L'artiste Kacey Wong veut continuer à défendre l'histoire de Hong Kong par son art, désormais depuis Taïwan. © getty images

Kacey Wong a quitté Hong Kong pour Taïwan: « La liberté artistique est morte »

Autoexilé à Taïwan, l’artiste plasticien hongkongais, critique du régime chinois, explique les raisons qui l’ont poussé à quitter la ville. « Quiconque émet un avis contre les autorités pro-Pékin peut être jeté en prison. »

Qu’est-ce qui a motivé votre départ de Hong Kong?

Globalement, c’est la loi sur la sécurité nationale (LSN), imposée par le Parti communiste chinois (PCC) et adoptée le 30 juin 2020. Elle a mis Hong Kong sens dessus dessous. Mais l’élément déclencheur fut l’arrestation, en janvier 2021, de cinquante-trois figures prodémocratie accusées de subversion. Certaines sont toujours derrière les barreaux. J’ai alors compris que Hong Kong avait définitivement basculé dans la « terreur blanche », où quiconque émet un avis contre les autorités pro-Pékin peut être jeté en prison. C’est là que j’ai sérieusement envisagé de quitter la ville. Puis, j’ai vu que le Ta Kung Pao, un journal de propagande du PCC, m’avait accusé, à tort, d’avoir promu l’indépendance de Hong Kong lors d’une conférence sur l’art de la contestation. Ce qui m’a conforté dans l’idée qu’un départ était la bonne solution.

Ne vous sentiez-vous plus en sécurité?

Non. J’étais inquiet avant de me coucher et j’imaginais souvent me faire réveiller aux aurores puis embarquer par la police. C’est arrivé à des camarades. Même si j’étais encore libre de me balader en rue, je me suis senti en sursis. Si j’étais resté, je me serais autocensuré, j’aurais été moins provocant et perdu mon franc-parler. Or, ma liberté d’expression artistique est ce à quoi je tiens le plus. Hong Kong a radicalement changé mais, moi, je ne voulais pas changer ma manière d’être. Ce n’est qu’en partant que ma propre indépendance pouvait être garantie. Je me suis donc autoexilé en juillet 2021.

Que reste-t-il de la liberté artistique à Hong Kong?

Elle est morte. De nombreux artistes sont partis. Ceux qui restent s’autocensurent, car le prix à payer est tout simplement trop élevé. Avant, Hong Kong était le phare de la liberté, notamment de création artistique, en Asie. Plus maintenant. Il suffit de voir comment les autorités ont récemment déboulonné le Pilier de la honte, une oeuvre commémorative du massacre de Tian’anmen, ainsi qu’une sculpture représentant la Déesse de la démocratie. Ce gouvernement attaque aussi le cinéma, en interdisant les films qui, soi-disant, menacent la sécurité nationale.

Comment votre art contestataire s’exprime-t-il?

Pendant les grandes manifestations de 2019, je me suis par exemple déguisé en Moïse, tenant sous le bras des tablettes qui indiquaient les cinq revendications d’alors du peuple hongkongais, comme des commandements. La dernière fois, ce fut le 1er juillet 2020, au lendemain de l’adoption de la LSN: j’étais accoutré en riche touriste chinois, vêtu d’une chemise hawaïenne et portant de gros sacs sur lesquels étaient inscrits les chefs d’accusation de la loi. Avec ironie mais sans agressivité. Tout cela n’est désormais plus possible.

En novembre, un nouveau musée d’art contemporain, le M+, a ouvert à Hong Kong…

Le plus risible, c’est que certaines de mes oeuvres y sont exposées. En réalité, le deal a été fait des années plus tôt, puis Hong Kong est vite « tombée ». Pour moi, l’ouverture du M+ est mieux que rien. Mais il se détourne de ses objectifs initiaux, à savoir mettre en avant la scène artistique hongkongaise, auparavant mature, vibrante et dynamique, et proposer des récits locaux. En ce sens, c’est un échec: un musée a la responsabilité de retranscrire l’histoire, la vraie. La nôtre, celle des Hongkongais, ne sera pas racontée, comme si elle n’avait jamais existé. Ce M+ ne sera qu’un autre outil de propagande du PCC. Même certaines oeuvres d’artistes chinois, comme le fameux doigt d’honneur d’Ai Weiwei, ont été censurées.

De quelle manière comptez-vous poursuivre vos activités artistiques?

J’ai installé mon studio à Taichung (NDLR: deuxième ville de Taïwan, au centre-ouest de l’île). Hormis celles du M+, toutes mes oeuvres y sont. En mars, j’ai prévu une exposition à Tainan, avec mes travaux passés et de nouvelles créations, dont une installation de lance-missile en forme de dragon, censée représenter la menace du régime chinois sur Taïwan. D’ici là, je continuerai de défendre l’histoire de Hong Kong, qui reste dans mon coeur et ma mémoire. Et je ne cesserai d’alerter sur la guerre culturelle que mène le PCC contre les démocraties et le monde libre.

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