» L’équilibre budgétaire en 2015 ? Des mots « 

Economiste à la KULeuven et ex-sénateur VLD, Paul De Grauwe prône le déficit et l’endettement publics comme remèdes à la crise. Et tant pis pour le retour à l’équilibre budgétaire en 2015, cher à Van Rompuy ?  » Il n’y arrivera pas, sous peine de suicide politique. « 

Le Vif/L’Express : Laisser filer les déficits et la dette publique pour lutter contre la crise, comme vous le préconisez pour la Flandre, est-ce bien raisonnable ?

> Paul De Grauwe : Bien sûr. La récession est provoquée par une diminution de la demande. Les consommateurs, les entreprises veulent épargner en temps de crise. Il appartient dès lors aux autorités publiques d’agir de manière inverse afin de stabiliser la situation et de restaurer la confiance. Il n’y a rien de neuf à ce raisonnement. C’est ce que préconisait l’économiste britannique Keynes.

Mais la partie francophone du pays pourrait-elle s’offrir ce luxe ? La Flandre est mieux armée.

>Le raisonnement vaut autant pour la Wallonie que la Flandre. Il est vrai que la situation budgétaire de la Flandre est au départ plus confortable : elle vient de sortir de son endettement. Mais cette situation plus aisée pourrait rapidement s’évaporer : la récession risque en effet de frapper plus lourdement la Flandre que la Wallonie, en raison du poids du revers que subissent les exportations. Les Régions ne sont pas dans une situation telle qu’elles ne pourraient pas se permettre des déficits. Mais il y a évidemment des limites à tout.

Et plus encore pour l’Etat fédéral, déjà lourdement endetté ?

>Il faut effectivement s’abstenir de faire des sottises, mais au moins laisser jouer les mécanismes stabilisateurs ( NDLR : la crise entraîne automatiquement une baisse des recettes fiscales et une hausse des dépenses publiques, ce qui freine le ralentissement). L’ampleur de la dette publique limite fortement les possibilités d’ajouter encore des éléments de relance.

La recette que vous prônez n’est pas vraiment la tasse de thé du Premier ministre Van Rompuy, plus attentif à la rigueur et soucieux de revenir à l’équilibre budgétaire dès 2015…

>Mais il devra se rendre à l’évidence. Je ne le vois pas augmenter les impôts et diminuer les dépenses publiques de manière significative pour atteindre son objectif. Il peut bien prêcher l’équilibre budgétaire, il ne pourra le réaliser sous peine de suicide politique. 2015 ? Cette date n’a aucune signification. En politique, c’est une éternité.

Si le nord et le sud du pays choisissaient des politiques budgétaires différentes pour affronter la crise, cela pourrait mettre en péril l’unité du pays ?

>La question se poserait en cas de différences significatives. Admettons que la Wallonie mène une politique autorisant des déficits, alors que la Flandre décide le maintien de l’équilibre budgétaire. Dans le nord du pays grandira la perception que la Flandre devra encore payer pour les Wallons, au travers de l’Etat fédéral. Mais je ne crois pas trop à ces divergences fondamentales de politique budgétaire. L’impact de la récession induit une même nécessité.

Lutter contre la crise par une politique de déficit et d’endettement au niveau régional suppose, dites-vous, des compétences fiscales que détient l’Etat fédéral. La crise économique risque donc de précipiter le débat sur l’avenir institutionnel du pays ?

>Oui. C’est dans un moment de crise que surgissent des facteurs de changement. L’idée répandue en Flandre est d’obtenir plus de compétences fiscales et de responsabilités sur le plan budgétaire pour s’autoriser des déficits. Mais il faut cesser de voir le spectre de l’éclatement du pays chaque fois que l’on pose la question de l’autonomie fiscale. Je crois qu’il faut pouvoir le faire en la présentant comme étant aussi dans l’intérêt des francophones. Je ne suis pas un adepte de la stratégie de la N-VA.

ENTRETIEN : PIERRE HAVAUX

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