Depuis les années 1960, les psychologues tentent de définir des profils de personnalité correspondant à certains types de maladies. Avec plus ou moins de justesse. Et, s’il est un élément déterminant dans cette typologie, c’est bien la manière de gérer son stress.
Il y a d’abord eu les » types A « , décrits dans les années 1960. Leur propension à l’hyperactivité, leur éternel esprit de compétition, leur impatience notoire et leur surinvestissement professionnel en faisaient des victimes toutes désignées des infarctus et autres maladies cardiovasculaires. De grandes études portant sur des milliers de personnes ont confirmé dans les années 1970 que les individus qui cultivaient ce type de comportement (mesurable par des questionnaires spécifiques) couraient effectivement deux à trois fois plus de risques de problèmes coronaires, et ceci indépendamment d’une éventuelle hypertension, d’un cholestérol élevé, ou d’autres facteurs de risque bien connus. Par opposition, les personnes ne présentant pas ce profil A ont été désignés comme des » types B « , nettement plus flegmatiques, décontractés et insouciants.
Depuis lors, ces concepts ont été sérieusement remis en question, voire réfutés. » Il est un fait qu’il fallait à tout le moins les nuancer, souligne le Pr Christine Reynaert, chef de l’unité de médecine psychosomatique aux Cliniques universitaires de Mont Godinne (UCL). Après décantation, il semble ne subsister comme éléments significatifs dans le » type A » que les traits de personnalité liés à l’impatience, un sentiment d’urgence du temps, une hostilité réprimée et un besoin excessif de contrôle. «
Se leurrer soi-même
Plus étonnante sans doute est l’observation selon laquelle on peut prédire les probabilités de se remettre rapidement après un infarctus ou, au contraire, de développer des complications. Des travaux ont mis en lumière le » déni » comme facteur protecteur à court terme. Les » crâneurs » auraient-ils donc plus de chances de s’en sortir ? » A court terme, en effet, précise le Pr Reynaert. C’est ce que les Américains désignent par le » self-deception » (se tromper soi-même) ou la » positive illusion « , mais ils considèrent cela comme un comportement adaptatif, ce qui est une vision plus positive des choses que de dire que c’est un mécanisme de défense. » La distinction entre un trait de personnalité et un comportement est en effet fondamentale. » Le businessman hyperactif peut l’être par choix délibéré, ou parce qu’il se sent obligé par une sorte d’exigence intérieure de s’agiter sans relâche. Dans le premier cas, cela s’accompagne d’un sentiment de maîtrise qui débouche sur un état physiologique beaucoup plus serein que s’il est entraîné malgré lui dans une spirale de stress. Nous pouvons travailler cette prise de conscience. »
D comme » Distress «
Depuis lors sont apparus des » types C « , davantage liés à l’apparition de cancer ( lire l’encadré ci-contre), et des » types D « . Ces derniers ont été décrits en 1996 par un psychologue anversois, Johan Denollet, qui travaillait dans un service de revalidation cardiaque à l’université d’Anvers. Lui aussi était intrigué par le fait que ceux qui réagissent de manière indifférente à leur infarctus semblaient s’en sortir mieux que les autres, mais il a focalisé son attention sur deux traits majeurs de personnalité, l’affectivité négative et l’inhibition sociale, et a montré qu’ils multiplient par deux ou trois le risque d’infarctus. Par affectivité négative, on entend une tendance à ressentir des sentiments négatifs tels que anxiété, tristesse, pessimisme. Par inhibition sociale, on désigne la tendance au repli sur soi et à ne pas exprimer ses sentiments ( lire le test ci-contre). Selon Denollet, on rencontre dans les services de cardiologie 25 à 30 % de personnalités de type D, contre 15 à 20 % dans la population tout venant.
Existe-t-il des corrélations entre ces aspects de personnalité et des paramètres biologiques impliqués dans la genèse des maladies cardiovasculaires ? Johan Denollet a récemment publié des nouveaux résultats confirmant une corrélation entre le type D et l’hypertension artérielle, tandis que des chercheurs britanniques ont, quant à eux, observé que ces mêmes types D se réveillent dès le matin avec des taux de cortisol (hormone de stress) plus élevés que la moyenne. Ces recherches s’inscrivent, parmi tant d’autres, dans le courant de la psycho-neuro-immuno-endocrinologie. Cette discipline relativement neuve tente d’intégrer les diverses facettes du fonctionnement humain et de jeter des ponts par-dessus l’éternel abîme qui sépare, dans notre médecine scientifique, le corps et l’esprit. » Le fil rouge de tout cela, c’est la répression des émotions, affirme Christine Reynaert. Notre système hormonal et notre système immunitaire ne fonctionnent pas chacun pour soi ; ils sont en interaction constante avec notre système nerveux, et sont donc modulés par notre vie psychique – et peut-être même par notre environnement socio-familial. Emotions, humeur dépressive, stress influencent indéniablement notre bon fonctionnement, probablement via l’action des hormones de stress et des médiateurs de l’inflammation. Apprendre à reconnaître et à gérer ses émotions est donc la clé de toute approche qui envisage l’individu dans cette globalité-là. »
Allongez-vous…
Oui mais… Demander à un stressé de se relaxer le crispe souvent davantage. Tout comme suggérer à un » type A » hyperactif de s’allonger sur un divan pour évoquer son enfance risque fort de le faire fuir ! C’est donc vers les interventions de type comportemental que se tournent les espoirs. » Nous employons des approches plus dynamiques, explique Christine Reynaert. Le sport convient très bien ; c’est un bon moyen de redécouvrir les signaux de son corps, ce qui ouvre alors la porte à l’expression des émotions. Mais gare à l’esprit de performance et de compétition, qui revient au triple galop si l’on n’y prend garde ! Les dynamiques de groupe sont aussi très porteuses ; elles permettent de travailler sur des concepts de prévention dans une saine émulation entre copains. Et nous impliquons aussi le conjoint, car il est souvent celui qui perpétue le malentendu, persuadé que l’autre a réellement besoin de ce rythme de vie. Et, quand nous sommes face à un type D, nous misons aussi sur l’optimisme : apprendre à voir le côté positif des choses est excellent pour la santé ! «
Karin Rondia, avec Marleen Finoulst