L’autre Baudouin

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Il devait devenir le troisième roi des Belges. Il est mort à 21 ans. La première biographie consacrée au prince Baudouin révèle que son oncle, Léopold II, l’a utilisé pour s’attirer les faveurs de la communauté flamande.

Un décès inopiné de l’héritier présomptif de la couronne, et c’est toute l’Histoire du royaume qui prend un autre cours. Si le prince Baudouin (1869-1891), neveu du Roi-Bâtisseur et frère aîné du futur Roi-Chevalier, n’était pas mort prématurément, à l’âge de 21 ans, un  » Baudouin Ier  » serait monté sur le trône de Belgique dès 1909. Sans doute est-ce lui, et non son cadet Albert, qui aurait été le premier souverain à prêter serment en français et en néerlandais. Lui aussi qui aurait été confronté, quelques mois après son couronnement, aux revendications des socialistes en faveur du suffrage universel. Lui encore qui aurait mobilisé l’armée belge en juillet-août 1914…

Un prince aussi peu connu et disparu si jeune mérite-t-il une biographie fouillée de 335 pages ? Pour l’historien Damien Bilteryst, auteur de Le prince Baudouin, frère du Roi-Chevalier (Racine), ouvrage dont nous publions en primeur les  » bonnes feuilles  » (voir en page 54), Baudouin est un  » témoin-clé  » :  » Régulièrement opposé à son oncle Léopold II dont il ne partage pas toujours les points de vue, le prince Baudouin s’est construit selon ses propres codes et présente une figure fort attachante, estime-t-il. A l’approche de sa majorité, il a assisté aux prémices de la politique coloniale belge, à l’émergence de la question sociale, ou à celle du bilinguisme.  »

Baudouin, prénom glorieux

La naissance de Baudouin, fils de Philippe, comte de Flandre (frère de Léopold II) et de Marie, princesse prussienne, est attendue avec impatience dans le pays. Le roi a en effet perdu, quatre mois plus tôt (janvier 1869), son fils unique, le duc de Brabant, alors âgé de 9 ans. Cette mort prive la Maison de Saxe-Cobourg-Gotha de son seul héritier à la troisième génération.  » Au moment même où la Belgique est l’objet de toutes les convoitises de ses voisins européens, la venue au monde d’un nouveau prince apparaît comme une garantie providentielle pour l’avenir de la dynastie belge « , remarque le biographe. Le prénom du prince rappelle un passé moyenâgeux glorieux auquel on tente d’associer le nouveau-né. N’y a-t-il pas eu un Baudouin Bras-de-fer, fondateur de la Maison de Flandre ? Et, surtout, au XIIIe siècle, un Baudouin IX, devenu premier empereur latin de Constantinople après avoir planté l’étendard au Lion sur le dôme de Sainte-Sophie ?

La jeunesse du prince est studieuse. Son premier gouverneur, l’avocat libéral Jules Bosmans, joue un rôle majeur dans la formation de son élève, qui se révèle doué. Premier membre de la famille à intégrer une école publique, Baudouin entre à l’Ecole royale militaire en 1884. Ses points forts : la chimie et les arts militaires (tactique, fortifications, armement). Il s’exprime dans un allemand et un anglais corrects, mais maîtrise moins bien le néerlandais oral. Le  » bilinguisme  » du prince va néanmoins être instrumentalisé par le roi. A Bruges, en 1887, lors de l’inauguration du monument dédié aux héros flamands Breydel et De Coninck, Baudouin répond brièvement en néerlandais à une allocution de bienvenue. La presse monarchiste amplifie cet épisode pour donner des gages à une communauté dont les revendications linguistiques, dans l’enseignement et la vie publique, s’expriment avec toujours plus de vigueur.

Beau et distingué, Baudouin représente le roi à l’étranger, notamment aux manoeuvres de Minden et de Hanovre. Il suit d’un oeil attentif l’évolution économique de son temps, se rend à Quaregnon à l’occasion de la catastrophe minière de 1888, ou encore aux fêtes jubilaires de Liège, en 1890. Lors d’une visite aux usines de Couillet, il entre dans des maisons ouvrières, interroge des travailleurs, s’informe au sujet des écoles, des caisses de secours.  » Il faut s’occuper de l’ouvrier, sans quoi il est livré d’avance aux meneurs anarchistes « , écrit-il dès le printemps 1886, période secouée par des troubles sociaux d’une ampleur inconnue jusqu’alors.  » Son intérêt pour le sort des ouvriers est sincère, même si sa vision de la question sociale est empreinte de paternalisme, note l’historien. En dépit des attaques de la presse hostile à la royauté, sa popularité est bien assise.  »

Il admire le modèle germanique

Le prince, qui fuit les mondanités et n’aime la foule que lors des cérémonies officielles, passera toute sa vie dans le décor luxueux et résolument ostentatoire du palais de son père, rue de la Régence. Alors que Léopold II tente d’inscrire son neveu dans sa propre ligne de pensée, Baudouin, certes patriote, admire l’esprit germanique de la cour des Hohenzollern (la famille de sa mère), où il séjourne fréquemment. Il voit, dans la realpolitik incarnée par les princes souverains du nouvel empire allemand, une armée et un Etat organisés selon des codes bien différents de ceux qui prévalent en Belgique.

Dans l’ombre de Baudouin, jeune homme grave et sérieux, grandit son frère Albert, au tempérament plus imprévisible et facétieux. On vante sans cesse au cadet les qualités de l’aîné, superbe à cheval – ce qui n’empêche pas les chutes – et appelé à être  » un exemple pour la jeunesse « , selon Léopold II. Ce modèle devient paralysant. Tout au long de son règne, Albert Ier se demandera s’il est à la hauteur de son défunt frère, brutalement emporté par une pneumonie en 1891. La spéculation n’est pas vraiment de mise en histoire, mais il est plaisant d’imaginer ce qu’aurait été le règne de Baudouin s’il avait succédé à son oncle, en 1909. Ce règne aurait-il été plus conservateur que celui du Roi-Chevalier ? Sans doute : d’après sa soeur Henriette, le prince Baudouin avait des idées traditionalistes et se disait  » ni libéral, ni moderne « .

OLIVIER ROGEAU

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