L’impossible neutralité

En Belgique, les partis politiques s’alignent à peu près sur… Louis Michel. Accents moraux et fermeté verbale.

Ebranlée par la guerre au Proche-Orient, puis par les attentats antijuifs sur notre territoire, la Belgique politique vient de tester ses propres capacités d’indignation. Délicat: les communautés juive et arabo-musulmane sont présentes en nombre sur le sol belge. Les appels au dialogue, ainsi qu’une initiative réussie de la ministre socialiste Laurette Onkelinx, ont fait retomber la pression. A Anvers, où les forces de police ont été renforcées, la tension reste vive. Mais, à Bruxelles, la manifestation pro palestinienne du 7 avril s’est déroulée sans incidents majeurs.

Le monde politique semble se ranger derrière le ministre libéral des Affaires étrangères, Louis Michel. Celui-ci a eu les mots que l’Union européenne n’avait pas osé utiliser, admet-on dans la plupart des partis politiques (lire p.56). Durant le week-end des 6 et 7 avril, Michel a ajusté d’un chouia sa ligne politique, dénonçant avec fermeté les choix militaires du gouvernement Sharon. Rares sont les voix discordantes qui contestent ce langage clair et le renoncement à « l’impossible neutralité ».

Dès la fin de la trêve pascale, les débats au Parlement promettent pourtant d’être chauds. L’impuissance européenne a été très mal ressentie. « Mais il faudrait commencer par balayer devant notre propre porte, estime le sénateur Georges Dallemagne, l’un des ténors de l’opposition PSC. Le volontarisme de Louis Michel n’est pas toujours suivi d’actes concrets. On devrait inverser le raisonnement: avant de solliciter l’envoi d’une force internationale d’interposition, la Belgique devrait déterminer si elle a l’ambition d’en faire partie. » Pour Dallemagne, ces questions restent taboues, car le Parlement fédéral est tenu à l’écart des choix stratégiques. Depuis le drame du Rwanda, une commission spéciale a été créée pour examiner la participation de notre pays à des missions à l’étranger. Durant la guerre d’Afghanistan, cette commission ne s’est réunie qu’à trois reprises. Louis Michel et le Premier ministre Guy Verhofstadt n’ont pas daigné y mettre les pieds…

Inutiles, les parlementaires belges? Certains se montrent très actifs. Avec leur baluchon, ils traversent la Méditerranée, tentent de tisser les fils du dialogue, constatent l’état de désespérance de la population palestinienne et encouragent les pacifistes israéliens. Philippe Mahoux et Jean Cornil (PS), Alain Destexhe (MR), Josy Dubié (Ecolo) et d’autres, comme Dallemagne il y a quelques mois, souhaitent témoigner. Ceux-là ne peuvent être suspectés d’opportunisme ou de récupération.

Entre libéraux, socialistes et écologistes de la coalition arc-en-ciel, le conflit israélo-palestinien ne devrait pas créer de différends majeurs. Fin mars, une brève polémique avait « animé » le Parlement bruxellois, où les libéraux souhaitaient maintenir la coopération avec Israël… que contestaient précisément les socialistes. Cette querelle ne s’est pas étendue au niveau fédéral. Traditionnellement, certes, les partis « de gauche » se montrent plus sensibles au désarroi et aux revendications des Palestiniens. Fidèles au souvenir de Jean Gol, les libéraux restent très attachés à l’Etat d’Israël. « Je suis davantage en phase avec les manifestants israéliens du camp de la paix, que j’ai cotoyés à Tel-Aviv, qu’avec n’importe quel parti pro palestinien », commente le sénateur Alain Destexhe, pourtant choqué par la détresse des Arabes de Cisjordanie ou de Gaza.

Devant la gravité de la situation, les nuances se sont fortement estompées. Officiellement, même s’ils regrettent vivement les attentats frappant des civils en Israël, tous les partis francophones condamnent l’option militaire du gouvernement israélien, réclament le retrait de Tsahal (l’armée de l’Etat hébreu) des territoires occupés et exigent l’application des résolutions de l’ONU. Auteur d’un argumentaire très élaboré, Ecolo insiste sur la remise en question de l’accord d’association conclu entre Israël et l’Union européenne: une clause relative aux droits de l’homme est actuellement bafouée, disent les Verts. Le PS a dénoncé à plusieurs reprises l’attitude guerrière du gouvernement Sharon, réclamant aussi que le ministre travailliste Shimon Peres, membre de l’Internationale socialiste, quitte au plus vite le gouvernement de Jérusalem. Le PSC refuse de choisir « le camp d’un peuple contre un autre », tout en condamnant fermement l’occupation des territoires palestiniens. Quant au Mouvement réformateur (MR), il calque sa position sur celle de Louis Michel. Sans neutralité, insiste le président Daniel Ducarme. Histoire d’éviter « un choix de Ponce Pilate ».

Philippe Engels

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