L’Oréal L’âge du lifting

Le leader mondial des cosmétiques fête ses 100 ans. Mais la crise n’épargne pas la plus belle success story française et quelques ratés la conduisent aujourd’hui à revoir sa stratégie. Elle le vaut bien.

L’enthousiasme ne l’a jamais quitté. Même après trente ans de maison, Jean-Paul Agon, directeur général de L’Oréal, continue de s’émerveiller. Le quinquagénaire, aux traits juvéniles, présente les derniers produits du n° 1 mondial des cosmétiques. Sans angélisme mais avec détermination, il répond à la baisse de la consommation en brandissant le Caféine Roll-on, une formule anticernes de Garnier (8 euros) ; à celle des bénéfices, par le nouveau soin  » magique  » Génifique, de Lancôme (78 euros) ; et à la montée de la concurrence par la sortie, le mois prochain, des soins Garnier à 3 euros…

A l’heure de fêter ses 100 ans, l’entreprise fondée par Eugène Schueller reste imaginative. Présente dans 130 pays, la multinationale (17,5 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2008) semble pourtant contrainte aujourd’hui de revoir sa stratégie.  » La crise nous oblige à réfléchir aux fondamentaux de notre modèle, qui ont fait le succès de L’Oréal depuis un siècle « , reconnaît Agon. Et sur ce qui menace de plus en plus sa suprématie…

En un siècle, la Société française des teintures inoffensives pour cheveux, fondée en 1909, devenue L’Oréal en 1939, n’a pas fondamentalement changé. Aux principes fondateurs – l’innovation (quelque 500 brevets par an) et la focalisation sur les métiers de la beauté – se sont ajoutées, au fil des ans et des dirigeants (seulement cinq en un siècle), d’autres règles qui ont permis de faire de la société  » une success story mondiale « , s’enthousiasme Nicolas Hieronimus, patron de la division produits professionnels. Si le chimiste Eugène Schueller a su multiplier les innovations dans les produits capillaires, comme Imédia, première coloration rapide, son successeur, François Dalle, a réussi à développer le marketing, en lançant une kyrielle de petites marques devenues des géantes, comme Elnett, en 1957, ou en s’emparant de fleurons, tel Lancôme, en 1964.

Cette quête exigeante n’aurait pas été possible sans une forte culture interne et cette  » saine inquiétude  » que l’entreprise a dispensée à plusieurs générations de jeunes diplômés. Ce n’est pourtant qu’après l’accession de Lindsay Owen-Jones à la présidence, en 1988, que la maison a acquis sa véritable dimension internationale.  » Après la chute du mur de Berlin, il a fallu investir partout et en même temps « , se souvient l’ex-PDG. Avec des outils de conquête tels que Maybelline, modeste marque américaine rachetée en 1996, dont le succès a été fulgurant, notamment en Chine. Mais aussi avec de colossaux budgets publicitaires : porté par une escouade d’ambassadrices de charme, le slogan  » L’Oréal, parce que je le vaux bien  » a fait le tour du monde. Fort d’une gamme complète, présent sur tous les réseaux de distribution, L’Oréal est devenu l' » un des meilleurs gestionnaires de marques d’Europe « , selon le consultant Manuel Sialho.  » Lorsqu’on cherche les forces et les faiblesses du groupe, explique ce spécialiste des stratégies de marques, on décerne beaucoup de bons points et pratiquement aucun mauvais. « 

L’hommage est sans doute un peu exagéré. Car, si ce long chemin a été balisé par des succès éclatants, il n’a pas non plus été exempt d’erreurs, que la crise met en évidence. Cette  » Babylone des cosmétiques « , pourtant constamment en alerte pour rester n° 1, n’a pas toujours vu le paysage se transformer.  » La concurrence est beaucoup plus agressive qu’il y a trente ans « , souligne un analyste. Les géants comme Procter, et tant d’autres, sont venus grignoter peu à peu le quasi-monopole de la multinationale. Sur le segment grand public, l’allemand Nivea, qui préfère l’efficacité au glamour, a ainsi fait mieux que L’Oréal en 2008. Même manque de vigilance pour Vichy, désormais  » plus ou moins doublée par Caudalie et Nuxe « , note une ancienne de L’Oréal. Les rachats de certaines enseignes effectués dans un souci de diversification, comme celui de The Body Shop (2006), n’ont pas davantage réussi. La récession a rendu ces échecs plus visibles. D’autant, souligne un ancien cadre, que  » L’Oréal a mis plus de temps que ses concurrents à se remettre en question « .

Des fermetures d’usines,une première

Depuis la fin de 2008, Jean-Paul Agon a pourtant lancé plusieurs chantiers pour prouver que  » L’Oréal n’est pas figée « . D’abord, pour contrer les marques de distributeurs, le directeur général a réorienté le groupe vers l’innovation accessible : Garnier propose ainsi des lotions à 3 euros. Une correction de prix qui se décline dans les produits professionnels, avec, par exemple, le balayage Riviera à 30 euros. L’Oréal va également s’ouvrir à certaines catégories, comme les produits pour hommes. La poursuite de l’internationalisation va aussi être accélérée,  » même si, souligne une analyste, les succès obtenus dans le monde ne compensent pas les pertes en Europe et aux Etats-Unis « . Enfin, la firme a décidé de réduire ses coûts, notamment en gelant les embauches et en fermant, pour la première fois de son histoire, des usines, en Europe.

Ces mesures musclées seront-elles suffisantes ? Rien n’est moins sûr. D’abord, parce que  » le comportement des femmes a changé, ainsi que l’observe une ex-chef de produit. Moins naïves, elles ne croient plus aux formules magiques. Ce qu’elles veulent ? De la simplicité et de l’efficacité « . C’est pour cette raison que le luxe (Lancôme) souffre davantage.  » Or, regrette un expert, les changements, opérés dans la continuité, ne sont pas suffisants.  » Jean-Paul Agon ne possède pas encore assez de légitimité pour tout remettre à plat. Dommage, parce que cette prudence ne permet pas de surmonter les problèmes : le risque de cannibalisation s’accroît et l’image du groupe pourrait ne pas résister à la nouvelle philosophie des prix cassés, qui est à l’opposé de ses valeurs.

En réalité,  » nous sommes à la fin d’une époque, explique une analyste. Les croissances à deux chiffres ne reviendront pas. Il faut donc prendre la pleine mesure de ce bouleversement « . Une révolution à la portée de L’Oréal, avec cette nouvelle génération aux commandes, prête à troquer quelques vieux principes contre des idées neuves. Tout en s’appuyant sur l’image de cette sacrée centenaire. Comme le martèle Agon,  » L’Oréal ne touche que 1 milliard de personnes « … l

corinne scemama

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