L’adieu belge à la Syrie

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

La Syrie était le pays au monde qui comptait le plus de missions archéologiques belges. Mais toutes les campagnes de fouilles ont été abandonnées avec l’embrasement du pays. Les scientifiques belges sont inquiets pour leurs partenaires locaux.

Le 15 mars 2011, un vent de révolte commençait à souffler sur la Syrie. Un an et des milliers de morts plus tard, la contestation n’a pas faibli et la répression féroce déclenchée par l’armée et les milices du régime se poursuit. Les missions archéologiques – le pays en compte plus d’une centaine, dont plusieurs belges – n’ont pas attendu les tueries des derniers mois et le pilonnage de Homs pour plier bagage. La dernière équipe belge présente sur le terrain a quitté la Syrie en juin dernier, mais la plupart avaient renoncé, dès le début des affrontements, à leur saison de fouilles de l’an passé. De même, aucune campagne n’a été prévue en 2012.

Dès lors, les Belges se posent des questions sur leur avenir archéologique dans ce pays. Beaucoup d’archéologues autrefois actifs en Irak, en Iran et dans la partie turque de l’île de Chypre s’étaient progressivement repliés, depuis une trentaine d’années, sur la Syrie, région plus accueillante et moins troublée politiquement. La Syrie était ainsi devenu le pays au monde qui comptait le plus de missions archéologiques belges.  » Depuis que ce pays connaît lui aussi des affrontements, bon nombre de missions internationales se sont déplacées vers le Kurdistan irakien, région autonome où la sécurité est en progrès « , signale Marc Lebeau, chef de l’équipe européenne qui ressuscitait, depuis vingt ans, l’antique cité de Nabada, dans le nord-est de la Syrie.

Tourner la page

 » Pour moi, la Syrie, c’est terminé ! poursuit l’archéologue belge. Nous avions décroché, à Tell Beydar, entre le Tigre et l’Euphrate, l’une des dernières concessions permanentes octroyées par les autorités syriennes. Mais, après dix-sept campagnes de fouilles étalées entre 1992 et 2010, je tourne la page. Toutes les régions du pays ne sont certes pas touchées par les violences, mais il est éthiquement hors de question de poursuivre le travail. D’autant que la crise actuelle va sûrement se prolonger longtemps encore. « 

L’archéologue n’a plus aucune nouvelle de ses homologues syriens – le chantier de Tell Beydar est un projet conjoint syro- européen – et n’ose contacter par e-mail ou par d’autres moyens ceux qui ont collaboré aux fouilles :  » Je crains de les mettre en danger, car les communications sont sans doute surveillées par le régime. « 

Des gardiens sans ressources

Lebeau ne parvient plus à envoyer en Syrie les salaires des gardiens du site.  » Notre présence sur place, cinq ou six semaines par an, assurait une source de revenus à de nombreux villageois des environs, confie-t-il. Pas moins d’une centaine d’ouvriers de la Djézireh travaillaient aux côtés des scientifiques.  » Ils les ont aidés à dégager un palais, un grand temple et les fortifications d’une cité mésopotamienne qui remonte au IIIe millénaire avant notre ère. Les archéologues ont aussi exhumé des tablettes cunéiformes vieilles de 4 400 ans.

La maison d’accueil des archéologues, un complexe en terre crue bâti selon les traditions antiques, ne résistera pas longtemps aux agressions du climat, faute d’entretien annuel. L’arrêt du chantier hypothèque, en outre, les recherches des étudiants belges qui avaient participé aux fouilles :  » Ils n’ont plus assez de matériel pour pouvoir poursuive leur thèse, explique le directeur de la mission. Pour ma part, je’abandonne l’archéologie. « 

Eric Gubel, chef du département Antiquité aux Musées royaux d’art et d’histoire (MRAH), à Bruxelles, séjournait, lui aussi, plusieurs semaines par an en Syrie depuis un quart de siècle. Spécialiste de la période phénicienne, il participait aux fouilles menées par l’Université américaine de Beyrouth sur le site syrien de Tell Kazel, au sud de Tartous.

 » La dernière saison de fouilles a eu lieu en août 2010, indique Gubel. Sur le terrain depuis 1985, nous étions à la recherche de l’antique Sumur et de son histoire à travers les âges. Je n’ai plus eu de nouvelles de la région ces derniers mois. Le site de 20 hectares, situé sur la pleine du Akkar, près du Liban, a toujours été une zone de contrebande. « 

Apamée menacée ?

Plus au nord, non loin de Hama, la célèbre cité antique d’Apamée, fouillée par les Belges depuis 1928, est elle aussi laissée à l’abandon. Une trentaine de chercheurs s’y rendaient chaque année jusqu’en 2010, pour des campagnes de fouilles d’une durée de trois à quatre mois.  » Je n’ai plus le moindre contact avec la direction des musées et des sites syriens ni avec les gardiens du chantier, remarque Didier Viviers, recteur de l’ULB et directeur de la mission archéologique. Mais surtout, je n’arrive plus à faire parvenir de l’argent aux six gardiens. Nous avions provisionné un compte, mais il est à sec. Les salaires ne sont plus payés depuis le début de l’année. « 

Réputée pour sa grande colonnade et ses mosaïques, Apamée, qui fut l’une des dix plus grandes villes de l’Empire romain, est aujourd’hui au c£ur d’une des régions les plus troublées du pays.  » Qalat el-Mudiq, la citadelle médiévale voisine, a été prise d’assaut et notre maison de fouilles est désormais occupée par l’armée, précise Viviers. Il y aurait eu, par ailleurs, des vols et des destructions de mosaïques à Apamée. Dans les mois qui viennent, nous allons mettre en ligne, sur un site spécifique, toutes les pièces susceptibles d’être dérobées. On évitera peut-être ainsi leur dispersion sur le marché de l’art. Mais notre première préoccupation va à la population syrienne, à la cinquantaine d’ouvriers qui travaillaient à nos côtés, aux gardes du site et à leur famille. « 

OLIVIER ROGEAU

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