Bertrand Candelon

Le décodeur de l’économie de Bertrand Candelon: l’or, cette valeur sentimentale (chronique)

Bertrand Candelon Professeur de finance à l'UCLouvain et directeur de la recherche Louvain-Finance.

L’or apparaît clairement comme un actif bien plus risqué que les actions.

Un des objectifs de la recherche consiste à confirmer ou infirmer de manière systématique les croyances présentes dans l’imaginaire collectif. Il est courant d’entendre, par exemple, que l’or constitue la réserve de valeur ultime. Il permettrait à un investisseur de se protéger de l’inflation et des crises, quelle que soit leur nature. En cette période de tensions géopolitiques et d’incertitudes économiques qui en découlent, l’or pourrait donc apparaître comme un îlot de sécurité pour des placements en « bon père de famille ».

Cette croyance s’est construite autour de la place particulière tenue par l’or dans le système monétaire international jusque dans les années 1970. En effet, pendant de nombreux siècles, le précieux métal a constitué la devise de réserve quasi exclusive des banques centrales. Le soutien de la croissance économique s’est articulé autour de son accumulation, poussant certains pays à des invasions et des pillages. Ce système a aussi permis de maintenir une certaine stabilité des taux de change et des déficits extérieurs par un mécanisme d’ajustement de long terme de la masse monétaire (le « price-specie-flow »). Cependant, l’usage de l’or comme seule réserve des banques centrales n’a pas permis de faire face aux différentes crises des marchés (notamment celle de 1929), les autorités ne pouvant pas augmenter son offre indéfiniment pour stimuler la croissance économique. Les accords de Bretton Woods (1944) ont bien essayé de maintenir ce rôle en adjoignant le dollar américain à l’or, mais le système s’est effondré dans les années 1970. L’ or a alors perdu sa spécificité millénaire et est redevenu une matière première comme les autres.

Si on analyse les caractéristiques d’un investissement en or depuis 1990, on observe que son rendement est plus faible que les indices boursiers traditionnels – notamment le Standard and Poor’s – alors que sa volatilité (mesurée, par exemple, par un coefficient de variation) est plus élevée, bien que les marchés boursiers aient traversé, durant cette période, des crises financières majeures (notamment en 2008). L‘or apparaît clairement comme un actif bien plus risqué que les actions ou les emprunts d’Etat. C’est pour cette raison que le régulateur européen interdit aux assurances d’en posséder dans leurs porte- feuilles d’actifs, tout comme les autres matières premières. De plus, l’or s’avère un investissement qui engendre peu, ou pas, de retombées en termes d’activité économique pour la Belgique, les plus grands négociants se trouvant en Chine, en Australie ou en Russie. Cet effet multiplicateur faible se démarque de celui obtenu, entre autres, par les investissements en actions ou obligations qui permettent aux entreprises de financer leur croissance, et donc de créer de la valeur ajoutée. Il est dès lors surprenant que dans un contexte de dette publique élevée et de volonté d’orienter de l’épargne à des fins sociétales, l’achat d’or soit autant, voire moins, taxé que les autres investissements.

L’idée selon laquelle l’or constituerait la réserve de valeur à toute épreuve est donc une croyance tenace mais sans fondement scientifique. Il n’en reste pas moins que, faute de constituer un investissement financier judicieux à long terme, l’or conserve toute sa valeur sentimentale.

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