L’avocat des lapidés

Il a défendu Sakineh, condamnée à mort pour adultère, et nombre d’autres. Me Mohammad Mostafaei a dû se réfugier en Norvège. Le Vif/L’Express l’a rencontré.

DE NOTRE ENVOYéE SPéCIALE

Les époux Mostafaei rêvaient de revoir la Norvège. Mais pas si vite. Pas comme ça. En 2009, Mohammad, avocat et militant iranien des droits de l’homme, et sa femme Fereshteh avaient passé quelques jours idylliques à Oslo. Cette année, ils projetaient d’y faire un détour sur le chemin de leurs vacances madrilènes. Leurs visas étaient prêts. Mais les projets de voyage appartiennent désormais à leur vie d’avant. Avant la mobilisation internationale en faveur de Sakineh Mohammadi-Ashtiani, cette femme condamnée à mort par lapidation, dont Me Mostafaei est le défenseur. Avant les menaces et les interrogatoires. Avant la fuite et l’exil au pays des trolls et des fjords.

 » J’ai dit à Mohammad :  »Cette fois, on va vraiment avoir des ennuis », soupire Fereshteh, 32 ans. Mais, à ce point, je ne l’aurais pas imaginéà  » Voilà des années que son avocat d’époux tutoyait la ligne jaune tracée par les mollahs. En juin 2009, il avait été emprisonné pour  » conspiration contre la sécurité de l’Etat « . Moyennant une caution de 73 000 euros et une salve d’appels lancés par plusieurs associations humanitaires, il avait été libéré une semaine plus tard.

En Iran, il ne fait pas bon s’opposer, comme l’avocat, à la lapidation et à la peine de mort pour les mineurs. Il ne fait pas bon, non plus, tenir sur un blog la chronique quotidienne des dérives du système judiciaire. Ni alerter journalistes étrangers et défenseurs des droits de l’homme.

Pour sauver Sakineh Mohammadi-Ashtiani, accusée d’adultère et de complicité dans l’assassinat de son mari, Me Mostafaei, 37 ans, a remué ciel et terre au côté des enfants de sa cliente, Sajjad et Saideh. Prévenues par l’avocat, les organisations Amnesty International et Human Rights Watch sonnent l’alarme au début de l’été, vite relayées par les médias internationaux. Le quotidien britannique The Times publie une lettre ouverte paraphée par plus de 80 personnalités. L’Occident se mobilise, Washington et Londres en tête, à coups de manifestations, de pétitions et de pressions diplomatiques. Le 11 juillet, la justice iranienne annonce la suspension du verdict  » pour raisons humanitaires « .

Cette fragile victoire, Mohammad Mostafaei n’a guère le temps de la savourer. Le 23 juillet, il est interrogé par les autorités judiciaires, puis relâché, avant d’être de nouveau convoqué quelques heures plus tard. L’avocat comprend alors qu’il risque de se retrouver derrière les barreaux et choisit de plonger dans la clandestinité. Dans la soirée, sa femme Fereshteh, son beau-frère et son beau-père sont arrêtés.  » J’ai vécu un moment terrible, confie Mohammad Mostafaei. Quitter mon pays en laissant derrière moi Fereshteh et notre fille de 7 ans, Pamida, a été la décision la plus douloureuse de ma vie. « 

Le fugitif franchit à pied la frontière turque. Epuisé et transi, il abandonne l’un de ses deux sacs, ne conservant que son précieux ordinateur portable et quelques vêtements de rechange. Un paysan à cheval le conduit jusqu’à Van, puis il rallie Istanbul où la police l’arrête le 30 juillet.  » J’avais heureusement eu le temps d’avertir mes contacts à Amnesty International et aux Nations unies « , raconte-t-il. Grâce aux interventions de plusieurs ambassades et de la délégation de l’Union européenne, il s’envole le 7 août vers la Norvège, qui lui offre l’asile politique.

 » Aujourd’hui, nous n’avons plus rien « 

Fereshteh, elle, recouvre la liberté après deux semaines à l’isolement dans la sinistre prison d’Evin.  » Une fois mon mari à l’étranger, le gouvernement voulait sans doute éviter de donner encore plus de publicité à l’affaire « , suppute-t-elle. Avec sa fille et son précieux visa norvégien, elle rejoint Mohammad au début de septembre à Drammen, à 35 kilomètres d’Oslo.

Le ministère des Affaires étrangères y a mis à leur disposition un deux-pièces dans une grande maison de bois ocre. Dans un large sourire, Fereshteh s’excuse du désordre, de la vaisselle sale, des cartons à demi déballés.  » En Iran, se souvient-elle, nous avions une grande maison, deux grosses voitures, des revenus confortables. J’avais presque fini ma thèse consacrée aux droits de l’homme. Aujourd’hui, nous n’avons plus rienà Si. Des visites de journalistes. Mais qui s’intéressera encore à nous dans un ou deux mois ?  » Son mari, l’£il rivé aux sites iraniens qui défilent sur l’écran de son ordinateur, se languit déjà :  » Nous sommes libres, ici, mais je préférerais êtrelà-bas pour défendre mon peuple. « 

Il est comme ça, Mohammad, allergique à l’injustice, surtout quand elle frappe les plus faibles.  » Lors de mes visites aux mineurs emprisonnés, je me disais souvent que leurs vies ressemblaient à la mienne. Sauf que moi j’ai eu la chance de faire des étudesà « 

Issu d’une famille de sept enfants, contraint de jongler entre école et petits boulots dès l’âge de 7 ans, il s’est classé 42e surà 1,2 million de postulants à l’examen d’entrée à l’université. Une performance qui lui a ouvert les portes de la prestigieuse école de droit de Téhéran.  » Me Mostafaei s’en est toujours tenu aux lois en vigueur pour défendre ses clients et il ne s’est jamais engagé en faveur d’activistes politiques, souligne Mahmood Amiry-Moghaddam, le fondateur de l’association Iran Human Rights. L’attitude des autorités à son égard indique à quel point le régime se sent menacé. « 

La lutte contre la peine de mort continue

Les plus grandes fiertés de Mohammad Mostafaei ? Avoir évité la peine capitale à 18 mineurs sur les 40 qu’il a défendus. Et avoir réussi à sauver 10 de ses 13 clients condamnés à mort par lapidation. Dont Sakineh.  » Je pense qu’elle est hors de danger, estime-t-il. Mais peut-être devra-t-elle passer quelques années de plus en prison avant d’être libérée. « 

A défaut de pouvoir poursuivre son combat en Iran, Me Mostafaei se fait  » la voix de ceux qui souffrent « . A Londres, Francfort ou Genève, inlassablement, il raconte les violations des droits de l’homme, à l’ombre du gouvernement de Mahmoud Ahmadinejad.

Fereshteh, en l’attendant, couve l’espiègle Pamida.  » Nous avons fait tout ça pour notre fille, aussi, insiste-t-elle. Pour qu’elle ait une belle vie.  » Et pour qu’elle n’ait plus peur des hommes en uniforme.

ANNE VIDALIE

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