard Cazeneuve, maire de Cherbourg et ministre délégué aux Affaires européennes, qui s’adresse à lui d’un  » Monsieur le président « , il répond :  » Le Conseil est fini, tu peux m’appeler comme d’habitude.  » Et il ne résiste pas à une plaisanterie :  » On s’est dit que pour les Affaires européennes, un Normand, maire d’une ville en face de l’Angleterre, c’était bienà  » Un autre ministre maire passe. Aussitôt, le chef de l’Etat l’interroge sur la manière dont s’effectuera la succession à l’hôtel de ville. Car les règles sont claires : pas de cumul.

Pour composer le gouvernement, François Hollande a trouvé un moyen d’affirmer son autorité : le secret. Il avait prévenu ses troupes lors de l’ultime comité stratégique de la campagne, le 8 mai :  » Je ne souhaite pas que les informations fuitent. Le Premier ministre sera annoncé officiellement mardi. J’en aurai parlé seulement la veille à l’intéressé. Le mercredi, la journée sera consacrée à composer le gouvernement. Ce sera une  » blitz composition  ».  » Il a tenu parole. Seuls Laurent Fabius et Michel Sapin ont été prévenus la veille, tous les autres ont dû patienter. Le 15 mai, Vincent Peillon paraît décomposé : il ne dispose d’aucune information et ne peut que s’en remettre à la rumeur, qui le dit chassé par Martine Aubry du ministère de l’Education. Le lendemain, à deux pas de l’Assemblée, Marisol Touraine déjeune avec des proches. A deux tables se trouve Pierre Moscovici.  » As-tu été appelé ?  » l’interroge celle qui va devenir ministre des Affaires sociales et de la Santé.  » Non « , avoue le futur ministre de l’Economie. Le gouvernement doit être annoncé dans l’après-midi. Les heureux élus sont appelés in extremis, entre 14 h 30 et 17 h 30.

Ne pas devenir son propre commentateur

Un doute demeure sur le moment où le président a avertià son Premier ministre. S’est-il, cette fois-ci, démarqué de François Mitterrand, qui avait prévenu Pierre Mauroy, lors d’un déjeuner aux Halles, en novembre 1980 – avant de ne plus aborder le sujet jusqu’au lendemain de la victoire, six mois plus tard ? Jean-Marc Ayrault jure n’avoir été informé que le 14, à la veille de l’annonce officielle de sa nomination.

François Hollande chef de l’Etat veut demeurer un être insondable. Dans L’Homme qui ne devait pas être président, de Karim Rissouli et Antonin André (voir en page 18), il confie :  » Je dis très peu de choses, ce que je ressens profondément, même mes enfants ne le savent pas. Je suis très bavard, mais sur l’essentiel, sur moi, je ne dis rien. Même à mes proches, même à Valérie [Trierweiler]. Je pense qu’elle en souffre, d’ailleurs. Au fond je n’ai pas de confident.  » Bavard, donc, il a l’habitude de parler sans rien dire. Raison de plus pour éviter désormais un écueil : parler pour ne rien dire. Le jour de son investiture, en dehors de ses discours, il répond trois fois aux micros qui se tendent : après avoir honoré la mémoire de Marie Curie, sur le parvis de l’hôtel de ville de Paris, sur le tarmac de Villacoublay. Le 18 mai, à Washington, à peine a-t-il terminé une conférence de presse, après sa rencontre avec Barack Obama, qu’il explique à i-télé qu’il n’a  » pas tant que ça  » été impressionné :  » Je m’attendais à un bureau plus vaste, à une maison plus grande encore. J’étais tellement plus préoccupé par l’entretien que j’avais avec lui.  » François Hollande a toujours été l’un des observateurs les plus subtils de la vie politique française, mais il doit changer de rôle et ne pas devenir son propre commentateur, histoire de balayer les risques d’une présidence bavarde. Trouver la bonne hauteur est une obsession de tout nouvel arrivant. François Hollande avait accepté de déléguer des points clés de sa journée d’investiture. Pour honorer Jules Ferry, son équipe avait cogité sans lui à la recherche d’un lieu symbolique. C’est en tapant sur Google  » monument + jules ferry + paris  » qu’Aquilino Morelle et Manuel Valls étaient tombés sur la photo de l’imposante représentation du héros de l’école républicaine aux Tuileries.

Trouver le bon ton est enfin une exigence. Pendant son séjour aux Etats-Unis, pour les sommets du G 8 et de l’Otan, il a déclaré :  » Je considère que le mandat qui m’a été confié par les Français a déjà été honoré.  » C’est un autre risque qui le guette : ce que Jean-Pierre Raffarin, découvrant Matignon en 2002, avait appelé  » l’accident de ski du troisième jour  » – après avoir effectué des débuts tout en concentration, se relâcher et donner l’impression d’être content de soi. S’il le faut, la crise se chargera de rappeler au président l’étendue de sa tâche.

ERIC MANDONNET ET MARCELO WESFREID

 » La place pour l’amitié existait, existe et existera, mais il n’y aura plus de place pour la familiarité  » FRANÇOIS HOLLANDE

 » Au fond, je n’ai pas de confident  » FRANÇOIS HOLLANDE

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