En février 1990, le secrétaire d'Etat américain James Baker promet à Mikhaïl Gorbatchev que l'Otan ne s'étendra pas au-delà de l'Allemagne orientale. © GETTY IMAGES

Pour l’ex porte-parole de Gorbatchev, « renverser Poutine est irréaliste » (entretien)

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

La promesse faite à Mikhaïl Gorbatchev en 1990 par les Etats-Unis était une contrepartie à l’intégration de l’Allemagne unifiée dans l’Alliance atlantique, assure Andreï Gratchev, ancien porte-parole du dernier président de l’URSS. La guerre à la lumière de l’histoire.

Ancien porte-parole du dernier président de l’Union soviétique Mikhaïl Gorbatchev, Andreï Gratchev a une formule éloquente, dans son passionnant livre Le Jour où l’URSS a disparu (1), pour décrire l’attitude de l’actuel maître du Kremlin à l’égard de l’Ukraine, qu’il n’avait pas encore envahie: « Ce « temps de troubles » réveille à Moscou la tentation de se réfugier dans la fuite en arrière, vers son passé à la fois soviétique et impérial. »

Vladimir Poutine veut-il reconstituer une forme d’Union soviétique?

On est parfois embarrassé pour donner des explications rationnelles à son action. Trois semaines après le début de l’opération russe en Ukraine, on ne voit que le désastre humain et l’échec stratégique de son projet. A la suite de ce que Vladimir Poutine a qualifié de coup d’Etat anticonstitutionnel, en 2014, après la destitution du président élu Viktor Ianoukovitch, le pouvoir à Kiev est passé, selon lui, dans les mains d’éléments extrémistes. Leur intention de quitter l’orbite de l’alliance avec la Russie a représenté un danger existentiel pour celle-ci par l’encerclement stratégique consécutif à l’extension de l’Alliance atlantique à l’est, contrairement aux promesses faites à Mikhaïl Gorbatchev. Au bout de huit ans de montée des tensions et face, dans l’entendement de Poutine, à l’absence d’avancées sur ses demandes, il a choisi la voix de la force, créant la plus grave crise depuis la Seconde Guerre mondiale en Europe.

Espérer que des oligarques ou d’autres victimes des sanctions aient les moyens de renverser Vladimir Poutine à court terme est irréaliste. »

Andreï Gratchev, ancien porte-parole de Mikhaïl Gorbatchev.

Pouvez-vous confirmer la promesse faite à Mikhaïl Gorbatchev de limitation de l’extension de l’Otan?

Oui. En tant que proche conseiller et, à la dernière étape de son mandat, de porte-parole de Mikhaïl Gorbatchev, je peux vous confirmer qu’en février 1990, au lendemain de la chute du mur de Berlin et au début du processus de rapprochement entre la République fédérale d’Allemagne et la République démocratique allemande, la question s’est posée de l’entrée de l’Allemagne, prochainement unifiée, dans l’Otan. A l’époque, il faut rappeler que face à l’Alliance atlantique, existait le Pacte de Varsovie, dont la RDA faisait partie. En visite à Moscou, James Baker a défendu devant Mikhaïl Gorbatchev que cette intégration était dans l’intérêt de l’Allemagne mais aussi de l’Union soviétique parce qu’ainsi, l’Allemagne unifiée serait plus prévisible, mieux contrôlée, et empêchée de s’approprier, par exemple, des armes de destruction massive. En échange de quoi, James Baker a annoncé que les Alliés, au premier chef les Américains, s’engageaient à ce que les structures militaires, la juridiction de l’Otan comme il l’a formulé, ne bougeraient pas d’un pied vers l’est. L’est, à cette époque-là, cela signifiait l’est de l’Allemagne, la RDA. Mikhaïl Gorbatchev n’envisageait pas la perspective proche de la dissolution du Pacte de Varsovie. La question de l’éventuelle extension de l’Otan en direction des autres pays de l’Europe de l’Est ne se posait pas.

Andreï Gratchev
Andreï Gratchev© Hannah Assouline

Mikhaïl Gorbatchev a-t-il eu d’autres garanties?

La promesse des Etats-Unis a été confirmée lors d’entretiens qu’il a eus par la suite avec le chancelier allemand Helmut Kohl, le président français François Mitterrand et le Premier ministre britannique John Major. Il est vrai que ces déclarations n’ont pas pris une forme écrite. Sauf que cet engagement a été inscrit dans les clauses du traité d’unification de l’Allemagne, signé à l’automne 1990. Il a d’ailleurs été tenu. L’Allemagne fédérale, devenue membre plein et entier de l’Otan, a renoncé pendant une longue période au déploiement en ex-RDA de contingents militaires d’autres pays de l’Otan et même de contingents allemands affectés à l’Alliance. Les vagues successives d’élargissement de l’Otan, avec l’admission de pays comme la Pologne, la Hongrie, la Tchéquie, ne sont intervenues qu’à partir de 1994, sous Boris Eltsine, et ensuite sous Vladimir Poutine.

Les difficultés de l’invasion et les conséquences des sanctions pourraient-elles pousser une partie de la population russe à contester Vladimir Poutine?

Il y a le temps court et le temps long. Pour le moment, une grande partie de la société russe est privée des moyens de communication indépendants pour s’informer sur la conduite de la guerre. Le pouvoir a installé un contrôle strict des médias écrits et télévisés. Donc, sur le temps court, on assiste principalement à des manifestations de soutien à l’action de Vladimir Poutine, présentée d’abord comme un moyen d’assurer la sécurité de la Russie. Même la partie de la population qui commence à ressentir les effets des sanctions occidentales et qui réagit différemment à cette action arbitraire n’a pas beaucoup de moyens d’influer sur le comportement du Kremlin. Espérer que des oligarques ou d’autres victimes des sanctions aient les moyens de limiter les dégâts de la guerre, de s’opposer au pouvoir, voire de renverser Vladimir Poutine est irréaliste. Sur le temps long, si l’opération n’apporte pas les résultats escomptés, si l’Ukraine se transforme en une sorte d’ Afghanistan bis, la désapprobation de la société pourrait s’accentuer d’autant plus vite que l’information sur la réalité de la guerre commencera à parvenir à la population, par Internet, et que le retour des cercueils des soldats tués produira des effets semblables à ceux observés lors de la guerre d’Afghanistan. Mais cela peut prendre du temps. Entre l’invasion de l’Afghanistan en 1969 par Léonid Brejnev et l’arrivée à la tête de l’URSS de Mikhaïl Gorbatchev, il a fallu attendre six ans. Vladimir Poutine se satisfera-t-il d’un résultat limité, comme la déclaration de neutralité de l’Ukraine, un renoncement à l’adhésion à l’Otan, la reconnaissance des républiques russophones? Face à la perspective d’un enlisement, on pourrait penser qu’il soit tenté de trouver une porte de sortie. Mais rien n’est moins sûr.

(1) Le Jour où l’URSS a disparu, par Andreï Gratchev, L’Observatoire, 2021, 250 p.

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