Constant Permeke, De Bedelaar, 1931, 119 × 178 cm. © DEBBY TERMONIA

L’homme du vent

Une personnalité dévoile ses oeuvres d’art préférées. Celles qui, à ses yeux, n’ont pas de prix. Pourtant, elles en ont un. Elles révèlent aussi des pans inédits de son parcours, de son caractère et de son intimité. Cette semaine : le comédien Sam Louwyck.

Ostende, sa plage, ses thermes et son festival. Un festival dédié au 7e art, où l’on croise des stars – essentiellement flamandes – qui, durant plusieurs jours, posent fièrement sur le tapis rouge du Kinepolis, un bâtiment gris et moche qui, de loin, ressemble à un gros conteneur, sauf que celui-là ne prend jamais la mer. Depuis 2007, c’est ici que, une semaine par an, on  » célèbre le cinéma « . Celui du nord du pays mais avec aussi tous les films européens qui sont en lien avec la culture flamande, sans oublier la présentation de la sélection des Ensor, les Oscars flamands.

Cette année, Jean-Claude Van Damme était là pour découvrir son étoile sur la digue et présenter Lukas, dont il partage l’affiche avec Sam Louwyck, un homme fin comme une liane et qui semble survoler tout ce petit monde du showbiz qui s’agite. Avec sa chemise ouverte jusqu’au nombril et son aftershave qui défie les narines, il fait plutôt  » rebelle « . Et, fait plutôt rare pour un comédien, il ne cherche pas à séduire. A 50 ans, il semble d’ailleurs assumer ce qu’il est : un homme fragile… qui bouscule le système.

De ses derniers films, comme de ses succès, il n’en parlera pas. D’ailleurs, il peine franchement à retrouver le titre des longs-métrages qu’il vient d’achever. Il faut dire qu’avec sept films d’affilée en dix mois, il y a de quoi s’emmêler les bobines. Ultraconnu en Flandre et à l’international, il n’est découvert côté francophone qu’en 2003, grâce à Any Way the Wind Blows, le film de Tom Barman. Puis il y a eu des tas de films dont Tête de boeuf, de Michaël Roskam, des tas de courts métrages, des tas de partenaires (dont Monica Bellucci), des tas de séries aussi (dont La Trêve) et des nominations pour les Magritte – les Oscars du cinéma belge francophone – et les Ensor.

De Béjart à Barman

Pour l’interview, Sam Louwyck propose d’aller aux Thermes. Si la terrasse est à l’image du pays – en rénovation -, la vue reste splendide. Autour d’une table posée entre deux colonnes, il se dégage une ambiance de fin de siècle, une impression que le bâtiment aurait avalé un petit bout de cette Belgique d’avant ; celle dans laquelle il n’y avait pas de cinéma francophone ou flamand. Et, s’il y a du vent cet après-midi, il y a aussi des attachés de presse et des journalistes qui poussent les portes battantes de l’entrée du bar, façon grand hôtel, pendant que Sam commande un Coca en allumant sa première cigarette.

Pour le moment, il fait une pause d’un mois, pour se ressourcer… Après, il partira en Grèce pour le tournage d’un long métrage qu’il espère pouvoir combiner avec l’enregistrement de l’émission Danse avec les stars version flamande, à laquelle il vient d’accepter de participer. Normalement, ce n’est pas son truc ce genre d’émission. Il avait d’ailleurs refusé d’y participer mais quand la production lui a assuré qu’il serait libre de dire tout ce qu’il pensait, il a cédé :  » Là, c’est différent, vous comprenez !  » dit-il de sa voix rocailleuse, en plantant ses yeux pers dans les vôtres. Parce qu’à la base, Sam Louwyck n’était pas acteur mais danseur. Une passion qu’il a contractée alors qu’il avait déjà 16 ans mais qui l’a mené à se retrouver très rapidement à danser pour Béjart, Mark Morris ou Alain Platel, tout en squattant la scène de La Monnaie.

Le cinéma n’est arrivé que bien plus tard, grâce à Tom Barman (leader de dEUS) qui eu la bonne idée de le faire tourner dans un de ses clips avant de lui donner le rôle phare de son premier film ( Any Way…) dans lequel Sam Louwyck interprète  » the Wind Man « , l’homme du vent, un homme énigmatique et ultrasensible qui, tel un fil rouge, relie les personnages les uns aux autres. S’il y a du Wind Man dans Louwyck, il y a aussi du Louwyck dans le Wind Man. L’acteur confie d’ailleurs faire partie de ces êtres parfois très fragiles mais qui ont quand même décidé de vivre plus de vies que celle que leur seule existence offrait :  » Comédien, c’est aussi une manière de vivre mille vies, mille émotions ; c’est vivre plus « fort ». C’est une décision que j’ai prise ado : ne pas m’économiser pour « plus tard » ! Il n’y a pas de plus tard, il n’y a que maintenant.  »

Dur, mais beau

Interrompu par le passage de cinq combis de police qui roulent à tombeau ouvert sur la digue, Sam Louwyck – qui vit à Ostende depuis quelques années – affirme qu’autant d’animation c’est du  » jamais-vu  » pour la station. Normalement, en cette saison, on y croise plutôt des retraités en journée et des pêcheurs de crevettes tôt le matin. Le bon moment pour l’interroger sur ses oeuvres d’art préférées, sujet qu’il aborde en allumant une autre cigarette.

Directement, il signale n’être pas né dans une famille férue d’art.  » Leur truc, c’était l’ouverture d’esprit.  » Maman infirmière, papa aviateur, milieu modeste à Bruges où l’amour et la connaissance compensaient les fins de mois difficiles. Lorsqu’on entendait au bar du club d’aviation de riches industriels faire étalage de leur argent et leurs biens, le papa emmenait son fiston dans son avion et lui montrait à quel point, vues du ciel, les possessions matérielles n’étaient finalement que très relatives. C’est pour ça qu’il a choisi De Bedelaar, de Constant Permeke, une réalité de vie qui le touche beaucoup et lui rappelle son enfance :  » Même si Permeke était un bourgeois, il arrivait à exprimer la beauté d’une existence très dure et ça, ça me parlait. Parvenir à voir la beauté dans la dureté, c’est une manière d’accepter sa condition et, finalement, d’apprécier les choses simples de la vie.  »

Revenant à son père, Sam confesse avoir pris des cours de pilotage en cachette pour lui faire une surprise. Hélas, deux mois avant le jour J, l’avion de son papa s’écrase non loin d’Ursel :  » Une panne mécanique sans doute, même si on n’a jamais vraiment su ce qui s’était passé.  » Le gamin ne se laisse pas démonter et poursuivra sa formation pour devenir le pilote aguerri qu’il est aujourd’hui. Celui qui emmène ses amis faire des tours dans son biplace, le week-end.  » C’est magnifique de voir le regard des passagers qui volent pour la première fois, ils s’ouvrent tous comme des fleurs. Moi, cette impression, je l’ai à chaque fois.  »

L’arrondi, son amour

Après les combis de police, c’est un peloton de garçons en plein running qui défile sous nous yeux. Il est suivi de près par une délégation de filles en cuistax rose qui les encouragent à cor et à cri. Admettons qu’il y a beaucoup d’ambiance pour un lundi après-midi. Et c’est tout naturellement qu’on enchaîne sur L’Age de fer, de Paul Delvaux. C’est la déréliction qui règne sur cet univers qui touche Sam Louwyck mais aussi ces gares  » un peu villes  » qui appellent au voyage et qui le font rêver depuis toujours. La solitude, le voyage et puis aussi les femmes…  » Delvaux, c’est comme un frère, je m’identifie complètement à sa manière de voir les choses. J’aime ses femmes, leurs volumes, leurs gros sourcils, ça m’a toujours fait craquer.  » Lui, il dessine depuis tout gamin toujours la même femme, toujours le même visage mais sans avoir jamais pu l’identifier réellement. Une muse dont il retrouve chaque fois un détail dans le visage de celles dont il tombe amoureux.  » Je ne sais pas d’où elle me vient, je n’essaie pas trop de savoir non plus, je ne suis pas assez fort pour le découvrir.  »

Pour clore sa sélection, the Wind Man a élu la Sagrada Familia, d’Antoni Gaudi, sans doute l’un de seuls édifices qu’il peut revisiter sempiternellement. Parce que comme toutes les églises, la basilique de Barcelone est chargée d’énergie positive et il arrive à Sam Louwyck d’avoir besoin de s’y poser pour se  » recharger « . Mais s’il visite toutes les églises qu’il croise, celle de Gaudi a ceci de particulier qu’elle semble n’être composée que de formes organiques : la vie, la nature certes mais aussi l’absence d’angle droit, juste des arrondis.  » Au début de votre vie, vous cherchez les angles nets parce que vous avez besoin de choses claires et dures pour pouvoir avancer ; avec l’âge, en revanche, vous vous rendez compte que, pour avancer, vous devez oublier les coins et les angles et que vous aussi, vous devez vous arrondir.  »

Sam reprend une cigarette et attire notre attention sur un bataillon de chaises roulantes qui glisse à présent entre notre table et la mer :  » Vous voyez, on avait les jeunes avant et maintenant, les plus âgés. C’est un peu la parabole de la vie…  » Il poursuit alors en précisant avoir toujours fonctionné par plan de vie, avant des projets à cinq ans, et maintenant des projets aux échéances plus rapprochées. Si, au départ, il déclarait que sa carrière n’était due qu’au hasard, il finit par avouer avoir toujours rêvé de faire du cinéma sans jamais oser l’exprimer. Parce que  » c’était un rêve trop grand « . C’est d’ailleurs pour ça qu’il avait fait des études d’assistant réalisateur au Rits (l’équivalent flamand de l’Insas) après un bac en économie avant d’être happé par la danse. Mais quand il dansait, il racontait quand même des blagues le soir dans les bars, histoire de tester ce qui marchait ou non, une manière d’apprendre le métier de loin…

Le métier, Louwyck – qui parle sept langues – l’a tellement bien intégré que ce n’est plus le cinéma belge ou flamand qui se l’arrache mais un peu le monde entier : bientôt à l’affiche de Never Grow Old, avec John Cusack et Emile Hirsch, ou de Undergods, de Chino Moya. A 52 ans, la vie de l’homme du vent ne fait que commencer.

Constant Permeke (1886 – 1952)

Fils d’Henri Permeke, peintre de marines, Constant naît à Anvers, non loin de la mer, une région qu’il ne quittera jamais vraiment, reproduisant toute sa vie ses habitants. Jeune, il rencontre Gustave De Smet et Frits Van den Berghe, deux peintres de talent avec lesquels il incarne ce tout nouveau mouvement qu’est l’expressionnisme flamand. Un courant artsitique qui exalte avant tout la dureté et la rudesse de la vie, des paysages tristes et sombres, peuplés de pêcheurs ou de paysans dévorés par la précarité. Pourtant, sous ces couleurs  » boueuses « , de l’or se révèle, l’or de la vérité humaine dans toute sa simplicité. Permeke est très réputé pour ses nus également.

Sur le marché de l’art : Elles sont loin, les années d’avant 2003 où Permeke s’envolait au-delà de 100 000 euros. Ces dernières années, ses oeuvres plafonnent à 40 000 euros pour un nu tandis que des paysages et des personnages trouvent déjà acquéreur à partir de 6 000 euros.

Paul Delvaux, L'Age de fer, 1951, 153 × 241 cm.
Paul Delvaux, L’Age de fer, 1951, 153 × 241 cm.© BELGAIMAGE

Paul Delvaux (1897 – 1994)

 » Tout sauf un surréaliste « , disait-il de lui-même, reconnaissant certes une certaine influence de De Chirico ou d’André Breton mais alors vraiment  » de loin « . D’ailleurs, dans sa peinture, on retrouve autant d’Ingres que de Cranach ou de Poussin. Du symbolisme aussi mais surtout un aller direct pour les rêves que le peintre faisait enfant. Des gares, des squelettes et une muse, un modèle unique qu’il décline à l’infini et dont l’attitude froide et indifférente n’est pas sans rappeler sa mère. Un drôle de chameau qui, par deux fois, l’empêche de se marier. Lui voyait dans sa muse la rencontre entre la Vierge Marie et Eve la pécheresse.

Sur le marché de l’art : En vingt ans, Paul Delvaux a doublé sa cote tout en s’assurant une présence de plus en plus forte sur le marché américain. C’est en 2016 qu’il réalise son record absolu, avec Le Miroir, une oeuvre de 1936, adjugée à presque 8,5 millions d’euros. Globalement, très peu d’opus intéressants en dessous de 100 000 euros tandis que les plus belles sont souvent au-delà du million.

La Sagrada Família, à Barcelone : toujours en construction.
La Sagrada Família, à Barcelone : toujours en construction.© BELGAIMAGE

Antoni Gaudi (1852 – 1926)

Architecte, urbaniste, ferronnier, musicien et mathématicien… Il fait songer à ces hommes de la Renaissance dont la connaissance portait sur à peu près tout ce que l’intelligence humaine était capable d’appréhender. Ce n’est donc pas un hasard s’il s’illustre dans l’Art nouveau, mouvement qui s’épanouit alors en Europe et qui n’aura de cesse d’encenser la nature avant d’engendrer le modernisme. Mais Gaudi va plus loin : au delà de ses prouesses techniques, il reste célèbre pour avoir réussi à mêler les genres (du médiéval au gothique flamboyant en passant par l’Art nouveau) tout en donnant un caractère presque  » organique  » à ses constructions. Il hérite jeune, en 1882, du chantier de la Sagrada Família, confié au départ à son maître. C’est l’oeuvre à laquelle il dédiera sa vie et que jamais il ne verra achevée (elle est toujours en construction). Il meurt fauché par un tram dans les rues de Barcelone.

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