L’arnaqueur de Wall Street

Le financier philanthrope, ami du gotha new-yorkais, n’était en fait qu’un vulgaire escroc. Partout dans le monde, ses victimes se réveillent groggy. Le scandale de trop pour la planète Finance.

C’est un scénario digne d’Il était une fois en Amérique, le chef-d’£uvre crépusculaire de Sergio Leone. L’histoire d’un gamin juif du Queens parti de pas grand-chose et devenu en quelques décennies l’une des figures les plus éminentes de la haute société new-yorkaise. Avant de tout perdre en une poignée d’heures : arrêté le 11 décembre, Bernard Madoff (70 ans), ex-PDG du Nasdaq, patron de la très respectée Madoff Investment Securities, spécialisée dans la gestion de fortune, a admis être l’auteur de ce que certains ont déjà baptisé  » la fraude du siècle « . C’est près de 50 milliards de dollars que Madoff, qui comptait parmi ses clients investisseurs quelques-unes des plus grandes banques du monde, a reconnu avoir détournés, à la barbe de régulateurs mystifiés. Une parabole en forme de résumé des travers d’une planète financière qui n’en finit plus d’étaler ses turpitudes. Et se demande quelle drôle de tuile lui est encore tombée sur la tête…

L’escroquerie échafaudée par Madoff, connue sous le nom de  » pyramide de Ponzi « , était d’une simplicité biblique. Elle consistait à payer les rendements de ses investisseurs – de 10 à 13 % chaque année, avec une régularité métronomique – grâce aux apports de nouveaux clients (voir page 95). Une technique efficace en régime de croisière, mais beaucoup plus dangereuse par gros temps. Et carrément intenable en période de tsunami financier. Depuis plusieurs mois, banques et hedge funds, au bord de l’asphyxie, rapatrient une grande partie des capitaux qu’ils ont placés les uns chez les autres. Résultat : les fonds les plus faibles ou les moins bien gérés – c’est déjà le cas de près d’un tiers des hedge funds – disparaissent. Quant aux escrocs, ils n’ont plus aucun moyen de masquer la vraie nature de leur activité.  » Tout cela n’est rien d’autre qu’un gros mensonge « , a dû reconnaître Madoff à deux de ses enfants, également salariés de sa société. Qui se sont empressés de le dénoncer aux autorités…

Tout avait pourtant souri, jusque-là, à cette figure de Wall Street. Après avoir abandonné ses études de droit, il utilise ses 5 000 premiers dollars, gagnés comme maître nageur sur les plages de Long Island, pour fonder sa société d’investissement. Avant tout le monde, et alors que la plupart des transactions se font encore par téléphone, il comprend le rôle majeur que va jouer l’informatique dans les transactions financières. Cette intuition va rapidement le rendre suffisamment riche pour qu’il puisse se spécialiser dans la commercialisation d’un produit à très haute valeur ajoutée : son image. Grand philanthrope, il soutient aussi bien des théâtres de Broadway que des partis politiques (ainsi, en 2008, il a versé 10 000 dollars au comité de campagne sénatoriale du Parti démocrate) et des associations d’aide aux malades. L’occasion d’asseoir définitivement son personnage de paterfamilias tenace et tranquille, gérant sage et avisé dans un monde financier au bord de la crise d’épilepsie.

L’incontestable talent de Bernard Madoff est là tout entier. Mieux que personne il sait vendre à ses clients un bien intangible, mais ô combien précieux : la confiance. Et son tableau de chasse est aussi hétéroclite qu’impressionnant. Car on trouve de tout chez Madoff. Des hedge funds, par exemple, dont certains étaient même entièrement investis chez lui. Comme le Fairfield Sentry Fund, localisé à Greenwich (Connecticut), qui a perdu plus de 7 milliards de dollars. Des associations caritatives : la fondation Wunderkinder de Steven Spielberg ou la fondation Elie Wiesel pour l’humanité. Egalement saignées, de grandes fortunes privées : le prince saoudien Al-Waleed, qui aurait reconnu avoir perdu 4 milliards de dollars, et Saul Katz, codétenteur du mythique club de base-ball des New York Mets. Sans compter les partenaires de golf de  » Bernie « , dont beaucoup, de Long Island à Palm Beach, en passant par Boston, sont désormais complètement ruinés. Et, bien sûr, des banques (voir page 92).

L’étrange M. Madoff, qui se refusait à donner des informations sur son business model, avait pourtant de quoi éveiller les soupçons. Un concurrent, Harry Markopolos, avait même, dès 1999, dénoncé les pratiques de Madoff au gendarme américain des marchés, la SEC.  » Madoff Securities est le plus gros schéma de Ponzi du monde « , précisait-il alors. A quatre reprises, en 1992, 2001, 2005 et 2007, la SEC a mené des enquêtes, qui n’ont jamais débouché sur quoi que ce soit. La faillite de l’organisme de contrôle se passe de commentaires. De quoi conforter tous ceux, de plus en plus nombreux , qui jugent que l’inertie des régulateurs est l’une des principales causes de la crise.  » Compter sur le système financier pour s’autoréguler, c’est comme compter sur un héroïnomane pour refuser la seringue qui lui est tendue « , estime un gérant de fonds. Encore une leçon durement apprise pour les professionnels de Wall Street, qui finissent l’année essorés par les catastrophes en série. Quand ils n’ont pas purement et simplement perdu leur emploi…

Benjamin Masse-Stamberger

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