L’échevine allochtone

B izarre ! Quand un journaliste me contacte, c’est plutôt pour parler de la guerre en Irak ou de la fête du mouton…  » Faouzia Hariche, 36 ans, exhibe un large sourire, plutôt nature. Née en Algérie, s’exprimant avec une légère pointe d’accent… bruxellois, cette ancienne prof de français incarne la génération d' » allochtones  » décomplexés qui ont investi les lieux de pouvoir. Timidement en 1994. Plus massivement après les élections communales de 2000. Rien qu’à Bruxelles, on recense aujourd’hui 8 échevins et près de 90 conseillers communaux d’origine arabe ou turque (contre une petite dizaine de 1994 à 2000).

 » C’est logique, dit Faouzia û ôla victoire », en arabe. Notre présence est la simple conséquence des mouvements migratoires.  » Il suffisait d’y penser.  » Qui s’étonne encore d’avoir un président de parti, le mien, le PS, qui est d’origine italienne ?  » Haute comme trois pommes, cette femme au caractère bien trempé n’élude pas les difficultés.  » Cela fait près de dix ans que je siège au conseil communal de Bruxelles-Ville. J’ai été nommée échevine après les élections de 2000. Pourtant, je ne suis pas encore une femme politique comme les autres : on préfère me cantonner dans les matières ethniques. Or mes vraies préoccupations sont ôaussi » l’enseignement, le logement, l’accès aux soins de santé ou à un emploi de qualité.  » Echevine de l’Instruction publique et de la Jeunesse, cette diplômée de l’ULB, membre active du Cercle du libre examen, a au moins évité les sarcasmes subis par son collègue échevin Mohamed Lahlali. Lui aussi chargé de gérer l’enseignement officiel, à Schaerbeek, cet homme timide à la barbe poivre et sel a dû révéler des détails de sa vie privée û sa laïcité et son mariage avec une  » vraie  » Belge û pour rassurer les directeurs d’école. Mais bon,  » le progrès, ce n’est pas suivre les lois de la nature « , commente Faouzia Hariche, et le passage à une société qui assume vraiment ses différences prendra le temps qu’il faut…

En attendant, les premiers élus issus de l’immigration continueront à essuyer les plâtres. En Flandre, d’aucuns leur donnent l’étiquette d' » alibi-ali « , des attrape-voix utilisés par les partis démocratiques pour atteindre un nouveau public.  » Pas la peine de se voiler la face ! coupe l’échevine bruxelloise. Nous avons bénéficié du soutien des communautés dont nous sommes issus. Mais nous pouvons être davantage que des porte-drapeaux.  » A condition de peser réellement sur les choix politiques et de maintenir le lien avec les milieux associatifs, où la plupart ont fait leurs premières armes. Certain(e)s semblent en passe de relever ce double défi. Des parlementaires allochtones ont progressivement trouvé leurs marques et séduisent û durablement û les médias. Si les écologistes flamands d’Agalev parviennent à sauver leur peau au sein du prochain gouvernement fédéral, la Belgique pourrait même célébrer sa première ministre  » de couleur « , sous les traits de l’Anversoise Fauzaya Talhaoui, d’origine marocaine.

Outre sa valeur symbolique, l’accès de personnalités allochtones à des fonctions importantes pourrait forcément améliorer la reconnaissance de la communauté immigrée. A l’égard de ces ministres en herbe ou, qui sait ?, de ces futurs bourgmestres, on ne se posera pas cent fois la question de leur intégration, réussie ou non.  » Je suis confiante en l’avenir, même si je cumule les ôennuis » : être femme en politique et d’origine étrangère « , résume Faouzia Hariche. Le combat n’est pas gagné. Alors qu’un Français, un Finlandais ou un Portugais a désormais le droit de voter aux élections communales, ce n’est pas encore le cas pour un Marocain ou un Turc, accueilli chez nous il y a dix ou vingt ans. Tétanisée par le Vlaams Blok, une partie de la Flandre politique n’en veut pas (encore).

Philippe Engels

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