L’argile, futur coffre-fort de nos déchets radioactifs

Dans le sous-sol de Mol, en province d’Anvers, le laboratoire Hadès étudie la possibilité d’enfouir nos déchets hautement radioactifs dans une épaisse couche d’argile. L’enjeu est d’importance, car le futur gouvernement devra prendre une position de principe à cet égard dans quelques mois. Visite d’un lieu hautement stratégique…

Dans un joli décor planté de bois de pins et même d’un lac où une petite plage de sable blanc invite à la détente, le Centre d’étude de l’énergie nucléaire (CEN) de Mol s’étend sur 345 hectares récupérés voici bien longtemps sur le domaine royal. Ici, 650 personnes, dont près d’une moitié d’universitaires issus de plus de trente pays, travaillent dans différentes unités dont la plus connue est le BR 2, un réacteur expérimental bientôt quinquagénaire mais qui reste  » la  » Rolls-Royce du genre au niveau international. Outre les très nombreuses recherches qui y sont menées, il produit à lui seul en moyenne 30 % des besoins de la planète d’un type bien précis de radio-isotopes à usage médical et on y dope environ 50 % du silicium destiné à l’industrie mondiale de la micro-électronique. Excusez du peu !

Au sein de ce vaste ensemble où on trouve également un autre réacteur de recherche et de prestigieux instituts qui font la renommée de la Belgique dans le domaine du nucléaire, le CEN (qui est une fondation) s’est associé avec l’Organisme national des déchets radioactifs et des matières fissiles enrichies (Ondraf) pour créer Euridice, un groupement d’intérêt économique chargé de gérer le laboratoire souterrain baptisé Hadès. C’est là, dans cette galerie creusée à 225 mètres sous les pins, que se joue l’avenir de nos déchets hautement radioactifs…

Des durées de vie très différentes

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les centrales nucléaires (au nombre de 7 dans notre pays pour une capacité totale de 5 800 MWe) ne sont pas les seules à produire des déchets et il faut aussi tenir compte de ceux qui émanent du secteur médical, de l’industrie, de l’agriculture, etc. Ils en constituent néanmoins la plus grosse part (80 %) et, depuis vingt ans, les spécialistes travaillent à en réduire le volume au maximum, que ce soit par voie de tri ou de retraitement (cette dernière filière étant actuellement à l’arrêt).

Les spécialistes distinguent trois catégories de déchets radioactifs. Ceux de la catégorie A sont des déchets de faible et moyenne activité et de  » courte  » vie : ils présentent un risque radiologique évalué en centaines d’années. Ceux de la catégorie B sont également des déchets de faible et moyenne activité, mais dits de  » longue  » vie : l’activité radiologique se calcule en centaines de milliers d’années. Enfin, la catégorie C englobe les déchets de haute activité : ils dégagent une température importante (de l’ordre de 130°) et sont, selon les cas, de courte ou de longue vie.

On estime qu’à l’horizon 2075, si les plus vieilles centrales belges (Doel 1 et 2 et Tihange 1) ont été prolongées jusqu’à leur cinquantième anniversaire (2025), il y aura environ 70 900 m3 de déchets A, 11 200 m3 de déchets B et 650 m3 de déchets C, à condition toutefois que ces derniers soient retraités. Si tel n’était pas le cas, le volume C atteindrait 4 900 m3.

La gestion des déchets de catégorie A ne pose pas de problème majeur et ceux-ci sont actuellement mis en dépôt à Dessel après avoir été traités et conditionnés. Pour les déchets B et C – dont une partie se trouve à Dessel également, mais que l’on entrepose aujourd’hui temporairement dans les centrales – il convient de trouver une solution à long terme. Les experts du monde entier se sont prononcés pour un stockage dans des couches géologiques stables et étanches. De quel type ? Les solutions ne sont pas légion puisqu’on n’en connaît que trois : certains, comme les Finlandais, ont choisi le granit (Le Vif/L’Express du 14 mai 2010), d’autres – comme les Allemands – préfèrent l’enfouissement dans de profondes couches de sel. Quant aux Belges et aux Français, ils étudient une troisième possibilité : l’argile.

Cela fait déjà trente-six ans que le CEN a commencé à s’intéresser à cette argile comme  » coffre-fort  » éventuel pour nos déchets radioactifs, mais il a fallu attendre 1980 pour qu’un premier puits vertical soit creusé dans le sous-sol de Mol : une installation modeste surmontée d’une sorte de derrick que l’on peut encore voir sur le site, mais qui est aujourd’hui dépassée par celle, beaucoup plus moderne, du puits n° 2.

Un site d’étude unique

Une fois la descente effectuée, on débouche sur une galerie cylindrique de 200 mètres de longueur qui est en fait un long laboratoire dans lequel s’activent ouvriers et scientifiques. Les uns mettent en place des dispositifs qui vont du plus simple au plus sophistiqué, les autres procèdent aux analyses et engrangent les résultats.

Tout – ou presque – tourne ici autour des capacités de confinement de l’argile de Boom. Celle-ci présente une stabilité de bon aloi, une très faible perméabilité à l’eau dite  » interstitielle  » qu’elle renferme et une plasticité intéressante qui lui permet de refermer ses fissures, même après des travaux d’excavation.  » Ces différents éléments sont particulièrement appréciés des chercheurs, mais le plus important, souligne Peter De Preter, le directeur du site, c’est la propriété que possède l’argile de retenir la plupart des radionucléides de longue durée. « 

Les expériences menées ici visent à comprendre comment l’argile se comporte au fil du temps et en fonction des traitements qu’on lui fait subir, qu’ils soient mécaniques, caloriques ou autres. On y examine donc les aspects géologiques, hydrogéologiques, géomécaniques et géochimiques avec un seul objectif : évaluer la faisabilité et la sûreté d’un dépôt de déchets en profondeur. Les expérimentations réalisées dans le sous-sol de Mol, à des échelles représentatives dans le temps et l’espace, complètent les calculs de modélisation et les résultats de laboratoire obtenus  » à la surface « .

 » Last but not least, ajoute Peter De Preter, les programmes menés au sein de Hadès ont une importante composante internationale. Cette collaboration permet le partage des connaissances et favorise l’évaluation critique des programmes tout en étant à la base d’une approche commune européenne et internationale des grandes questions relatives au dépôt des déchets radioactifs. « 

Au fil du temps, le labo souterrain a été agrandi, notamment avec le creusement et l’aménagement d’une galerie baptisée Praclay, consacrée aux études thermiques. On va tenter d’y démontrer que la charge thermique des déchets n’est pas de nature à compromettre le comportement de l’argile qui les renferme.

Une précision encore, que tient à formuler Peter De Preter :  » Si l’option de l’enfouissement dans une couche d’argile est retenue par les autorités, elle ne pourra toutefois pas être concrétisée avant quelques décennies, car il faut attendre que la température des déchets soit descendue en dessous de la barre des 100°. En outre, le site Hadès a pour seule vocation d’être un laboratoire et il ne deviendra jamais un lieu de stockage définitif. « 

FRANCIS GROFF

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