Kinds, l’oublié

Pour cette rentrée, la collection Espace Nord (récemment reprise par les éditions Luc Pire) fait la fête à notre patrimoine littéraire avec un premier lâcher de textes de haut vol, mais devenus introuvables en librairie. Comme Les Marais, le premier roman époustouflant de Dominique Rolin publié à l’âge de 29 ans (elle en a aujourd’hui 95), Le Jeu secret, de Thomas Owen, ou, plus proche de nous, Derrière la colline, de Xavier Hanotte. A quoi s’ajoute un titre aussi injustement oublié que son auteur : Les Toits de Saint-Colomban, d’Edmond Kinds. Avocat, grand ami de Tardieu et auteur très divers – essayiste, dramaturge, romancier – né à Jemappes en 1907, Kinds a joué de tous les registres, du plus aérien au plus grave, aussi brillant dans la condamnation des abus colonialistes ( Le Couteau de l’orage) ou dans le drame historique ( Les Tambours d’airain, une évocation du siège de Khartoum, dont le défunt INR fit une adaptation mémorable en 1964) que dans la chronique villageoise où il pouvait débonder d’une plume magistrale son trop-plein de cruelle tendresse et de poésie narquoise.

C’est à cette source-là que puise d’abondance Les Toits de Saint-Colomban, paru en 1945 . Petite ville d’eaux jurassienne – imaginaire, mais aussi plausible qu’une s£ur de la province belge dans la première moitié du siècle passé -, Saint-Colomban voit un jeune agrégé parisien découvrir peu à peu son monde de petits-bourgeois en proie à des clivages aussi complexes que ses redoutables codes non écrits. Bigotes haineuses, caciques sourcilleux, jeunesses espiègles, beautés bovaryennes, maris dociles… animent ce microcosme régi par la vertu publique et par les passions secrètes. Si le scénario relève plus, en fait, de l’anecdote savoureuse que de la grande architecture romanesque, les comportements et portraits sont des petits chefs-d’£uvre d’observation sertis dans une prose riche de nuances et d’inventivité poétique. On vogue entre le Clochemerle de Chevalier et le Chaminadour de Jouhandeau, entre Masson et Daudet, entre l’ironie d’Aymé et la fantaisie allègre de Vialatte. Mais c’est bien du Kinds, avec sa malice dépourvue de vraie méchanceté et quasi fraternelle. Et avec cette écriture d’une époque où la littérature prenait le temps de se faire plaisir.

Les Toits de Saint-Colomban, par Edmond Kinds. LucPire/Espace Nord, 318 p.

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