L’âme en ses miroirs

Guy Gilsoul Journaliste

Depuis cinquante ans, les photographies de l’Américain Duane Michals fascinent et dérangent. Rétrospective au Musée de la photographie de Charleroi.

McKeesport, Pennsylvanie, années 1930. D’origine slovaque, la famille Mihals qui va bientôt angliciser son nom en Michals, affronte la crise. Le père, ouvrier, est amené à se déplacer souvent. La mère, employée de maison, ne rentre que le week-end. Duane qui naît en 1932 est élevé par sa grand-mère. Enfant solitaire, il dessine, sur le papier d’emballage du pain, des châteaux, des avions et ses premières bandes dessinées. A 14 ans, il suit des cours de peinture à Pittsburgh, puis à l’université de Denver où il s’intéresse de plus en plus à la photographie. En 1958, en pleine guerre froide, il gagne la Russie, le temps de ses vacances. Dans ses bagages, il emporte un appareil photo prêté par un ami. Il en revient avec une série de portraits mais surtout une certitude : pour évoquer (convoquer) la psyché enfouie dans un visage, il faut lui associer une sorte d’alter ego, un autre acteur dont le rôle sera joué par le décor.

Or, à Denver, Michals avait été troublé par deux peintres européens : le Belge René Magritte, d’une part (dont il fera le portrait plus tard), et le Polonais Balthus, d’autre part. L’un comme l’autre visent à mettre en scène le mystère de l’esprit mais leurs méthodes divergent. Le premier use d’associations d’objets ou de mots et d’objets clairement déposés sur une scène illusoire. Le second propose des récits énigmatiques en des lieux clos habités par des lumières indiscrètes. Duane Michals va combiner ces deux influences majeures dans des mises en scène précises dont le sens sera, comme souvent chez Magritte, suspendu à un mot, un petit texte ou un poème manuscrit associé à l’image. Parfois, la narration se fait en diverses séquences regroupant de 6 à 12 photos. A d’autres moments, tout se condense dans une seule composition. Opposant souvent les contraires (en d’innombrables déguisements), il privilégie, comme Magritte et Balthus, des espaces fermés (une cage d’escalier, une chambre à coucher, une rue étroite) dans lesquels la lumière joue les voix  » off « . Quant à ses acteurs (lui-même parfois), il en dirige les gestes, les attitudes, grossissant souvent le trait jusqu’au burlesque :  » Qui voit mes photos voit ma pensée « , déclare-t-il. Chaque £uvre convoque donc une lecture lente et attentive. On est ici aux antipodes de ces images surprises dans l’instant béni qui font la part belle à la photographie humaniste des Doisneau et autres Cartier-Bresson. L’art de Duane Michals relève davantage en effet de l’univers pictural, où le temps suspendu et l’irrésolution sont de règle. Il est alors logique qu’en vieillissant le photographe américain ait davantage concentré son propos. La dernière série, en couleurs, réalisée au Japon, relève davantage d’un genre pictural qui eut son âge d’or au xviie siècle :  » Les vanités « . En observant ses natures mortes d’une extraordinaire subtilité ou encore ses paysages nippons enneigés, nocturnes, fleuris ou seulement habités par une silhouette qui passe, le poème gagne en gravité. La délicatesse des accords nous emporte alors au plus profond de nos propres fragilités. Leur séduction n’est qu’un voile…

Charleroi. Musée de la photo- graphie, 11, av. Paul Pastur. Du 30 mai au 13 septembre prochain. Du mardi au dimanche, de 10 à 18 heures.

Notons aux mêmes dates les deux autres expositions de Christian Lutz (sur l’univers des politiciens) et de Vincent Delbrouck (un vécu au plus proche des habitantsde La Havane).

GUY GILSOUL

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