Un programme à la radicalité revendiquée. © MIKE SEGAR/REUTERS

Bernie Sanders représente-t-il l’autre versant du populisme ?

Le Vif

Victorieux dans le Nevada et favori dans la course à la nomination démocrate, le sénateur du Vermont propose un programme détonant. Que beaucoup estiment « en dehors des réalités ».

Quoi qu’il puisse se passer d’ici à novembre prochain, il faudra lui laisser cela : Bernie Sanders a toujours su maintenir son propre cap. En quarante ans de carrière politique, depuis sa période de maire de Burlington (Vermont) dans les années 1980 jusqu’à son troisième mandat de sénateur, toujours en cours, ses actes, chose rare en politique, sont restés en adéquation avec son discours. Décrié au sein de son propre parti pour sa  » radicalité « , son programme attire une frange croissante de l’électorat américain, comme en témoigne sa victoire retentissante au caucus du Nevada, le 22 février.

Sanders ne s’est pas construit en un jour. Comme l’explique Charles Voisin dans son livre Bernie Sanders. Quand la gauche se réveille aux Etats-Unis (VA Editions), le candidat démocrate du Vermont s’est, en tant que maire, érigé en  » homme de principe « , et a  » su mener sa mission avec passion et diligence « . Mais une question se pose : la réussite de Sanders, si elle fut incontestable au niveau local (il a été réélu trois fois), peut-elle être répliquée à plus large échelle ? Le Vermont, Etat rural de 600 000 habitants, est par son absence de grande ville et sa législation hostile aux promoteurs et autres spéculateurs, un environnement unique et protégé, aucunement représentatif du reste des Etats-Unis. Sanders est-il capable de dépasser cette perspective locale et d’en faire un succès au niveau national, dans un pays où l’influence et le pouvoir de l’argent sont omniprésents ? Sanders peut-il, à lui seul, changer le système ?

Une véritable révolution politique

De sa proposition de réforme des soins de santé à un relèvement du salaire minimum, de l’annulation de la dette étudiante à un plan climat ultra-ambitieux, nombre des propositions de Bernie Sanders attirent les jeunes et les moins de 40 ans. Mais que penser de sa révolution politique autoproclamée ? Cette avalanche de bons sentiments affichés et de recettes semblant par trop simples peut rendre perplexe, voire irriter les indécis et les électeurs du centre, sans parler des républicains modérés. Or, Sanders a besoin de leur soutien s’il veut vaincre Donald Trump. Par ailleurs, la faisabilité financière et politique de ses propositions électorales n’est que rarement évoquée. C’est notamment le cas de la proposition majeure de son programme, l’obligation de souscrire à une assurance publique en matière de soins de santé, dont Sanders refuse de dévoiler le financement.

Les hommes politiques qui réussissent sont ceux qui parviennent à construire des mythes pour les électeurs.

Richard Epstein, professeur de droit à la New York University, fait partie des sceptiques :  » Pour l’avoir rencontré, ce qui est frappant avec Sanders, c’est qu’il n’a pas une traître idée de concepts économiques basiques tels que la croissance, l’investissement, la taxation des ménages ou la redistribution des richesses. Son obsession antiriches lui fait perdre tout sens des réalités. S’il devait être élu demain, il mettrait sens dessus dessous l’ensemble de l’économie américaine.  » Cette crainte est partagée par nombre d’analystes, qui estiment que le plan Medicare pour tous (soins de santé organisés et garantis par l’Etat fédéral), coûterait l’équivalent de 18 000 dollars (16 500 euros) par ménage et par an et contracterait très fortement l’économie américaine, entraînant pertes d’emploi et instabilité généralisée.

De l’utilité de rassembler en son camp

Au-delà des aspects financiers se pose également la question de la mise en pratique du programme de Sanders. Sa radicalité revendiquée – chose certaine au regard des standards américains – lui fait d’emblée perdre tout espoir de pouvoir collaborer avec les républicains, dans un pays déjà extrêmement polarisé. Devrait-il être élu président en novembre prochain, le démocrate fera face à la lourde tâche de réunir un parti divisé par les querelles propres au déroulement d’un scrutin interne. Les primaires sont une guerre de tranchées, cela même si Trump, moqué par les républicains avant son élection d’il y a quatre ans, règne aujourd’hui en maître sur son clan. La chose est donc possible aussi pour Sanders. S’il parvient à unir, il devra ensuite user de sa popularité pour mobiliser les électeurs démocrates en vue des sénatoriales de 2022, espérer que le Sénat bascule à gauche, et que la Chambre y reste. Lorsqu ‘elle fait face à un pouvoir législatif hostile, la présidence américaine est une présidence faible, où la seule arme exécutive, le décret, est systématiquement attaquée en justice. Barack Obama et dans une moindre mesure Donald Trump peuvent en témoigner : faire passer la moindre réforme d’envergure se révèle être une gageure.

Mais passé ces considérations, peut-être est-il temps pour l’Amérique d’expérimenter Bernie Sanders, comme elle a expérimenté Donald Trump. Comme l’estimait cette semaine David Brooks, éditorialiste au New York Times,  » les hommes politiques qui réussissent sont ceux qui parviennent à construire des mythes pour les électeurs. Pour Bernie Sanders, le mythe est que les élites entrepreneuriales et de Wall Street accumulent des richesses sur le dos des familles laborieuses « . Or,  » durant les primaires démocrates, personne n’est parvenu à construire de mythe comme l’a fait Sanders « .

En cas de succès aux primaires démocrates, reste à voir qui, dans un peu plus de huit mois, de Sanders ou de Trump, parviendra à construire et relayer le mythe le plus attrayant pour les électeurs.

Par Maxence Dozin.

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