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L’image pour langage

La création contemporaine s’exprime aussi dans l’illustration jeunesse: le Liégeois Vincent Mathy publie ainsi l’un des plus beaux petits livres de l’année, à la fois minimaliste, réfléchi et couché!

L’univers du dessin est décidément vaste pour celui qui s’y promène. Dans son numéro du 8 octobre, Focus Vif s’extasiait sur un roman graphique pour adultes de près de 400 pages, noircies à l’extrême par des milliers de hachures: L’Accident de chasse, signé par deux Américains (lire aussi Le Vif/L’Express du 6 août dernier). Et voilà que le même enthousiasme se manifeste ici pour un imagier réalisé à Liège, qui tient presque dans la paume d’une main, destiné, mais pas seulement, aux plus petits, rempli avec parcimonie de formes simples et minimalistes, et dans lequel des images très colorées se disputent l’espace de pages horizontales pourvues de fonds immaculés. Rien à voir donc, si ce n’est le plaisir de découvrir des albums d’images hors normes, très abouties et cette fois très joyeuses dans le cas de ce Couché (1), puisque l’illustrateur Vincent Mathy y dresse un inventaire amusant et sensé des gens couchés, du berceau au cimetière! Une manière – allongée – d’observer le monde, qui se veut universelle, parfois légère, parfois plus tragique, mais toujours ludique. Avec une ambition qui habite Vincent Mathy depuis plus de vingt ans: apprendre à lire des images. Et il n’y a pas d’âge pour ça.

Toute une éducation à l’image doit se faire, qui ne se fait que trop peu.

Alphabet de formes

Qu’ont en commun une chambre d’enfant, une plage, une salle de spectacle, un cimetière, une montagne, un jardin, un ring ou une salle d’accouchement? Le fait de pouvoir y vivre, jouer ou s’y reposer… couché. Mais aussi de faire désormais partie du formidable imagier de Vincent Mathy, résultat de deux décennies de dessin, d’illustration et de recherche graphique à destination de la jeunesse, tant ce Couché paraît abouti dans sa simplicité et son minimalisme. Une simplicité qui aura demandé elle-même des années de travail et quelques déclics à son auteur pour la transformer en livre. « L’histoire commence lorsqu’un festival me demande, il y a trois ans, une illustration sur le thème du drapeau, expose l’auteur. J’en ai repris les codes graphiques, des formes simples, souvent géométriques, et j’ai fait un dessin avec des gens couchés qui tenaient des revendications soudain décalées. Cette image et ce décalage en ont amené d’autres, de manière instinctive. Mais c’est seulement en nommant les lieux que la possibilité d’un livre est apparue. Du sens. J’ai alors décidé d’écarter les images qui ne se mettaient pas sur ce chemin, et de refaire toutes les autres en m’imposant une série de contraintes graphiques qui donnaient de l’unité au tout: une sorte de « brut graphique », sans décor, sans geste, manié avec seulement quatre couleurs, avec un minimum de diagonales. Des dessins proches de la silhouette et des visages sans yeux, avec une logique qui se rapproche de l’isotype créé par Neurath et Arntz il y a cent ans: un alphabet de formes, presque des pictogrammes. Mais ce ne sont pas des logos. Je reste dans une démarche illustrative qui, j’espère, amène de la chaleur. Ce n’est pas un art mathématique! »

L'image pour langage

L’isotype (pour International System Of Typographic Picture Education ou, en français, Système international d’éducation par les images typographiques) est de fait un langage visuel et qui se voulait international créé en 1920 par le philosophe autrichien Otto Neurath et le graphiste allemand Gerd Arntz, lequel a conçu plus de 4 000 pictogrammes, références aujourd’hui encore dans la communication visuelle ou la signalétique, faits de tracés simples et de lignes épurées proches cette fois de la démarche et de l’esthétique du mouvement Bauhaus. Un langage simple, universel et non verbal originellement destiné aux enfants, devenu commun, mais qui demande pourtant d’y revenir sans cesse: « Lire des images, mettre des mots et du sens dessus, ça ne va pas de soi, toute une éducation à l’image doit se faire, qui ne se fait que trop peu. C’est aussi lié à une pollution visuelle sans précédent, dans laquelle trop d’images se ressemblent. Nous sommes dans un flux constant, sans vraiment prendre le temps de la réflexion ou de s’arrêter dessus. »

D’où l’intérêt de ce Couché que Vincent Mathy se fait désormais une joie de commencer à montrer et expliquer dans les nombreuses classes qu’il visite et ateliers qu’il mène. « Dans mes images, même si je joue le décalage, le rapport au réel est bien là. Il y a des gens couchés dans des campings par exemple, mais aussi dans la rue. J’évoque la naissance, la mort, même l’accouchement, chose relativement rare dans les livres jeunesse, je ne sais d’ailleurs pas si j’aurais pu publier toutes ces images ailleurs que chez Articho, des amis qui sont dans la même démarche que moi. » Bref, prévenez déjà les enfants et tous les amateurs de belles images pas bêtes: pour vivre heureux, vivons Couché!

Les dessins originaux seront à voir du 31 octobre au 16 janvier prochains au centre culturel Chiroux, à Liège, dans le cadre de l’exposition Animora, à la fois interactive, ludique et pour enfants de 1 à 5 ans.

Mythes au carré, par Loïc Gaume, éd. Thierry Magnier, 88 p. Dès 4 ans.
Mythes au carré, par Loïc Gaume, éd. Thierry Magnier, 88 p. Dès 4 ans.

Images au carré

Loïc Gaume, qui se définit comme un « artiste visuel », fait, lui aussi, souffler un vent de fraîcheur et de modernité sur les publications destinées au jeune public. Avec un sens du minimalisme qui s’exprime dans une démarche toujours ludique, mais cette fois autant narrative que graphique, puisque ce Français installé à Bruxelles n’aime rien moins que raconter aux enfants des récits parfois complexes en un minimum d’images et de mots. Et même en quatre cases précisément, jamais plus, jamais moins. Ainsi, après avoir déjà édité un Contes au carré remarqué (récompensé au prestigieux festival de Bologne), dans lequel il réinventait les récits des Trois petits cochons, de La Princesse au petit pois ou de Barbe Bleue en quatre cases et dessins, Loïc Gaume s’attaque cette fois aux mythes grecs, qui ne sont pas réputés pour leur simplicité! Guerre de Troie, amours de Zeus, voyages d’Ulysse, malédiction d’OEdipe, travaux d’Hercule, boîte de Pandore… L’auteur revisite et simplifie, sans bêtifier, trente-sept mythes aux filiations épineuses, au dessin minimaliste et à la mise en couleur radicale. De quoi mettre la culture élégiaque et hellénique à la portée des plus petits, tout en s’éduquant aux images.

(1) Couché, par Vincent Mathy, éd. L'Articho, 64 pages à l'italienne. Dès 3 ans.
(1) Couché, par Vincent Mathy, éd. L’Articho, 64 pages à l’italienne. Dès 3 ans.

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