Kiekeboe !

Où Bertrand, le cuisinier mélancolique du café, rend son tablier, alors que le Geyser s’organise, en flamand, avec Merho et un mystérieux inconnu de Marseille.

Pour la 27e fois, Bertrand fixa l’incroyable annonce d’emploi, avec l’émerveillement d’un petit garçon regardant les bateaux en papier dans une fontaine :  » Cherchons salarié.e, payé.e à ne rien faire. Job à pourvoir pour l’éternité.  » Il se dit, le cuisinier neurasthénique, qu’au lieu de traîner ici, au Geyser, comme un bovin placide broutant sans entrain les commandes des clients, il se traînerait tout aussi bien à Göteborg (1), sans commande aucune. La réflexion de Bertrand fut écrabouillée par une apothéose sonore disgracieuse :  » Kiekeboe !  » hurla la nouvelle horloge-coucou du Geyser, qui sonnait désormais les heures, en flamand, un jour par semaine (2).

Un client sourit. Assis, la tête en arrière, les mains jointes sur la nuque et les jambes allongées sur la chaise d’en face, Merho redemanda, en flamand, si sa commande allait oui ou non finir par arriver. Mais Bertrand n’était déjà plus là : le cuisinier dépressif avait filé, après avoir punaisé son tablier au mur, accompagné d’un bref mais radical mot d’adieu :  » Salut, en de kost !  »

Sur ces entrefaites, se pointa Goliarda. Tout en rouge à lèvres carmin et moustache drue, la serveuse tira une taffe sur son porte-cigarette mentholé, façon Alice Sapritch, et regarda le client droit dans les yeux.  » Bon, qu’elle lui dit, en flamand, en injectant dans ce seul mot tout le scepticisme dont elle était capable, on ne va pas passer la journée à babbeler, hein ! Je m’en vais m’occuper de vos croquettes, Meneer.  » Même si un froid de neige remontait de ses pieds jusqu’à son coeur, à la suite de la contrariante désertion de Bertrand, Goliarda n’en voulait rien montrer.

Calepin à la main, la serveuse n’eut pas le temps d’entrer dans la cuisine qu’un repas gargantuesque faisait déjà son apparition devant le client néerlandophone. Un inconnu souriant, un client auquel personne n’avait prêté attention jusque-là, posa un somptueux plateau sur la table de Merho, en murmurant un  » Kiekeboe !  » soyeux, patiné d’une pointe d’accent marseillais (3). Hormis un  » Dank U  » ahuri et étonné, Goliarda n’y trouva rien de spécial à redire.

Mais c’est pas tout ça, l’heure tourne ! Où est encore passé le serveur ? S’agirait pas de louper le film, qui va démarrer, sur la Une, à 20 h 15 !

(1) En Suède, un duo d’artistes met sur pied  » La fondation du travail éternel « . Le premier job éternel sera offert dans la future gare de Göteborg, en 2025.

(2) Kiekeboe (coucou, en français) est la série de BD la plus populaire de Flandre. Créée en 1977, par Merho, elle est méconnue des francophones, alors qu’elle vient de s’enrichir d’un 152e album. A Bruxelles, seulement 10 % des jeunes parlant néerlandais, le député fédéral, Hendrik Bogaert (CD&V) plaide pour une  » Journée du néerlandais  » dans la capitale.

(3) Malgré un appel au public, un patient quasi mutique, hospitalisé en psychiatrie à l’hôpital Edouard Toulouse, à Marseille, depuis le 13 août 2017 – jour de la Saint-Hippolyte – n’a jamais été identifié. Il devrait recevoir le nom de Hippolyte Toulouse.

Un tiers de fiction, un tiers de dérision, un tiers d’observation. Et un tiers de réalité.

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