La beauté exacte

Guy Gilsoul Journaliste

A l’occasion de la Biennale de Venise, Le Vif/L’Express interroge, six semaines durant, diverses pratiques de l’art actuel. Cette semaine : art et mathématique.

L’artiste a souvent rêvé d’une beauté qui soit supérieure à celle proposée par la nature. Quelle audace ! Et pourtant, tout au long de l’Histoire, ils sont nombreux, peintres, architectes ou musiciens, à chercher à rejoindre cette harmonique absolue. Avec son intelligence logique, le créateur a même tenté d’en percer les secrets enfouis, cherchant dans les proportions (parfois appelées  » d’or « ) la clé d’une beauté qui, du coup, devenait celle des mécanismes de l’infiniment petit et de son contraire, l’Univers. Ainsi, grâce aux mathématiques, l’art portait en lui un concentré des lois qui régissent la nature tout entière.

Pour atteindre ce but, le plasticien fit appel à la géométrie, soit une méthode exacte, précise, rigoureuse, dont firent usage les Egyptiens et plus tard les Grecs, puis les Gothiques. La Renaissance à son tour en usa. Mais comme la suprême beauté renvoyait au sacré et donc à l’indicible, le peintre par exemple introduisait, dans cet ordre objectif de la mathématique, de petits écarts qui puissent ajouter à la rationalité de la scène (son réalisme) la part spirituelle et indicible du message divin.

Les chefs-d’£uvre des musées sont nés de ce sulfureux mariage. Lorsqu’au début du xxe siècle le Néerlandais Piet Mondrian propose des toiles réduites à une grille animée par les seuls rouge, bleu et jaune, on pourrait croire en une construction quasi arithmétique. Il n’en est rien. C’est par tâtonnements intuitifs que l’artiste, par ailleurs animé par une conviction religieuse (la théosophie), cherche à atteindre ce qu’il appellera la  » pure plastique de la paix « . Or, au même moment, certains artistes, aux antipodes de Mondriaan, prennent appui sur la seule logique (inhérente au raisonnement mathématique) pour atteindre un but tout à fait opposé. Comme elle, l’£uvre vise une neutralité absolue. Du coup, plutôt que de viser l’essence cachée, le mystère, l’énigme, la peinture ne révèle que sa seule présence objective : un carré, un monochrome….

Mais est-il possible de faire barrage à la subjectivité ? N’est-ce pas là un autre absolu avec lequel, faut-il le rappeler, Marcel Duchamp s’est battu toute sa vie ?

barrage à l’interprétation

 » Dès les années 1920, nous expliquait à Venise l’artiste français Bernar Venet (ses nouvelles sculptures sont disposées dans un vaste espace de l’Arsenale), Theo Van Doesburg en Hollande, Wladyslaw Strezeminski en Pologne vont dans ce sens. Ils proposent des £uvres qui n’évoquent rien sinon leur présence physique.  » A l’heure de l’art minimaliste (années 1960), Dan Flavin ne fera rien d’autre en accrochant côte à côte des tubes de néon. C’est donc dans cette voie (Venet parle de la valeur  » monosémique  » de ses £uvres) que Bernar Venet travaille depuis quarante ans.

 » Quand je pose un ensemble d’arcs d’acier contre un mur ou sur le sol et que j’indique sur la pièce elle-même ou sur le mur ce à quoi la forme correspond (un angle précis), je fais barrage à toute forme d’interprétation. L’£uvre est et n’est qu’un angle de 220.5° ou de 2650.5° par exemple mis en volume. J’atteins ainsi une pure abstraction ou, si vous voulez, en effet, un absolu. Il en va de même avec d’autres concepts sur lesquels je travaille actuellement comme le déséquilibre, l’instabilité ou la dispersion. « 

Venise, Arsenale Novissimo. Jusqu’au 20 septembre. www.labiennale.org

GUY GILSOUL

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