L’art brut en son écrin

Guy Gilsoul Journaliste

Après quatre ans de restauration et d’agrandissement, le musée de Villeneuve- d’Ascq, désormais baptisé LaM, prend un nouveau départ.

Le lieu est connu par les habitants de l’agglomération lilloise (Nord de la France) pour le calme de son parc de 2 hectares dans lequel se dressent ou s’étirent quelques sculptures monumentales signées Picasso, Calder, Deacon ou encore Dodeigne. Puis, lové dans la verdure, il y a le musée. Le bâtiment principal en briques avait été inauguré en 1983. Ce vendredi 24 septembre, après un léger lifting, il dispose d’une nouvelle aile à la peau de béton pâle et aux formes plus organiques. Au total, 11 000 mètres carrés d’un musée qui, unique en Europe, suggère une confrontation des plus vivifiantes, entre des salles consacrées à l’art moderne, d’autres aux arts contemporains, et les dernières, plus de 1 000 mètres carrés, dédiées à l’art brut.

A l’origine, la première construction – signée Roland Simounet – toute en emboîtements orthogonaux, se fond dans le paysage à la façon d’une grande villa de collectionneurs. A l’intérieur, le point fort de la visite est un ensemble d’£uvres de la première moitié du xxe siècle acquises par Roger Dutilleul. Ce grand bourgeois parisien avait d’abord acheté des pièces anciennes (de Greuze à Renoir en passant par Courbet et Delacroix). Un jour de 1908, il entre dans la boutique du marchand Kahnweiler et en sort avec un tableau de Braque sous le bras. Il récidive avec Picasso, Léger, Laurens, Modigliani, Kandinsky entre autres, mais aussi des peintures du fauvisme ou encore de l’expressionnisme. Aucun Matisse par contre auquel il préfère… le naïf André Bauchant.

Un lieu de référence

Sa passion il la transmet à son neveu Jean Masurel qui, à son tour, achète des cubistes, puis Paul Klee, De Staël, Miro et Bernard Buffet. Lorsqu’en 1956, il hérite de la collection de son oncle, il poursuit avec son épouse Geneviève la quête de nouveaux talents et plus particulièrement ceux de la région : Paul Van Hecke, Eugène Dodeigne ou encore Eugène Leroy. Soit, 219 £uvres qui, aujourd’hui, constituent le premier noyau de la partie moderne du musée. Car, dès son ouverture, celui-ci complète la collection par des achats ou des dépôts exceptionnels à l’instar de l’ensemble Dubuffet. Il opte aussi pour l’actualité, selon une double orientation : l’aventure du collage (les affichistes du Nouveau Réalisme) et la réflexion autour de la peinture (façon Support-Surfaces).

Ainsi, peu à peu, aux côtés du Palais des Beaux Arts de Lille, la Piscine de Roubaix et le Studio du Fresnoy, le musée de Villeneuve-d’Ascq s’impose. Lieu de référence, il devient aussi prospectif à travers ses expositions temporaires. L’une d’elles lui portera particulièrement chance puisque, après avoir présenté la collection d’art brut de l’Aracine (la plus importante de France avec plus de 3 500 pièces), celle-ci, en quête d’un lieu d’hébergement définitif, décide d’offrir ses trésors au musée. En 1999, l’affaire est conclue. Restait à construire la nouvelle aile. La voici, proposée par la jeune architecte Manuelle Gautrand. Depuis l’arrière du bâtiment de Simounet, la nouvelle construction suggère, au sol, la forme d’une main quelque peu mécanique dont les cinq doigts articulés constituent autant d’axes-couloirs brisés terminés par des ouvertures en résille. A l’intérieur, à l’abri des lumières trop vives, se déploie l’accrochage des £uvres dont la fragilité exige en effet la plus grande prudence.

Du coup, le LaM annonce la couleur. Soit, trois expositions permanentes, une exposition temporaire inaugurale ( Habiter poétiquement le monde) et trois autres liées aux trois grandes sections du musée. Au total, un parcours sur plus de 4 000 mètres carrés d’expositions dont 1 100 dédiés au seul art brut. Reste à conquérir le public étranger. Jusqu’ici, il ne constitue en effet que 5 % seulement du total des visiteurs. Ce sera l’un des défis de la nouvelle conservatrice, Sophie Lévy dont le nom et la réputation restent attachés au musée d’art américain de Giverny :  » Le LaM n’a pas de raison d’être tourné vers la France. Pour moi, il est tourné vers l’Europe du Nord.  » Dont la Belgique. Après tout, le LaM n’est qu’à un jet de pierre de… Tournai.

La section Art brut sera sans aucun doute la partie la plus visitée. Ici, on réfléchit moins qu’on ne s’étonne, sans besoin de recours à des grilles de lecture que réclament souvent l’art moderne et plus encore l’art contemporain. Par tous les pores de l’image, on sent l’homme et la femme, souvent de petite condition, qui, avec les moyens du bord, laissent libre cours à leur imagination. Ils dessinent, peignent et sculptent, assemblent et collent selon des méthodes souvent simples et avec des matériaux qui vont des plus traditionnels aux plus inattendus. Cela va des coquilles d’£ufs et des ingrédients de pâtisseries chez Palanc aux agglomérats de pièces informatiques dans les maquettes d’architectures hallucinantes du duo ACM. Mais toujours, leur univers renvoie directement à leur vécu, leurs douleurs, leurs vengeances sans fard. Ils sont sans morale et sans esthétique convenue mais soignent leur travail. Ils laissent affleurer sans filtre le tréfonds de leur esprit joueur, inquiétant, obsessionnel. Folie ? Ou irréductible singularité ? C’est du reste dans les asiles qu’on recueille, dès la fin du xixe siècle, les premiers témoins de cette production marginale. Mais au fil des décennies et de l’intérêt croissant porté par les Max Ernst et autres André Breton, l’aire s’étend à d’autres productions qu’en pleine Seconde Guerre mondiale, Jean Dubuffet réunit sous le label d’art brut. Elles se récoltent au sommet des alpages ou dans l’arrière-boutique d’un brocanteur, dans les jardins ou au fil de séances de spiritisme, pourvu que l’école buissonnière soit de mise.

Exemples. Auguste Forestier (1887-1958) est un enfant difficile, fugueur. Il n’est bien que sur les routes. Son rêve : partir. Mais il n’a ni la permission ni le sou. Alors, à la sauvette, il monte dans le premier train. Puis dans un autre et un autre encore, se fait prendre, reconduire chez ses parents. Il repart, se fait prendre à nouveau. De rage, il provoque un déraillement. C’en est trop. On l’enferme dans l’asile de Saint-Alban-sur-Limagnole (Lozère) où, dans la solitude, il sculpte des bateaux, des maisons de poupée et quelques soldatesques que les infirmiers lui achètent comme jouets pour leurs enfants avant que Paul Eluard ne les découvre. Ce n’est qu’à partir de 52 ans que Anna Zemankova (1908-1986) se met à peindre tous les matins entre quatre et sept heures de bien curieuses plantes qui, à l’entendre, témoignent de la profonde parenté entre le monde végétal et l’homme.

Victor Simon commence son grand îuvre ( Le Temple) à l’âge de 12 ans, Elise Müller (1861-1929), sous la dictée de Léopold de Cagliostro, son guide depuis l’au-delà, peint des portraits religieux d’une stupéfiante fixité. Quant à Jean Lefèvre (1919-), technicien en électricité, il invente une machine qu’il soumet au concours Lépine alors que Jean Perdrizet (1907-1975), ingénieur de formation, nourri par l’espoir d’entrer en contact avec les fantômes ou les extraterrestres, construit deux tonnes de soucoupes volantes en quarante ans.

La liste serait longue. La collection affiche tous les grands noms et, le plus souvent, avec des pièces maîtresses. On songe particulièrement à l’ensemble d’Emile Ratier, de Théo Wiesen ou d’Augustin Lesage. Elle offre aussi à l’amateur d’art brut, l’occasion en cinq chapitres thématiques, de découvrir des créateurs moins connus, voire des £uvres d’anonymes. Parmi eux, deux assemblages qui, longtemps, furent jalousement gardés par André Breton.

LaM, Lille métropole, musée d’Art moderne, d’Art contemporain et d’Art brut, Villeneuve-d’Ascq (France). Du mardi au dimanche, de 10 à 18 heures.www.musee-lam.fr

GUY GILSOUL

 » le lam est tourné vers l’europe du nord.  » dont la belgique…

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire