L’oiseau qui battait l’iPhone

Thierry Fiorilli
Thierry Fiorilli Journaliste

Il suffit d’un cri, inconnu. Et on peut ranger son attirail high-tech. Puisque, en somme, il sert à si peu.

Vendredi dernier, tard le soir. Odeur d’été et lieu étrange : l’enceinte d’une ferme, aujourd’hui pratiquement désaffectée, accolée à un château fort datant du XIIe siècle. Une maison, en grosses pierres et divisée en deux habitations, y est encore viable. L’une est endormie. De l’autre, toutes portes et fenêtres grandes ouvertes, sort la lueur de bougies tressaillant dans leur photophore, de lampes halogènes et de spots. Pas de musique. Un calme inespéré, qui laisse un peu hébété. D’autant que, depuis les arbres, fuse un cri d’oiseau.

Une sorte de crépitement. Un truc qui hoquette.  » C’est quoi, ça ?  » Personne ne sait.  » Attends « , dit l’un, sortant son iPhone. Le type, sans la moindre flamme dans le mouvement, tapote son clavier et tend son appareil vers les branches, qu’on distingue à peine, d’où semble venir le bruit inconnu.  » Humph. Fonctionne que pour la musique, évidemment.  » Et il explique, satisfait, à une brune au regard perçant qu’il a une application permettant de connaître le titre et l’interprète de n’importe quelle chanson, n’importe où, en orientant son téléphone intelligent vers là d’où sort l’air.

Mais pour le chant des oiseaux, marche pas. Le phone a beau être malin, le gars savoir tout ce qu’il faut savoir (où regarder des films à l’£il, quel site payant est le plus intéressant, quand va sortir le nouveau modèle de ça, avec quelle propriété, comment trouver ce qu’on cherche sans se fatiguer, réserver comme ci, apprendre comme ça, lire électroniquement), là, on est dehors, à trois mètres d’un volatile au cri pas courant, on est largué. Il faudrait faire un feu, réparer une chambre à air, cueillir des champignons sans se tromper de sorte, nommer les arbres, identifier les vents, lire les étoiles, utiliser un couteau (celui qu’on garde dans sa poche, qu’on ne nettoie jamais avec la vaisselle, qui a sur le manche les traces de la paume et des souvenirs plein la lame), et toutes ces choses qui semblent juste servir aux films, aux romans ou aux ancêtres, on serait aussi mal, avec nos technologies mobiles qui, la plupart des fois, n’ont d’autres utilités qu’occuper le temps, ensabler le réel, faire du vide un mythe et collectionner les illusions, avec sans doute, plus tard, les dégelées qui vont avec.

Le week-end prochain, on ira demander au voisin, celui dont la maison était éteinte. Pour les champignons, les vents, les arbres et les étoiles, ça prendra plus de temps. Mais pour les rustines et les feux, en deux jours, on a déjà réalisé des progrès éblouissants. Bientôt, on saura et on fera des choses qui servent toujours. Et à tout le monde. Peut-être, là est le seul et vrai pouvoir.

* Condiment très piquant. Rare, donc cher. Relève le goût et tue les parasites. Peut faire s’étrangler et transpirer des yeux.

THIERRY FIORILLI

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