» L’immobilisme du CD&V est inadmissible « 

A un an des élections, le sénateur socialiste Ahmed Laaouej, le  » Monsieur Finances  » du PS, se montre offensif sur les questions de justice fiscale. Attention, tir nourri !

Le Vif/L’Express :  » On se fout de notre gueule en matière d’éthique bancaire « , a dit Olivier Deleuze (Ecolo) en évoquant les activités de Belfius dans des paradis fiscaux. D’accord ? Qui se fout de qui ?

Ahmed Laaouej : Le gouvernement actuel a pris déjà beaucoup de mesures. Le problème est qu’on a perdu du temps, durant la dernière décennie, en matière de lutte contre la fraude fiscale et en matière de paradis fiscaux. En clair, on sait ce qu’a donné la période Reynders au département des Finances. On en subit encore les conséquences. Aujourd’hui, c’est le CD&V qui est à la manoeuvre. J’ai néanmoins quelques inquiétudes.

C’est-à-dire ?

Quand je vois l’immobilisme du CD&V sur la mise à jour de l’arrêté royal qui dresse la liste des paradis fiscaux pour l’administration des Finances, je ne peux que m’inquiéter. Il a fallu des années pour obtenir l’amorce d’un texte. Finalement l’arrêté a été perdu et n’a jamais été publié au Moniteur. Le Vif/L’Express l’a dénoncé. Cette liste est primordiale, puisqu’il s’agit de circonscrire les régimes fiscaux très favorables notamment pour les sociétés holding. Si le CD&V, qui est à la tête du ministère, voulait faire croire qu’il protège les holdings, il ne s’y prendrait pas autrement ! Malgré les articles de presse et les interpellations parlementaires, on n’a pas l’impression que le cabinet de Koen Geens ait la volonté de corriger le tir dans ce dossier. C’est inquiétant et inadmissible.

Vous critiquez le MR et le CD&V. Le PTB, lui, critique le PS. Pour ce parti, les socialistes n’ont pas empêché que la Belgique reste elle-même un paradis fiscal. Seule avancée : la levée du secret bancaire, sauf que le fichier central des comptes n’est toujours pas opérationnel…

Dans sa démagogie habituelle, le PTB aime les raccourcis. Sous cette législature-ci, les intérêts notionnels ont été réduits drastiquement, une partie des plus-values à l’impôt des société a été fiscalisée… On pourrait bien sûr aller encore plus loin. Quant au secret bancaire, la possibilité existe déjà pour le fisc de demander sa levée, même si on attend des arrêtés d’application.

Vous fustigez les années Reynders, mais le PS était au gouvernement avec le MR.

C’étaient des gouvernements de coalition, avec, chaque fois, un accord que le PS a négocié pied à pied. Si les électeurs veulent une politique fiscale plus juste, ils savent ce qui leur reste à faire. C’est toujours la même chose. J’entends Charles Michel dire qu’il veut lutter contre la spéculation. En même temps, lorsqu’il s’agit de poser des actes concrets, le MR est aux abonnés absents. La vraie question est de savoir qui au MR décide de ces matières. Entre ce que Charles Michels affirme, à la tête du parti et ce que Didier Reynders raconte au gouvernement, il y a davantage qu’un fossé. Un gouffre !

Les révélations de l’offshoreLeaks, une surprise pour vous ?

Mais non. On sait depuis des années ce que représentent les paradis fiscaux en Belgique. On a enfin obtenu, de guerre lasse, la création d’une task force sur le sujet au sein de l’administration des Finances. Je demande à voir de quels moyens cette cellule va disposer. Je ne me contenterai pas d’effets d’annonce. Stop à l’immobilisme.

Le député européen Philippe Lamberts (Ecolo) a recensé les filiales offshore des banques actives en Belgique. On en compte 280 pour BNP-Paribas-Fortis et 150 pour KBC, deux banques aidées par l’Etat. Est-ce tolérable ?

C’est problématique, singulièrement pour les banques qui ont été sauvées par l’Etat. Je viens de déposer une proposition de loi qui vise à faire la lumière sur la présence de banques belges dans les paradis fiscaux ou bancaires. Ensuite, sur cette base, on pourra interpeller leurs managers sur les raisons qui les poussent à s’établir dans ces zones. Ne nous leurrons pas : lorsqu’une banque se déploie dans un territoire fiscalement attrayant, c’est pour des raisons inavouables.

N’est-ce pas la médiatisation de l’OffshoreLeaks qui vous pousse à réagir ?

Cela fait des années qu’au PS, on veut assainir le fonctionnement du secteur financier. L’Off-shoreLeaks est un bon moment pour rappeler cette volonté. Ce que j’ai fait en déposant une proposition de loi. C’est maintenant au ministre des Finances de prendre ses responsabilités. Je ne manquerai de l’interpeller à ce sujet.

Le discours du PS sur les paradis fiscaux n’a-t-il pas gagné en virulence sous la pression du discours d’Ecolo et du PTB ?

Le PTB me fait penser à ce coq qui croit que le soleil se lève parce qu’il chante. Ce parti ne comprend pas qu’en démocratie, pour faire passer un certain nombre d’idées, il faut pouvoir gérer le rapport de force qui ressort des élections. Le PS a pris ses responsabilités en participant au gouvernement. Ce n’est pas le cas de tous les partis. Ecolo et Groen ! ont préféré rester dans l’opposition. Nous avons un bilan en matière de justice fiscale. J’attends celui d’Ecolo-Groen ! et celui du PTB.

Le Luxembourg a annoncé la levée du secret bancaire pour 2015. Un pas dans la bonne direction ?

Le Grand-Duché se moque de nous. Les Luxembourgeois ont juste accepté de participer à l’échange automatique d’informations voulue par l’Europe. Cela concerne pour l’essentiel les intérêts des revenus des comptes bancaires, mais pas les produits de placement d’assurance. Or on sait que beaucoup de gens, encouragés par les banques grand-ducales, ont converti leurs produits d’épargne en produits d’assurance… Il subsiste, notamment en Belgique, une grande complaisance à l’égard du Luxembourg.

On a évoqué la possibilité de supprimer l’OCDEFO, ce service central spécialisé dans la criminalité financière et la grande fraude fiscale organisée. Inquiétant ?

La ministre de l’Intérieur, Joëlle Milquet (CDH), a finalement décrété que l’OCDEFO serait maintenu et qu’on allait même engager 75 personnes supplémentaires. On sait aujourd’hui que ce personnel supplémentaire ne sera pas affecté uniquement à l’OCDEFO. Mais bon, l’unité centrale ne sera pas supprimée. Il n’en reste pas moins inquiétant que la chef de la police fédérale ait pu envisager de supprimer l’OCDEFO. C’est symptomatique de l’état d’esprit qui règne dans certains services de l’Etat : pour préserver des intérêts privés, certains responsables n’ont peut-être pas envie de lutter contre la grande fraude fiscale.

Une commission Chambre- Sénat vient d’être lancée pour réformer la fiscalité. A un an des prochaines élections, on ne peut pas s’attendre à grand-chose…

Je ne partage pas votre pessimisme. L’idée est de réfléchir à la fiscalité en dehors des contraintes gouvernementales d’assainissement des finances publiques. J’espère que chacun abordera la réflexion sans idées reçues.

Quid d’une telle commission avec la N-VA au pouvoir en 2014 ?

Ne devançons pas le choix des électeurs. De toute façon, ce n’est pas la N-VA qui va dicter mon agenda ni influencer ma conception de la justice fiscale.

ENTRETIEN : THIERRY DENOËL

Le PTB ? Un coq qui croit que le soleil se lève parce qu’il chante…

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