Le message explicite d'opposants au Brexit, le 31 décembre à Edimbourg. © getty images

Écosse: l’Union européenne devrait-elle faire un geste?

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Des personnalités appellent les dirigeants européens à préciser et à faciliter la procédure d’adhésion de l’Ecosse à l’UE avant tout référendum d’indépendance. Une des signataires, Anne Weyembergh (ULB), explique les raisons de cette initiative.

En cas d’accession à l’indépendance au terme d’un référendum démocratique, l’Ecosse, traditionnellement proeuropéenne, solliciterait sans nul doute une réadhésion à l’Union européenne. Serait-elle conditionnée au parcours du combattant imposé à tout nouveau candidat? Dans une tribune publiée le 29 avril dans Libération sous le titre L’Europe pour l’Ecosse, 170 personnalités des mondes culturel et académique appellent les dirigeants de l’Union à adresser une « offre d’adhésion unilatérale ouverte » à l’Ecosse. A contexte exceptionnel, le Brexit non désiré par une majorité d’Ecossais, solution exceptionnelle, plaident les signataires. « Il s’agit d’une évolution sans précédent qui exige des réflexions nouvelles de la part de l’Union européenne. C’est pourquoi nous demandons de veiller à ce que l’UE indique clairement la voie à suivre pour devenir un membre avant tout référendum sur l’indépendance. » Professeure à la faculté de droit et à l’Institut d’études européennes de l’ULB, Anne Weyembergh est une des signataires belges de l’appel. Elle explique les raisons de cette prise de position.

Accorder à l’Ecosse des facilités de réadhésion à l’Union européenne ne fragiliserait-il pas l’application du droit européen?

Tant politiquement que juridiquement, c’est une question extrêmement complexe et difficile à régler. Mais ce n’est pas parce que c’est complexe qu’il ne faut pas prendre position. J’ai signé cette tribune à titre privé car elle appelle à une réflexion approfondie sur le sort de l’Ecosse. Le pouvoir central du Royaume-Uni prend des décisions qui s’imposent aux entités fédérées. L’une d’elles, l’Irlande du Nord, a des possibilités juridiques de rejoindre l’Union via la réunification des deux Irlande. Vu la spécificité de sa situation, elle bénéficie d’un traitement privilégié par rapport à l’Ecosse. Il est difficilement acceptable de laisser tomber l’Ecosse, entité fédérée qui n’a rien eu à dire, ou si peu. Je rappelle le résultat du référendum sur le Brexit en Ecosse (62% des électeurs écossais ont voté contre la sortie de l’Union européenne). Elle se retrouve dans une situation qu’elle n’a pas voulue et est l’otage des résultats du référendum au Royaume-Uni et des négociations avec l’Union européenne.

Le pouvoir central du Royaume-Uni prend des décisions qui s’imposent aux entités fédérées. L’une d’elles, l’Irlande du Nord, a des possibilités juridiques de rejoindre l’Union via la réunification des deux Irlande. Elle bénéficie d’un traitement privilégié par rapport à l’Ecosse.

Le cas de l’Irlande du Nord peut-il vraiment être considéré comme un précédent?

Bien entendu, la situation de l’Irlande du Nord et les risques pour le processus de paix sont tout à fait spécifiques. La situation est différente de celle de l’Ecosse. Mais si elle accepte de se réunifier avec la République d’Irlande, l’Irlande du Nord pourrait réintégrer l’Union européenne. Le cas est en partie comparable à la réunification allemande. Réunie à l’Allemagne de l’Ouest, l’Allemagne de l’Est est devenue membre de l’Union.

La possibilité offerte à l’Irlande du Nord justifie donc pour vous que l’Union européenne fasse un geste à l’égard de l’Ecosse?

Il n’est pas question d’interférer dans l’ordre constitutionnel du Royaume-Uni. Mais si le gouvernement britannique accepte l’organisation d’un référendum et si le résultat de celui-ci est positif, il serait logique que des signes soient envoyés par l’Union européenne pour signifier que le processus d’adhésion devrait logiquement aboutir, et plus rapidement que s’il s’agissait d’un Etat tiers que l’on ne connaît pas. On pourrait ainsi donner à l’Ecosse, dans des termes prudents, des perspectives positives quant à son adhésion.

Ne seraient-elles pas perçues à Londres comme une ingérence dans des affaires intérieures?

Il n’y aurait pas vraiment d’ingérence: c’est à la condition que l’organisation du référendum soit autorisée conformément au droit constitutionnel du Royaume-Uni. Rappelons que, lors du premier référendum en 2014, le président de la Commission européenne de l’époque, José Manuel Barroso, était intervenu pour souligner qu’il serait extrêmement difficile, voire impossible, pour une Ecosse indépendante d’adhérer à l’Union européenne vu l’opposition de certains Etats membres tels que l’Espagne, confrontée à des velléités indépendantistes. Il était ainsi en quelque sorte venu appuyer le gouvernement central britannique, en alertant les citoyens écossais de ce que, si jamais ils choisissaient de quitter le Royaume-Uni, leur adhésion à l’Union serait très incertaine. Donner maintenant des perspectives positives quant à une future adhésion à l’Union européenne si le référendum est autorisé en Ecosse serait en quelque sorte un juste retour des choses.

Le gouvernement de Londres ne pourrait-il s’en servir pour refuser un référendum à l’Ecosse?

S’opposer au référendum comme Boris Johnson semble vouloir le faire est politiquement incohérent et paradoxal. On a déjà admis pareil référendum une première fois et les dirigeants britanniques l’ont accepté pour le Brexit.

Cela signifierait-il in fine qu’il n’y aurait aucun processus d’adhésion pour l’Ecosse indépendante?

Il faudra une procédure de réadhésion, mais celle-ci pourrait être plus légère, compte tenu de la situation particulière de l’Ecosse qui se conformait encore à l’acquis de l’UE il y a quelques mois. C’est entre autres l’appel à la créativité et l’imagination des dirigeants européens qui m’a séduite dans cette tribune.

L’idée de l’indépendance de l’Ecosse ne suscite-t-elle pas de la sympathie parce qu’elle émane de dirigeants progressistes? Mais n’ouvrirait-elle la boîte de Pandore à d’autres séparatismes moins ouverts et moins inclusifs?

Le séparatisme écossais n’est pas le seul à être « proeuropéen » et le nationalisme qui s’attaque à l’Union européenne n’est pas l’apanage des séparatistes. Il suffit de songer aux nationalismes hongrois ou polonais…

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