L’heure de vérité

Robert Mugabe est prêt à tout pour conserver son fauteuil présidentiel. Mais, contrairement à Mobutu, il n’a pas réussi à diviser l’opposition, ni à la compromettre. Il ne lui reste que la répression et la fraude pour gagner l’élection des 9 et 10 mars

De notre correspondante en Afrique australe

La Belgique les avait déjà utilisées contre Mobutu, après la rupture de 1990, lorsqu’elle avait bloqué l’octroi de visas et gelé les avoirs du président zaïrois et de ses proches. En anglais, on parle de sanctions « intelligentes » ( smart sanctions) parce que de telles mesures frappent les dirigeants, et non la population. A l’époque, Bruxelles avait dû faire cavalier seul, faute de l’appui français. Cette fois, en revanche, c’est l’Union européenne toute entière et les Etats-Unis qui envisagent d’imposer de telles sanctions au président du Zimbabwe, Robert Mugabe, et aux caciques de son régime. Les ministres zimbabwéens, venus à Bruxelles le 11 janvier, ont été priés de présenter un plan pour que le scrutin présidentiel des 9 et 10 mars se déroule de manière pacifique et honnête, en présence d’observateurs et de journalistes étrangers. L’Union européenne vise notamment plusieurs lois très répressives, récemment adoptées ou en cours de discussion. Le 14 janvier, lors du sommet des pays d’Afrique australe, Mugabe a promis des élections démocratiques. Mais, l’ancien professeur n’a jamais respecté ses engagements internationaux. Malgré ses 77 ans, dont 21 à la tête du pays, le père de l’indépendance du Zimbabwe (en 1980) est décidé de se maintenir au pouvoir, coûte que coûte, et personne ne croit que les élections seront pacifiques. Dimanche dernier, l’opposition a ainsi été empêchée de tenir un meeting au stade de Bulawayo, la deuxième ville du pays : 18 de ses militants ont été blessés par la police. En deux ans, non moins de 87 opposants et 9 fermiers blancs ont été tués par les « vétérans de la guerre de libération » et les « brigades de jeunes » en uniforme vert, utilisés comme troupes de choc pour terroriser l’opposition. Gare à tous ceux qui ne disposent pas d’une carte de la Zanu-pf, le parti au pouvoir!

Catherine n’a jamais craint pour sa vie. Uniquement pour son avenir : cette Belge de 40 ans, qui croyait couler des jours heureux dans sa ferme de 1 155 hectares au nord d’Harare, envisage maintenant de tout quitter si Mugabe est réélu. Son mari, un Zimbabwé en blanc, n’a plus le droit de cultiver ses plantations de tabac depuis qu’une vingtaine de familles ont envahi la ferme, en août dernier. Il a dû licencier 50 ouvriers agricoles. Son exploitation fait partie des 5 000 fermes de Blancs (soit 95 % du total) censées être redistribuées à des paysans noirs. Un cinquième des exploitants a déjà reçu l’ordre de plier bagage. « Des bandes sont venues dans notre région, en intimant l’ordre à plusieurs fermiers de partir, parfois dans l’heure, raconte Catherine. Certains disent que Mugabe veut nous chasser avant les élections, parce que nous soutenons l’opposition. » Les Blancs sont devenus les boucs émissaires du régime : « Il faut insuffler la peur dans le coeur des oppresseurs blancs », vitupère Mugabe. Si cette « réforme » agraire menée à la cravache peut lui garantir les voix de millions de petits paysans coincés sur les terres communales surpeuplées, elle a aussi pour effet de désorganiser la production agricole et d’aggraver la récession économique : l’inflation dépasse les 100 %, le chômage flambe et les pénuries de produits alimentaires et pétroliers deviennent courantes. Au même moment, Mugabe, remarié à une secrétaire de 36 ans, se fait construire une somptueuse villa à Harare, pour une somme estimée à 3,7 millions d’euros (150 millions de francs). Le discrédit du vieux leader est tel que le parti d’opposition MDC (Mouvement pour le changement démocratique), créé en mai 1999 par le syndicaliste Morgan Tsvangirai, n’a eu aucune peine à s’imposer sur la scène politique. Aux législatives de juin 2000 et malgré de nombreuses irrégularités, il a remporté 57 sièges, contre 62 pour la Zanu-pf. Si le scrutin présidentiel était libre, Tsvangirai aurait de fortes chances de l’emporter. « C’est un homme impressionnant, confie Richard Cornwell, de l’Institut des études stratégiques, à Pretoria. Mais le MDC manque de cohésion, car il regroupe à la fois les Blancs, les hommes d’affaires, le petit peuple d’Harare et les Ndebele du sud du pays, opposés à Mugabe en raison de massacres commis en 1982. Le meilleur scénario serait une alliance entre le MDC et les modérés de la Zanu-pf. »

Les sanctions pourraient faciliter cette alliance : « Si les caciques sont touchés au portefeuille, ils abandonneront Mugabe », avance John Stremlau, de l’université de Johannesburg. Personne ne croit vraiment aux menaces de coup d’Etat proférées par des généraux, en cas de victoire de l’opposition. « Mugabe a déjà perdu l’appui de la majorité de son parti et de l’armée », estime Cornwell, qui prévoit plutôt une révolution de palais. « Une guerre civile n’est pas non plus à exclure », ajoute Herman Hannekom, de l’Institut africain de Pretoria. Au Zimbabwe, tous les scénarios sont possibles, mais ils sont rarement optimistes.

Valérie Hirsch

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