L’appli anonyme pour charrier ses amis

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Ami éméché, délire inavouable, blague potache… Avec l’application Skywall, presque tous les coups sont permis. Les créateurs plaident la rigolade entre potes, mais le concept risque de déraper d’après un expert en droit des médias.

Un mystérieux personnage, John Doe, publie une photo compromettante. Sur le cliché, un ami ivre, couché au sol.  » T’as vu ta tronche ?  » s’amuse l’auteur de la publication, qui connaît incontestablement la victime pour l’avoir immortalisée dans pareille posture. A présent, durant 15 jours, l’image sera visible par ses amis. Qui donc est le traître tapi derrière ce pseudonyme ? Les curieux ont deux chances pour le démasquer. Tel est le pitch, esquissé à gros traits, de Skywall, une nouvelle application gratuite pour iPhone et smartphones. Cible de prédilection : le public estudiantin.

En à peine deux mois, Skywall fédère déjà plusieurs milliers d’utilisateurs sur iPhone. La version pour les systèmes Android devrait éclore à la fin de ce mois. Le concept croise les ficelles d’un réseau social anonyme et d’un jeu entre amis. Derrière l’application, trois frères français âgés entre 22 et 31 ans, dont les deux plus jeunes vivent à Bruxelles. Leur idée est née d’une frustration en surfant sur les réseaux sociaux actuels.  » Aujourd’hui, plus personne n’ose y divulguer des photos trop personnelles « , regrette Arthur de Clermont-Tonnerre, l’aîné du trio. Début 2013, ces jeunes entrepreneurs greffés à leur smartphone se lancent un défi commun : créer une application à vocation mondiale, dans laquelle le ridicule, tant qu’il se limite au cercle amical, ne tue pas.

Du jour au lendemain, Arthur met fin à sa carrière d’expert financier dans une banque d’affaires. Son frère Alexis démissionne de son poste de représentant pour un grand incubateur de start-up. Avec Axel, aux études à Louvain-la-Neuve, ils s’envolent en mai 2013 vers la Californie, berceau du marché des applications. C’est là que Skywall prend vie, pas à pas.  » Nous ne voulions pas créer un réseau social poubelle, précise d’emblée Arthur de Clermont-Tonnerre. Skywall, c’est avant tout de la rigolade entre amis. Les auteurs des publications anonymes savent qu’ils peuvent être démasqués à tout moment.  » Un tel modèle permettrait, d’après les concepteurs de l’application, d’éviter les publications désobligeantes.

Une atteinte à l’image des personnes ?

Mais ce n’est pas l’avis de Bernard Mouffe, avocat spécialisé en droit des médias et professeur invité à l’Université de Namur. En privilégiant les clichés compromettants, Skywall serait discutable à plus d’un titre.  » Il y a un risque réel d’atteinte à l’image des personnes, puisque celles-ci sont souvent reconnaissables.  » A cette mise en garde s’ajoute une atteinte potentielle à la vie privée. Même si les concepteurs de Skywall ont établi les règles en s’inspirant de réseaux sociaux existants, Bernard Mouffe rappelle que ces conditions générales ne sont pas suffisantes. Et le principe visant à démasquer l’auteur des publications serait tout aussi problématique, au regard d’une récente décision de justice dénonçant tout procédé incitant à la délation.

De leur côté, les créateurs de Skywall rappellent que chaque publication dénoncée par un minimum de cinq personnes est automatiquement supprimée. Les trois frères comptent bien monétiser leur concept, grâce à un système de points échangeables contre des coupons de réduction. Mais Skywall doit encore convaincre d’innombrables utilisateurs prêts à s’amuser dans la disgrâce.

Christophe Leroy

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