L’euro fait saliver les contrefacteurs

Laurence Van Ruymbeke
Laurence Van Ruymbeke Journaliste au Vif

Profitant de l’arrivée des euros dans les poches et porte-monnaie, quelques filous tenteront d’y glisser des faux. Mais le combat sera rude

Dans la caisse de bois, les pièces de 20 francs ont l’air piteux: écrasées et balafrées de trois profondes griffes, elles ont, en quelques secondes, perdu tout éclat et tout attrait. Dans cet entrepôt loué conjointement par la Banque nationale et la Monnaie royale de Belgique, plus de 230 caisses de pièces belges arrivent chaque jour, chargées de quelque 20 millions d’unités, rapidement démonétisés. En ce début du mois de janvier, 100 millions de pièces sont retirées du circuit chaque jour. Au total, 12 000 tonnes de métal devraient ainsi être récupérées et revendues à des prix divers, en fonction des métaux collectés (cuivre, nickel…). Pour autant, la Monnaie royale ne fera pas fortune: le prix de vente des pièces de 50 francs, essentiellement composées de nickel, ne devrait pas dépasser… 1,50 franc.

A quelques kilomètres de là, dans les locaux de la Banque nationale de Belgique, les billets belges virevoltent dans les machines, le temps d’être authentifiés et identifiés. A Bruxelles et dans les grandes villes de province, les appareils de ce type traitent 640 000 coupures à l’heure. Au bout de la chaîne, la mort les attend: les billets sont déchiquetés, puis compactés sous la forme de grosses bougies, promises, pour l’essentiel, à l’incinération. Une petite partie d’entre elles seulement seront recyclées et serviront à la fabrication d’articles de papeterie.

Rideau ! A la Banque nationale, 550 millions de billets en euro, fringants, proprets et sans l’ombre d’une ride ont déjà quitté l’imprimerie. L’opération est unique dans l’histoire et la monnaie européenne ne manque pas d’ambition. « L’euro est une monnaie à vocation mondiale, comme le dollar, explique Yves Timmermans, chef du service administratif de la BNB. Il circulera non seulement dans toute la zone euro, mais aussi en dehors des frontières européennes, comme le deutsche Mark, que l’on rencontrait couramment dans les pays de l’Est ou le franc français, souvent utilisé dans l’espace colonial. Le marché de l’euro est donc large… y compris pour les contrefacteurs. Le risque de voir circuler de faux euros existe et il n’est pas limité géographiquement. Il n’est pas exclu que des organisations criminelles se lancent dans un travail de contrefaçon relativement professionnel, en y mettant plus de moyens qu’auparavant. » Pour cette raison, la naissance de la monnaie unique s’accompagne de toute une série d’initiatives, censées assurer la prévention et la répression de la contrefaçon.

1. Les signes de sécurité

Les billets présentent de nombreux signes de reconnaissance qui compliquent singulièrement la tâche des contrefacteurs (voir l’infographie): fabrication du billet à base de fibres de coton, ce qui permet de le plier au moins 1 200 fois sans le déchirer, présence d’hologrammes, encre à couleurs changeantes, impression en relief, bande iridescente apparaissant en transparence, dessins en filigrane, inscription de textes en microlettres, parties de chiffres complémentaires figurant au recto et au verso du billet, apparition de fibres rouges, vertes et bleues dispersées dans le papier lorsque le billet est passé sous une lampe à rayons ultraviolets, choix de couleurs non reproductibles en quadrichromie… « Toutes ces techniques requièrent des savoir-faire très différents, ce qui rend très difficile la tâche des faux-monnayeurs, explique Yves Timmermans. En outre, mis à part ces signes de sécurité visibles, il en est d’autres… dont je ne parlerai pas. »

2. L’information et la formation des utilisateurs

Depuis le mois de septembre, l’euro a fait l’objet d’intenses campagnes de communication (spots télévisés, encarts dans les quotidiens et les magazines, distribution de dépliants toutes-boîtes…). « Notre objectif était que les utilisateurs aient une connaissance suffisante des nouveaux billets et pièces, avant même de les manipuler, pour éviter qu’ils soient victimes de contrefaçons grossières », explique Nabil Jijakli, du Commissariat général à l’euro.

Parallèlement, le Commissariat a également mis en place un réseau de partenaires issus du monde économique (banques, grande distribution, agences de voyages, opérateurs de téléphonie, fédérations professionnelles, communes, syndicats, sociétés de transport en commun, mutuelles, etc.), auxquels une formation à l’euro a été dispensée et/ou du matériel didactique mis à disposition. Un bon millier de personnes ont ainsi été formées à Bruxelles, Anvers, Namur, Gand et Liège. Celles-ci assuraient ensuite, à leur tour et en cascade, la formation de leur propre personnel.

Concernés au premier chef, les caissiers et caissières, les gérants de petits commerces et les guichetiers des banques et des postes. « On ne traite pas une monnaie mondiale à la légère, insiste Yves Timmermans. En Belgique, contrairement à ce que l’on observe en France, en Grande-Bretagne ou aux Etats-Unis, les caissiers n’avaient guère l’habitude d’observer les billets, jusqu’à présent, car le risque de contrefaçon était trop faible (1 sur 11 000). Avoir un contrôle de base de la monnaie constitue pourtant une chose normale dans une société. »

D’autant qu’il est interdit de remettre un faux billet en circulation, et que tout faux détecté représente une perte sèche pour celui qui l’a accepté.

3. La banque de données des faux

Cette banque d’informations permettra d’identifier, de répertorier et de photographier chaque faux (pièces et billets) en fonction de ses caractéristiques. A titre d’exemple, la banque de données belge compte actuellement quelques centaines de classifications distinctes pour les 31 219 billets belges contrefaits découverts en 2000, sur un total de 350 millions de billets en circulation. Sur la base de ces informations, des cartes géographiques des faux euros seront dressées, qui permettront de localiser l’évolution de la contrefaçon dans le temps et dans l’espace, jusqu’au niveau européen, puisque tous les renseignements collectés dans les Etats membres seront transmis à l’Office communautaire de répression contre la fausse monnaie, qui dépend de la Banque centrale européenne.

4. La lutte judiciaire et policière contre les contrefacteurs

Depuis le 12 décembre 2001, la Belgique, comme chaque Etat membre de la zone euro, dispose d’un Office central de répression contre la fausse monnaie. Il compte 5 officiers (contre 1, auparavant), qui centraliseront au niveau national les informations collectées par les polices locales.

Le dispositif pénal relatif à la contrefaçon a par ailleurs été récemment toiletté afin d’harmoniser les sanctions dans toute la zone euro: il prévoit dorénavant des peines de vingt ans de réclusion pour la falsification de la monnaie et la contrefaçon, et des peines de dix ans pour la contrefaçon des moyens de production. Enfin, le mandat d’Europol a été étendu à la lutte contre la fausse monnaie.

Laurence van Ruymbeke

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